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Anatomie d’une pandémie

Par François Grenier

16 novembre 2009 à 0 h 11

Mis à jour le 17 avril 2015 à 15 h 04

Les autorités de la santé publique sont sur le qui-vive. La deuxième vague du virus A (H1N1) est en train de déferler sur la province. Après avoir affiché une certaine méfiance, la population semble désormais se résoudre à la vaccination. Et heureusement, le virus, même s’il reste très contagieux, parait moins virulent qu’on aurait pu le craindre.

«C’est vrai, concède Benoît Barbeau, professeur au Département des sciences biologiques de l’UQAM et directeur de la Chaire de recherche du Canada en rétrovirologie humaine. Jusqu’à maintenant le taux de mortalité de A (H1N1) se compare à celui de la grippe saisonnière. Mais ça ne veut pas dire que l’OMS ait inutilement crié au loup. En fait, on a de bonnes raisons de redouter ce virus, tout particulièrement à cause des pandémies antérieures qui ont frappé la planète. N’oublions pas que c’est un virus Influenza de type A (H1N1) qui fut responsable de la grippe espagnole. Or, cette fois-ci, en plus d’être un virus de type aviaire, A (H1N1) contient aussi des fragments de virus porcin. C’est une raison de plus de s’en méfier.»

En fait, A (H1N1) est le résultat d’un mélange inédit de séquences génétiques. En soi, ce n’est pas une surprise car les virus Influenza sont particulièrement aptes à subir des mutations et à échanger des parties de leur matériel héréditaire. Ce talent particulier, ils le doivent beaucoup à leur génome fragmenté en huit segments. En effet, chacun de ces huit fragments de matériel génétique peut être remplacé par son équivalent d’une autre souche. Si, par exemple, une cellule est infectée par deux virus d’origines différentes, mais de même famille, des mélanges peuvent survenir et conduire à des modifications importantes.

«Plus le virus de la grippe se réplique, plus il augmente ses possibilités de mutations, explique Benoît Barbeau. Et la raison de cela, c’est que l’Influenza est un virus ARN qui, lors de sa réplication, utilise son propre enzyme responsable de la synthèse de l’ARN. Or, cet enzyme, appelé ARN polymérase, commet beaucoup d’erreurs. D’un certain point de vue, cela représente un désavantage pour le virus dont un grand nombre de particules virales risquent d’être défectueuses. Par contre, cette réplication hasardeuse accroît d’autant les probabilités du virus d’adopter une configuration qui le rende encore plus facilement transmissible chez l’humain ou plus virulent.»

Voilà le dilemme auquel sont confrontées les autorités de la santé publique. Il n’est pas possible de savoir comment ce virus évoluera. Sera-t-il plus ou moins contagieux, plus ou moins virulent? C’est impossible de le prévoir. C’est pourquoi les autorités se doivent de tout entreprendre afin d’éviter la catastrophe même si, ce faisant, elles ne pourront plus prouver que, sans ces mesures, la catastrophe aurait eu lieu… puisqu’elle n’aura pas eu lieu.

«La situation est un peu analogue au fameux bogue de l’an 2000, précise Benoît Barbeau. On le redoutait. Alors, on a pris les mesures appropriées. Et il ne s’est rien passé. Tant mieux! Sauf qu’après coup, certains ont prétendu que toutes ces précautions étaient inutiles en avançant pour preuve qu’il ne s’était rien passé. L’argument est un peu facile. Une chose est sûre, c’est que dans le cas d’une pandémie, on ne peut pas courir la chance de miser sur ce genre de scepticisme.»

Voilà d’ailleurs ce qui inquiète le plus Benoît Barbeau, cette espèce de méfiance qui, à grand renfort de désinformation, circule dans Internet. On trouve toute une théorie du complot impliquant l’OMS, les compagnies pharmaceutiques et les gouvernements que l’on accuse d’ourdir de sombres machinations dans le but de perpétrer un génocide de masse.

«On ne le répètera jamais assez, martèle Benoît Barbeau, mais les vaccins sont une des armes les plus efficaces pour lutter contre plusieurs maladies. Bien sûr, ils ne sont pas parfaitement efficaces ni toujours sûrs à cent pour cent, mais, depuis Pasteur, ils ont joué en médecine un rôle de premier plan.»

En 1980, pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, nous avons réussi à éradiquer une maladie, à la faire disparaître de la surface de la planète. Grâce à la vaccination, nous avons vaincu la variole qui, de toutes les maladies contagieuses, était certainement l’une des pires.

«Il est bien sûr important de ne pas céder à la panique, précise Benoît Barbeau, mais en même temps, il faut prendre la menace au sérieux. Et mettre en pratique les mesures d’hygiène de base : se laver fréquemment les mains, tousser dans le creux de son coude, rester à la maison quand on est malade. Et, bien sûr, profiter de la campagne de vaccination. Plus les gens vaccinés seront nombreux, moins le virus aura d’occasions de se répliquer et de muter.»

Et Benoît Barbeau de conclure : «Certes, les gens sont libres de se faire vacciner ou non. Mais ils ont aussi la responsabilité de bien se renseigner. Ils doivent savoir que les vaccins ne protègent pas seulement les individus, mais aussi l’ensemble du corps social. C’est pourquoi il est important de bien suivre les recommandations des autorités de la santé publique. Pour se protéger et protéger les autres.»