Un physicien reconnu parmi les meilleurs de sa profession participe à une émission de télé. En répondant à une question de l’animateur, il fait appel à un concept de base de sa discipline, qu’il énonce toutefois de façon erronée, comme le ferait un novice. Le lendemain, il s’empresse de rectifier sa réponse et d’expliquer correctement le concept, se confondant en excuses, mettant son erreur sur le compte de la nervosité et le fait qu’il n’a pas l’habitude de la télévision.
Pour le doctorant en sciences de l’éducation Steve Masson, ce genre de faux pas est fascinant. «Cet expert a probablement répondu à la question en faisant appel non pas à son savoir scientifique mais à ses conceptions spontanées, explique le chercheur en neuroéducation. Le phénomène est documenté. Les gens possèdent de telles conceptions et celles-ci s’opposent aux connaissances scientifiques.» Par exemple, plusieurs croient, à tort, que l’air ne pèse rien, que les objets légers flottent tandis que les objets lourds coulent, que les objets métalliques sont plus froids que les autres ou que les saisons dépendent de la distance entre la Terre et le soleil.
Les enseignants en sciences se butent souvent aux conceptions spontanées de leurs élèves quand vient le temps de leur enseigner de nouveaux concepts et pas seulement au primaire et au secondaire, à l’université également, ajoute en riant Steve Masson. Or, il est très difficile de modifier ces conceptions. L’hypothèse centrale qu’il défend est que les réseaux neuronaux du cerveau qui nous amènent à répondre de façon inappropriée sont si bien établis et s’activent si facilement qu’il s’avère très difficile de les modifier.
Observer l’activité cérébrale
Dans le cadre de son projet de recherche doctoral, intitulé Mécanismes cérébraux sous-tendant les processus de changements conceptuels en physique, Steve Masson comparera l’activité cérébrale de dix novices et de dix experts en sciences pendant la réalisation d’une tâche cognitive portant sur des concepts de physique.
Sous la direction du professeur Patrice Potvin, du Département d’éducation et pédagogie, son expérimentation, qui devrait débuter à l’automne 2008 à l’unité de neuroimagerie fonctionnelle (IRM) de l’Institut universitaire de gériatrie de Montréal, prendra la forme d’une séance de visionnement de courts films, mettant en scène des phénomènes naturels, qui seront parfois conformes aux conceptions erronées des novices, parfois au savoir scientifique des experts. Les sujets, dont l’activité cérébrale sera captée par IRM, devront dire si ce qu’ils voient est conforme à ce qu’ils s’attendent. «Au niveau cérébral, les novices et les experts ne devraient pas réagir de la même façon aux stimuli qui leur seront présentés», croit Steve Masson. Il s’attend à ce que les zones liées au contrôle cognitif, à la détection de conflits et à l’inhibition soient davantage activées chez les experts. «Je pense que les experts arrivent à surmonter leurs conceptions spontanées au prix d’un effort cognitif supplémentaire et c’est pourquoi les régions cérébrales associées au contrôle cognitif devraient être davantage sollicitées», explique-t-il.
Le coeur de son expérimentation consiste à vérifier si l’inhibition entre en jeu dans le processus d’apprentissage scientifique. Pour le vérifier, il entraînera les dix mêmes novices à donner la bonne réponse aux films qui leur ont été présentés, et répétera les tests avec l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle. «Spontanément, ils seront portés à donner une mauvaise réponse, mais puisque nous leur aurons enseigné la bonne réponse, je m’attends à ce qu’ils utilisent davantage les fonctions cognitives liées à la détection de conflit et au contrôle cognitif, des régions situées dans le cortex cingulaire antérieur et le cortex préfrontal, expliquet- il. Il est très difficile cependant de prévoir les différences cérébrales entre les experts et les novices entraînés; ce sera sans doute l’un des aspects les plus intéressants de la recherche.»
Revoir les stratégies d’enseignement?
Les conséquences de ses recherches pourraient bousculer les façons d’envisager la didactique des sciences. et des autres disciplines. Actuellement, plusieurs chercheurs croient que l’apprentissage passe par la reconfiguration des structures cognitives liées aux conceptions spontanées, même si tous s’entendent pour dire que cette reconfiguration est ardue.
Est-ce à dire que les sciences devraient être enseignées au primaire, avant que les réseaux neuronaux liés aux réponses inappropriées soient bien constitués? «Ça paraît logique, estime Steve Masson, mais cette affirmation demeure spéculative, puisque nous ne savons pas à quel âge s’établissent ces réseaux neuronaux.»
Si le chercheur confirme ses hypothèses, il faudra plutôt envisager d’«enseigner» aux élèves à inhiber leurs conceptions spontanées plutôt que de chercher à les éradiquer. Cela pourrait déboucher au cours des prochaines années sur une didactique de l’inhibition, un concept absent pour l’instant du domaine de la recherche en éducation. «Il faudrait alors déterminer comment on peut en arriver à contribuer à l’inhibition chez un élève et développer les stratégies d’enseignement en ce sens, estime M. Masson. Mais il faut d’abord vérifier si l’inhibition joue réellement un rôle dans les processus de changement conceptuel en sciences, ce qui est précisément le but de ma recherche.»