Le professeur Ross Stevenson a décapsulé une bière bien méritée au mois d’août dernier, en compagnie de son collègue de l’Université McGill, Don Francis, et de l’étudiant au doctorat, Jonathan O’Neil. Les chercheurs ont trinqué à la santé… d’un tas de vieux cailloux. De très, très vieux cailloux! Selon les résultats d’analyse qu’ils venaient de compléter, les roches entreposées dans leurs laboratoires n’étaient rien de moins que les plus vieilles pierres jamais trouvées sur Terre. Leur âge? 4,28 milliards d’années! 300 millions d’années de plus que les plus anciennes roches connues à ce jour.
Ces nouvelles doyennes de la croûte terrestre ont été trouvées en bordure de la baie d’Hudson, à 40 km au sud du village inuit d’Inukjuak. Ross Stevenson avait déjà visité le site avec une équipe il y a sept ans, à l’invitation du ministère des Ressources naturelles et de la Faune du Québec. «Le ministère travaillait à cartographier la géologie du Nord du Québec», raconte le professeur, rattaché au Département des sciences de la Terre et de l’atmosphère et au Centre de recherche en géochimie et géodynamique (GEOTOP), un boulot qui permettrait au gouvernement de mieux connaître les ressources de son territoire et aux compagnies minières de potentiellement les exploiter.
À l’époque, le professeur avait été intrigué par une longue ceinture de roches vertes qui sillonnait le site. Les roches vertes, rappelle-t-il, sont des pierres d’origine volcanique, qui ont pris des teintes verdoyantes avec l’âge. Ross Stevenson a mis quelques échantillons dans sa besace pour les rapporter à Montréal. Son collègue Jean David, également de l’UQAM, a réussi à dater la trouvaille en analysant le ratio entre certains composés isotopiques qui se décomposent naturellement dans ce type de minéraux. Résultat : 3,8 milliards d’années.
Tour du monde
Sur une si bonne piste, Ross Stevenson n’allait pas s’arrêter de sitôt. «À l’occasion d’une petite réunion avec Don et Jonathan, on s’est dit que le site avait peut-être d’autres secrets à livrer.» L’équipe s’est adjoint la collaboration de Richard Carlson, du Carnegie Institution de Washington, l’un des plus grands experts mondiaux de l’analyse isotopique. Ensemble, ils ont décidé d’analyser d’autres fragments de la ceinture de roches vertes.
On connaît la suite. La datation des tout derniers échantillons a donné lieu à la publication d’un article dans la prestigieuse revue Science, le 26 septembre dernier. La nouvelle a fait le tour du monde et les membres de l’équipe ont accordé des dizaines d’entrevues.
Selon les chercheurs, les roches sont si anciennes qu’elles pourraient appartenir à la toute première croûte terrestre formée sur notre planète. En effet, le système solaire, y compris la Terre, a pris naissance il y a environ 4,57 milliards d’années. Les roches de la baie d’Hudson se seraient formées quelque 290 millions d’années plus tard, un bien court laps de temps, en termes géologiques.
Sur la piste d’indices
Ross Stevenson souligne que des fragments de roches de 4,36 milliards d’années avaient déjà été datés en Australie. «Mais il ne s’agissait pas de roches entières», précise-t-il. Il s’agissait plutôt de poussières de roches, en quelque sorte, qui s’étaient amalgamées avec d’autres fragments géologiques pour former des roches sédimentaires. Les roches entières sont beaucoup plus intéressantes d’un point de vue scientifique.
Un collègue de Ross Stevenson entend maintenant analyser la composition d’isotopes de soufre dans les roches. «On sait que le soufre est influencé par la composition de l’atmosphère. Or, on connaît encore peu de choses à propos des fluides gazeux qui enveloppaient la Terre à ses débuts. Nos recherches nous donneront peut-être quelques indications.» D’autres analyses permettront de déterminer la température qui régnait sur notre planète au moment de la formation de ces roches.
Les chercheurs espèrent aussi débusquer des indices de présence bactérienne. «On pourrait apprendre quelques éléments nouveaux sur les origines de la vie», rêve déjà le géologue. Les vieilles pierres n’ont pas dit leur dernier mot.