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Du blé résistant à l’hiver canadien

Par Marie-Claude Bourdon

7 janvier 2008 à 0 h 01

Mis à jour le 17 avril 2015 à 16 h 04

Le blé, cette plante que les être humains cultivent depuis les débuts de la civilisation conserve encore ses mystères. En effet, le génome du blé, cinq fois plus important que celui de l’être humain, n’a pas encore été totalement élucidé. C’est une partie de ce génome qui intéresse Jean Danyluk, spécialiste de la biologie moléculaire et de la biotechnologie au Département des sciences biologiques. Plus particulièrement, ce dernier tente de décrypter les variations génétiques qui expliquent que certaines variétés de blé tolèrent mieux le froid, des recherches qui pourraient éventuellement amener la mise au point d’un nouveau cultivar plus résistant aux rigueurs hivernales. Embauché en 2004, le jeune professeur vient d’obtenir une subvention totalisant un demi-million de dollars, dont 191 000 $ de la Fondation canadienne pour l’innovation, pour acheter le matériel de laboratoire sophistiqué qui lui permettra de poursuivre ses recherches.

Avec d’autres chercheurs de l’équipe de Fathey Sarhan, également professeur au Département des sciences biologiques, Jean Danyluk a publié en juin 2006, dans la revue BMC Genomics, les résultats d’un important programme de recherche sur les gènes du blé responsables de la tolérance au froid et à d’autres stress environnementaux comme la chaleur ou la sécheresse. «Nous avons montré que la tolérance au froid est complexe et dépend de plusieurs gènes, explique le professeur. Elle touche la respiration, la photosynthèse et plusieurs autres fonctions. En fait, on estime qu’environ 10 % du génome est impliqué dans les ajustements aux niveaux biochimique, physiologique et métabolique qui entrent en jeu dans la tolérance au froid.»

Dans ses recherches, Jean Danyluk s’intéresse plus particulièrement à un groupe de 19 gènes régulateurs (des gènes dont la fonction principale est de contrôler l’action d’autres gènes) appartenant à la famille des CBF et qui seraient probablement impliqués dans la résistance au froid. «Les appareils dont nous allons nous équiper au cours des prochains mois vont nous permettre de caractériser et de comparer non seulement ces 19 gènes, mais aussi les variantes de chacun de ces gènes», précise le biologiste.

Un nouveau cultivar d’élite

De subtiles différences moléculaires au niveau de ces 19 gènes régulateurs peuvent augmenter de 2º à 4º la tolérance au gel, ajoute le chercheur, qui s’intéresse non seulement à l’ADN des gènes ciblés mais aussi aux interactions entre ces facteurs de régulation. Une fois que ces mécanismes auront été élucidés, il sera plus aisé d’interroger les banques contenant les milliers de génotypes de blés existants, afin de déterminer celui qui contient la variante génétique apportant la meilleure résistance au froid. «Il s’agira ensuite de croiser ce génotype avec un cultivar d’élite jusqu’à ce que l’on obtienne un nouveau cultivar comportant toutes les caractéristiques recherchées du cultivar d’élite et la tolérance accrue au gel», dit Jean Danyluk.

À cette étape, on parle de recherches d’une ampleur dépassant les moyens d’un laboratoire universitaire, précise le chercheur. «Mon but est de développer une expertise et des hypothèses de recherche suffisamment solides pour convaincre l’industrie d’aller plus loin, explique-t-il. Si ce n’est pas moi qui le fais, d’autres chercheurs le feront. Deux autres groupes, aux États- Unis, s’intéressent au même groupe de gènes de la famille des CBF.»

Génomique sans OGM

Depuis des millénaires, les cultivateurs ont amélioré, par croisements successifs, les génotypes des différentes variétés de blés cultivées dans le monde, mais «depuis une vingtaine d’années, les améliorations sont négligeables, dit Jean Danyluk. C’est pour cette raison que l’agriculture se tourne vers la génomique.» Mais attention, souligne le chercheur, «cela n’implique pas nécessairement la création d’organismes génétiquement modifiés (OGM)». En effet, la nouvelle variété de blé résistante au froid sera produite par croisements, et non en lui insérant des gènes d’une autre plante.

Mais pourquoi veut-on un blé qui tolère mieux le gel? «Au Canada, la majorité du blé qui pousse dans nos champs est un blé de printemps, répond le biologiste, et ce blé ne supporte pas que le mercure descende plus bas que -8ºC.» Il existe des blés beaucoup plus coriaces, qui peuvent résister à des températures aussi basses que -20ºC, mais cela n’est pas suffisant pour le Canada, où la température tombe fréquemment sous cette barre, particulièrement dans les Prairies, où est cultivée la majeure partie des céréales canadiennes. En fait, il n’y a que dans le sud de l’Ontario où l’on peut cultiver le blé d’hiver.

«Le blé d’hiver est 50 % plus productif», note Jean Danyluk. Un avantage considérable quand on considère que le blé fait partie, avec le riz et le maïs, des trois principales céréales consommées à l’échelle de la planète. Le blé d’hiver est aussi plus facile à cultiver. «On le sème en septembre, la plante s’acclimate, puis tombe en dormance pendant la période de gel et se remet à pousser au printemps, en utilisant l’eau du sol qui dégèle, explique le chercheur. La récolte est beaucoup plus rapide, ce qui fait que les plantes sont moins susceptibles de souffrir de sécheresse ou d’être la cible d’insectes qui apparaissent plus tardivement dans l’été.»

Avec le réchauffement climatique, on s’attend à ce que la température au Canada augmente d’environ 2°C, souligne le chercheur. Si l’on réussissait à augmenter la tolérance du blé au froid de quelques degrés, on pourrait envisager de cultiver davantage de blé d’hiver et grandement améliorer le rendement des cultures. «Ce que nous apprendrons au cours de ces recherches pourra aussi s’appliquer à d’autres céréales, souligne Jean Danyluk. Si on identifie les molécules impliquée dans le processus de tolérance au froid, on pourra développer des stratégies afin d’améliorer la résistance de différentes plantes d’importance économique.»