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Romancier à la plume sauvage

Par Claude Gauvreau

15 septembre 2008 à 0 h 09

Mis à jour le 17 avril 2015 à 15 h 04

«On roulait sans but, deux mendiants, deux voleurs, deux Arabes en rut avec nos cheveux bouclés, nos chemises déboutonnées, un paquet de Marlboro coincé dans une manche, deux rebelles, deux nihilistes sans pitié avec nos revolvers, notre mauvaise haleine et nos jeans américains.»

Parfum de poussière est une chronique lyrique de la guerre civile qui a déchiré le Liban dans les années 1970. Né à Beyrouth, l’auteur, Rawi Hage, est étudiant à la maîtrise en arts visuels et médiatiques. Il a écrit son roman en anglais, sous le titre DeNiro’s Game, en référence aux scènes de roulette russe dans le film Voyage au bout de l’enfer. Le livre a remporté quatre récompenses littéraires, dont le Prix des libraires du Québec et le prestigieux International IMPAC Dublin Literary Award, doté d’une bourse de 160 000 $.

S’attaquer au sectarisme religieux

Rawi Hage avait 10 ans quand la guerre civile a éclaté. À 18 ans, il quitte le Liban pour aller à New York où il résidera pendant neuf ans. «New York, c’était plus dur que Beyrouth, confie-t-il. J’y ai vécu la coupure absolue, celle avec ma culture et ma langue. Mais le pire, c’était le sentiment de culpabilité. J’avais laissé ma famille au Liban et j’avais peur de la perdre à cause de la guerre.» Au début des années 90, il s’établit à Montréal où il travaille comme chauffeur de taxi et photographe, avant de se lancer dans l’écriture.

Le gouvernement libanais n’a pas cherché à préserver la mémoire de la guerre, souligne l’écrivain. «À l’école, on n’en parle pas, même si tout le monde a des histoires à raconter.» Ce qu’il y a d’important dans son livre, poursuit-il, c’est la dénonciation du sectarisme religieux. «Je suis partisan d’un Liban laïque. Mes personnages principaux, Bassam et Georges, ne sont pas croyants et n’ont rien du héros exemplaire. Méfiants à l’égard des organisations militantes, ils sont au-dessus de la mêlée et tentent de survivre grâce à la contrebande de whisky.»

Conteur d’histoires avant tout

Le roman brosse un portrait halluciné de la folie meurtrière. La mort est omniprésente, mais elle est souvent abordée avec humour : «Une bombe venait de tomber dans la ruelle voisine (…) La règle, c’était d’attendre la deuxième bombe. Comme les Américains du Midwest qui visitent Paris, elles allaient toujours par deux.» Quand l’absurde envahit tout, il devient quelque chose d’affreusement comique, observe l’écrivain.

Son prénom, Rawi, signifie en arabe conteur d’histoire. «C’est ce que je suis avant tout, souligne le romancier. Mais un conteur d’histoires peut aussi être un intellectuel qui cherche à exprimer des idées.» Bien qu’il demeure attaché à ses racines, les notions d’identité et de communauté ont pris pour lui un sens beaucoup plus large qui dépasse les questions de nationalité ou de race. «Je sens une plus grande complicité avec quelqu’un qui défend des valeurs semblables aux miennes, même si nous ne partageons pas la même langue ou la même nationalité. L’expérience artistique, à travers la photo et l’écriture, m’a amené à assumer une identité plus universelle.»

Rawi Hage ne se considère pas comme un écrivain en exil. «J’aime Montréal et je dis souvent à mes amis anglophones que le Québec est la province la plus progressiste au Canada.» Happé par le succès, il se dit un peu las du tourbillon médiatique. «À partir de décembre prochain, je prends une pause d’un an pour réfléchir et écrire.» En attendant, son deuxième roman, Cockroach, qui traite de contrebande d’armes à Montréal, vient tout juste de paraître en anglais chez Anansi Press. Et DeNiro’s Game sera publié en France cet automne, aux éditions Denoël.