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Des enfants en mal d’attachement

Par Marie-Claude Bourdon

29 septembre 2008 à 0 h 09

Mis à jour le 17 avril 2015 à 15 h 04

Avec les modifications récemment apportées à la Loi sur la protection de la jeunesse, fini le temps où l’on favorisait à tout prix le maintien de l’enfant dans sa famille d’origine. On veut désormais que les intervenants, les avocats et les juges prennent davantage en compte les impacts sur le développement de l’enfant des décisions qui sont prises à son sujet. «La nouvelle loi a pour objectif d’éviter les placements à répétition, rappelle Chantal Cyr, professeure au Département de psychologie. Elle stipule que les parents ont un temps limité, selon l’âge de l’enfant, pour démontrer qu’ils sont en mesure d’assumer leurs responsabilités parentales.»

Pour répondre aux exigences de la nouvelle loi, on doit être en mesure de produire rapidement une évaluation juste des risques pour les enfants dont les cas ont été signalés à la DPJ. «Certaines situations sont tellement problématiques que la nécessité du retrait ne fait pas de doute; à l’autre bout du spectre, d’autres sont clairement des accidents de parcours, note Chantal Cyr. Mais la plupart se situent dans une zone de flou qui rend leur évaluation très difficile pour les intervenants.»

En collaboration avec les intervenants du Centre d’expertise en maltraitance sur l’évaluation des jeunes enfants et de leurs parents, récemment mis sur pied par les Centres Jeunesse de Montréal, la chercheuse vient d’entamer un projet de recherche sur un programme d’évaluation et d’intervention pour les jeunes enfants (0-5 ans) victimes de maltraitance et leurs parents. Son projet, pour lequel elle a reçu une bourse de carrière du Fonds de recherche en santé du Québec, est également mené en collaboration avec l’Institut de recherche pour le développement social des jeunes et avec le chercheur Daniel Paquette, du Département de psychoéducation de l’Université de Montréal, qui a le mandat d’évaluer la pertinence du Centre.

Une figure sécurisante

Le programme que les chercheurs vont tester est entièrement basé sur la théorie de l’attachement. «Selon cette théorie, c’est l’attachement sécurisant de l’enfant au parent qui lui permet d’explorer son environnement et de développer ses apprentissages», explique Chantal Cyr. À l’inverse, un enfant dont le mode d’attachement est désorganisé présentera plus de difficultés sur le plan cognitif, plus de problèmes de comportement, d’échecs scolaires et de problèmes de santé mentale.

«On parle d’attachement désorganisé quand l’enfant recherche le réconfort auprès de son parent tout en ayant peur de lui. Selon les études, 86 % des enfants maltraités présentent un type d’attachement désorganisé», précise la chercheuse.

Le programme d’évaluation utilisé par les intervenants du Centre est-il adéquat pour statuer sur les compétences parentales en lien avec le développement de l’enfant? Permet-il d’évaluer la capacité du parent à changer ses comportements pour favoriser le développement d’un attachement empreint de sécurité chez l’enfant? Telles sont les questions au coeur du projet de recherche de Chantal Cyr.

Rétroaction vidéo

«Il ne s’agit pas d’une évaluation statique, précise la chercheuse. Pendant les huit semaines que dure le programme, les interventions visent à améliorer la sensibilité parentale, le plus important facteur favorisant l’attachement sécurisant, entre autres grâce à la rétroaction vidéo.» Le parent est filmé dans une situation de jeu avec l’enfant, puis le visionnement de la vidéo permet à l’intervenant de lui signaler ses comportements sensibles, de manière à les renforcer. «Les parents abusifs ont souvent une estime d’eux-mêmes diminuée, souligne la chercheuse. L’idée est de miser sur leurs forces tout en leur montrant, quand la confiance est établie, à mieux décoder les signaux de détresse de l’enfant.»

D’autres recherches ont déjà démontré l’efficacité du programme de rétroaction vidéo pour améliorer le comportement des parents, mais il existe encore peu d’études portant sur des échantillons composés d’enfants maltraités et de leurs parents. «Les applications cliniques de la théorie de l’attachement se multiplient, dit Chantal Cyr. Elles sont utilisées auprès de différentes populations d’enfants placés, adoptés ou prématurés pour favoriser l’attachement sécurisant du petit au parent. Mais il est difficile de recruter des enfants maltraités. Il ne suffit pas de la volonté du chercheur. Il faut aussi une ouverture du milieu clinique.»

Son projet de recherche comporte un volet sur les facteurs qui favorisent la mise en place du programme, incluant la formation des intervenants, la supervision qu’ils reçoivent et l’ouverture des gestionnaires à ce type d’intervention. «L’objectif est d’identifier les meilleures conditions d’implantation afin de faciliter sa mise en oeuvre ailleurs», précise Chantal Cyr.