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Éthique et journalisme : un beau défi

Par Pierre-Etienne Caza

14 avril 2008 à 0 h 04

Mis à jour le 17 avril 2015 à 15 h 04

En avril 2007, Julie Miville-Dechêne est devenue la première femme à occuper le poste d’ombudsman des services français de Radio-Canada. «Il s’agit d’un beau défi qui me permet de réfléchir à l’éthique journalistique, un sujet qui me tient à coeur depuis longtemps», affirme-t-elle.

La Faculté de science politique et de droit lui décerne son Prix Reconnaissance UQAM 2008 pour sa remarquable carrière journalistique, tant comme reporter que comme correspondante à l’étranger. «Je suis vraiment touchée, confie-t-elle, d’autant plus que j’ai toujours tenté de faire la jonction entre les médias et les universitaires, afin que ces derniers puissent faire connaître leurs recherches et partagent leur expertise avec les téléspectateurs sur des sujets d’actualité.»

Julie Miville-Dechêne était rédactrice au Téléjournal de Radio-Canada lorsqu’elle décide d’entreprendre des études en science politique à l’UQAM, à la fin des années 1970. «À l’époque, les programmes de journalisme n’étaient pas aussi prisés qu’aujourd’hui, rappelle-t-elle. On se dotait d’abord d’un bagage de connaissances générales, puis on apprenait le métier sur le tas.» Elle se souvient de professeurs plutôt dogmatiques, à tendance marxiste. «Avec le recul, cela m’a permis de développer un très bon esprit critique par rapport aux idéologies de toutes sortes, analyse-telle en riant. C’était intéressant d’avoir un pied dans la théorie, à l’université, et l’autre dans la pratique, à Radio-Canada.»

Faire ses classes en exil

Reporter aux faits divers pour la radio et la télévision pendant quelques années, elle a ensuite obtenu une bourse qui lui a permis de compléter une maîtrise en journalisme à l’Université Columbia, à New York. À son retour, elle a été affectée aux Affaires sociales comme reporter à la télévision, avant d’obtenir le poste de correspondante nationale à Toronto, de 1987 à 1989, puis à Ottawa, de 1989 à 1994. Elle se rappelle particulièrement de la couverture de l’affaire Ben Johnson, en 1988, et de l’échec de l’Accord du Lac Meech, en 1990.

Correspondante à Washington de 1994 à 1998, Julie Miville Dechêne a beaucoup voyagé aux États-Unis. «Mon défi là-bas était de dépeindre ce pays pour ce qu’il est, se rappelle-telle, c’est-à-dire une mosaïque culturelle riche qui n’a rien à voir avec le cliché réducteur de la droite américaine.» Elle a couvert, entre autres, l’attentat d’Oklahoma City, en 1995, la réforme de l’aide sociale du gouvernement Clinton et l’affaire Lewinsky à la Maison Blanche. Elle s’est également rendue à plusieurs reprises en Haïti, où les Américains chassaient la junte militaire au pouvoir tandis que Jean- Bertrand Aristide revenait d’exil. «J’y ai vu des choses horribles, précise-telle, mais jamais un trop-plein d’émotions ne m’a empêché de faire mon travail de façon professionnelle.»

Retour à Montréal

Julie Miville-Dechêne a vécu deux révolutions dans le monde de l’information : l’avènement de l’information en continu et celle du Web. «La première m’a touchée davantage, note-t-elle. J’étais en poste à Washington lorsque la chaîne RDI a été lancée et j’ai dû m’adapter en produisant davantage de contenus et en apparaissant plus souvent en ondes.» Le rythme effréné de son travail ne l’a toutefois jamais empêchée de porter une attention particulière au français, comme en témoigne le prix Raymond-Charrette, qui lui a été décerné en 2005 par le Conseil supérieur de la langue française. «La clarté du propos est primordiale, surtout en journalisme électronique», souligne-t-elle.

Mère de deux préadolescents, Mme Miville-Dechêne est rentrée à Montréal afin de profiter davantage de la vie de famille. «J’ai demandé à travailler aux Affaires publiques, raconte-t-elle. Ce genre de travail est plus facile à gérer en termes d’horaire.» Elle a collaboré aux émissions Le Point et La Facture, entre autres, et aussi à la couverture des campagnes électorales, avant d’accepter le poste d’ombudsman l’an dernier. «Je crois beaucoup à la radio et à la télévision publiques, qui ont un devoir d’intégrité et de qualité, en regard de son financement public, dit-elle à propos de son nouvel emploi. Radio-Canada est le seul média francophone au Canada qui possède un ombudsman, payé pour critiquer son employeur.»

Après son mandat (renouvelable), elle devra toutefois quitter la grande tour de la société d’État pour une période minimale de deux ans. Il s’agit d’une clause incluse dans son contrat afin d’éviter tout conflit d’intérêt. «Ce sera un deuil difficile, puisque j’y travaille depuis plus de 30 ans, conclut-elle, mais rien ne m’empêche de renouer avec le journalisme… ailleurs!»