Voir plus
Voir moins

Art contemporain, recyclage et conservation

Par Marie-Claude Bourdon

4 mai 2009 à 0 h 05

Mis à jour le 17 avril 2015 à 15 h 04

En mai 1972, l’artiste new-yorkais Gordon Matta-Clark (1943-1978) installe dans une rue de Soho un container qu’il transforme en habitation à l’aide de matériaux recyclés trouvés dans des chantiers de démolition des alentours. Pendant trois jours, l’«œuvre», intitulée Open House, est ouverte au public et devient un centre d’expérimentation pour artistes, danseurs et performeurs. Puis, l’installation est démantelée, le container loué est rendu à ses propriétaires. Matta-Clark la reconstituera dans la même rue l’automne suivant, puis ce sont des musées qui se chargeront de faire revivre l’Open House. En 1985, sept ans après la mort de l’artiste, le Musée d’art contemporain de Chicago organise une rétrospective de son œuvre et expose un container sur le trottoir, devant l’institution. Œuvre événementielle, Open House devient un objet d’art et acquiert une valeur marchande. Vendue par la succession de l’artiste à un collectionneur privé, elle est ensuite cédée au Musée d’art moderne et contemporain de Genève, où elle est aujourd’hui exposée.

Professeure au Département d’histoire de l’art, Francine Couture s’intéresse aux problèmes de conservation que pose l’art contemporain. Elle livrera les résultats de l’enquête qu’elle mène sur l’Open House de Matta-Clark lors d’un colloque consacré à l’art contemporain dont elle est coresponsable avec sa collègue Marie Fraser. Ce colloque, intitulé Recyclage et réactualisation : comment l’art contemporain produit des phénomènes de reprise et de réexposition, se tiendra dans le cadre du congrès de l’ACFAS, le 14 mai prochain.

Réexposition

«La première partie du colloque porte sur les œuvres elles-mêmes et la façon dont celles-ci sont constituées par la reprise d’éléments recyclés ou empruntés à d’autres œuvres, explique l’historienne de l’art [sur ce phénomène, voir l’entrevue avec Marie Fraser, publiée dans le journal L’UQAM du 27 octobre 2008]. Dans la deuxième partie, on s’intéressera, non pas à la signification des œuvres, mais aux conséquences de leur réexposition et à tous les acteurs qui participent à leur diffusion, les artistes, leurs héritiers, les directeurs de galeries et les conservateurs de musées.»

Contrairement à une sculpture ou à un tableau, les œuvres issues de la scène contemporaine ont souvent un caractère non fini et non pérenne, observe Francine Couture. Une installation ne se limite pas aux objets qui la composent et ne dure pas, en principe, au-delà du temps de la performance. Si on veut la montrer de nouveau, il faut la reconstituer.

Originalité et authenticité

«Ces œuvres posent une série de questions sur les notions d’originalité et d’authenticité, dit l’historienne de l’art. Quand un musée achète une œuvre performative, qu’achète-t-il au juste? Un objet – un container -, ou un concept? L’objet devient-il l’œuvre en soi ou a-t-il un statut de document sur l’œuvre? Et quel est le rapport entre le container original, portant la mémoire de ses usages, installé dans une rue de New York, et l’œuvre exposée dans la salle du musée?»

Depuis que les œuvres performatives ont fait leur entrée au musée, dans les années 90, les conservateurs d’art, bouleversés dans leurs pratiques, ont commencé à se pencher sur ces questions, souligne Francine Couture. Le groupe de recherche qu’elle dirige a pour but d’amener une réflexion critique sur ce phénomène.

Des protocoles précis

À l’origine, la performance se situait un peu en réaction contre le musée, mais le musée s’est ouvert à l’art contemporain et rares sont les artistes qui refusent que leurs œuvres soient achetées par de grandes institutions nationales. «Les artistes d’aujourd’hui sont de plus en plus prévoyants, dit l’historienne de l’art. Leurs œuvres s’accompagnent souvent de protocoles élaborés précisant les conditions de leur exposition.»

Au cours du colloque, la présentation de Véronique Rodriguez, professeure associée au Département d’histoire de l’art, portera entre autres sur l’œuvre de Massimo Guerrera, pionnier au Québec de ce que l’on appelle l’«esthétique relationnelle». «Dans l’une de ses œuvres achetée par le Musée national des beaux-arts du Québec, Guerrera invite des gens à manger, explique Francine Couture. Or, le protocole qu’il a signé avec le musée précise que lorsque Darboral est réexposée – celle-ci comporte aussi des objets -, elle doit être accompagnée d’une performance. Le public doit être invité à partager de la nourriture. En art contemporain, ce n’est donc plus la matérialité de l’œuvre qui compte, mais les conditions de sa présentation.»