D’entrée de jeu, Frédéric Metz affiche ses couleurs. «Je ne suis pas du genre nostalgique et je ne regrette rien», avertit le directeur du programme de design graphique. Sur le point de franchir le fil d’arrivée et de confier à la relève la destinée de l’École de design, pas question pour le costaud gaillard aux cheveux drus comme un hérisson de laisser paraître une once de spleen.
Mais en même temps, Frédéric Metz ne peut s’empêcher de revenir sur la belle époque. Du temps où les étudiants pouvaient donner libre cour à leur imagination en utilisant simplement la gouache, le fusain et le bon vieux papier. Metz se souvient. «La relation entre les professeurs et les étudiants était bien plus forte qu’elle ne l’est aujourd’hui. Avec leur iPod, leur Walkman, leur blogue et leur ordinateur, les gens vivent chacun dans leur bulle.» S’il en a contre les «bébêtes» mangeuses de MP3 et de giga-octets, c’est aussi qu’elles ont d’autres effets attristants. «Avec l’ordinateur, on perd beaucoup d’humanité. On perd même le droit à l’erreur.»
La rançon de la gloire
Au fil des dernières décennies, Frédéric Metz a été un des piliers du programme de design graphique et de l’École de Design de l’UQAM, qui a pris une envergure internationale. Il avoue toutefois que le programme a été victime de son succès. «Quand le cours de design international a été lancé, c’était une révolution. Mais maintenant que nous sommes considérés parmi les meilleurs au monde, certains de nos étudiants reviennent un peu déçus de leurs échanges interuniversitaires», soutient le Neuchâtelois d’origine, arrivé au Québec en pleine effervescence d’Expo 67.
Frédéric Metz est bien conscient que la Révolution tranquille et Mai 68 sont aujourd’hui des quadragénaires. Il ne parle pas d’une perte de créativité, mais bien plutôt d’une transformation de la créativité. «Rappelez-vous du temps où il n’y avait à peu près qu’un seul magazine de design au Québec. Depuis lors, les choses ont drôlement changé et la culture générale des étudiants en design est montée en flèche.» Il en veut pour preuve les maquettes d’emballage que ceux-ci conçoivent maintenant dans leurs cours. «C’est mille fois mieux que ce que nous faisions à l’époque.» Techniquement, il estime les étudiants mieux outillés, mais il les trouve «plus prévisibles».
Blâme-t-il la nouvelle génération pour cet état de fait? Pas vraiment. «Quand j’ai entrepris mon bac, tout m’interpellait. Mais la situation économique n’était pas la même. Aujourd’hui, les étudiants doivent travailler en même temps qu’ils étudient. Ils sont moins disponibles. C’est plus difficile qu’avant de se donner à fond.»
Abat-jour sur la folie créatrice
Il n’y a pas que le contexte économique qui rende les choses plus ardues. Pour faire du bon graphisme, il estime qu’il faut pouvoir instiller une dose de provocation. Or, Metz déplore la déferlante rectitude politique qui affadit tout. «Il y a 30 ans, on pouvait utiliser des formules pleines de saveurs. Une tête de turc avait un sens, tout comme l’expression travailler comme un nègre. Aujourd’hui, on ne peut plus parler des gros, des ethnies, des blondes sans soulever l’indignation.» Pour ce provocateur né, il s’agit d’une perte de jouissance dans le travail.
Ce concepteur qui a, entre autres, créé les logos d’Oscar de la Renta et des chaussures Browns, réalisé le concept graphique de l’Hôtel Méridien et conçu l’imagerie des restos de la Royale Plaza à Toronto, n’a aucune intention de cracher dans la soupe. Il se désole toutefois de constater que les designers dépendent aujourd’hui de la publicité et que les créatifs soient devenus moins verbomoteurs que les marketeurs. «La grande folie qui a existé n’est plus ce qu’elle était, dit-il. Nous sommes devenus les intermédiaires entre la commande et le client. Nous ne faisons plus que ce que le client veut. Tous les directeurs de création des grandes boîtes vous le diront.»
Frédéric Metz concède tout de même que tous ces bouleversements actuels ne sont que la continuité normale de son époque, mais il ne craint pas que l’engagement social disparaisse de l’univers du design.
Après 32 ans en poste, il mord encore de ses 32 dents dans la vie. Et comme on n’est jamais si bien servi que par soi-même, il concocte et mousse son propre 5 à 7 de départ, le 27 mai. Un événement qui promet d’en mettre plein la vue, à la façon Metz!