Dès septembre prochain, tous les élèves du primaire et du secondaire recevront un enseignement dispensé dans le cadre d’un programme d’éthique et de culture religieuse. Après une longue tradition d’enseignement religieux confessionnel, l’école québécoise s’apprête à vivre une nouvelle étape de son histoire.
Ce programme, toutefois, ne fait pas l’unanimité. Un sondage CROPLa Presse révélait récemment qu’une majorité de Québécois voudraient que les parents conservent le choix d’inscrire leurs enfants à un cours religieux confessionnel ou à un enseignement laïque. «Il faut achever le processus de déconfessionnalisation scolaire amorcé il y a 12 ans, affirme pour sa part Georges Leroux, professeur associé au Département de philosophie, qui a participé à l’élaboration du programme. Déconfessionnaliser l’école, dit-il, c’est refuser le privilège de quelque confession que ce soit pour accéder à un espace laïc et séculier. Même les évêques du Québec ont exprimé leur accord et l’enthousiasme est grand dans les écoles et les commissions scolaires.»
La laïcité ne signifie pas l’indifférence à tout ce qui est spirituel et religieux, poursuit M. Leroux. Dans son essai intitulé Éthique, culture religieuse, dialogue, il explique le caractère inédit du programme, qui repose à la fois sur une formation éthique et sur la connaissance historique des traditions morales, spirituelles et religieuses. «C’est un programme culturel qui sollicite le savoir et non l’adhésion à des croyances», souligne-t-il.
Comprendre le phénomène religieux
Parler de culture religieuse, dit M. Leroux, c’est confronter les jeunes à la pluralité des croyances, des normes et des symboles qui contribuent à structurer le rapport au monde des autres. Ne pas le faire serait les condamner à l’ignorance. «Des pratiques en apparence irrationnelles ne deviennent compréhensibles que si elles sont resituées dans leur cadre et leur histoire. Pourquoi les musulmans ne mangent-ils pas de porc? S’agit-il d’une coutume, d’une croyance? Il y a intérêt à comprendre ce tabou alimentaire.»
Le nouveau programme accordera par ailleurs une prédominance au christianisme, qui fait partie de l’héritage culturel du Québec, souligne le philosophe. Une place importante sera réservée aux autres grandes religions monothéistes, comme le judaïsme, de même qu’aux spiritualités amérindiennes. Les phénomènes de violence présents dans l’histoire des religions – croisades, affrontements entre catholiques et protestants, pogroms – seront aussi abordés.
Selon Georges Leroux, l’école publique et laïque doit être le lieu du dialogue de tous avec tous. «Son rôle n’est pas de susciter la division en prenant appui sur la diversité des confessions religieuses, mais de constituer un foyer intégrateur des différences dans la perspective du vivre-ensemble. » Cela n’empêche pas, ajoute-t-il, le développement d’un enseignement religieux confessionnel dans un autre environnement, comme c’est le cas actuellement avec la catéchèse paroissiale.
Religions et morale
La nouveauté du programme réside également dans le fait de joindre à l’enseignement du patrimoine religieux de l’humanité un enseignement de l’éthique qui remplace la formation morale antérieure, souligne M. Leroux. «Les jeunes doivent pouvoir reconnaître la différence entre une approche rationnelle des grands enjeux moraux de l’existence humaine et celle marquée par la croyance.»
En s’inspirant notamment de la tradition de la philosophie pour enfants, le programme vise à permettre aux jeunes d’acquérir une autonomie dans l’exercice du raisonnement moral en les amenant à réfléchir de manière critique sur des questions éthiques, précise M. Leroux. «Pourquoi, par exemple, l’altruisme serait-il préférable à l’égoïsme? C’est une position philosophique difficile à défendre, en particulier dans notre société individualiste où le libéralisme valorise le droit à la propriété privée et l’enrichissement personnel.»
Une société pluraliste, insiste le professeur, doit rendre sa jeunesse sensible à la discussion et au dialogue touchant tous les aspects éthiques de la vie, depuis les choix les plus individuels jusqu’aux choix collectifs concernant notamment la justice sociale, le respect de l’environnement et la redistribution des richesses. «La réflexion éthique favorise le développement des valeurs essentielles à la démocratie : tolérance, respect, recherche en commun du bien commun et des principes qui guident la discussion.»
Le pluralisme, qui caractérise désormais la société québécoise, n’est pas un obstacle à surmonter mais une source de richesse permettant de côtoyer des gens vivant et voyant le monde autrement, de conclure le philosophe. «Il y aura toujours une tension entre ceux qui appellent à l’affirmation identitaire de la majorité et ceux qui insistent davantage sur l’ouverture au pluralisme. C’est une dialectique féconde et il ne s’agit pas de choisir une attitude contre l’autre. Le programme d’éthique et de culture religieuse se trouve justement à la jonction des deux pôles.»