“Les hommes sont comme de l’or. Une fois terni, il peut être poli et retrouver sa valeur d’antan. Les femmes, elles, sont comme un linge blanc. Un fois souillé, il ne retrouvera jamais sa couleur d’antan.” «Ce dicton cambodgien en dit long sur la façon dont on considère les femmes dans ce pays», souligne Sabrina Ouellet qui a effectué un stage de trois mois au Cambodge l’an dernier, dans le cadre de sa maîtrise en droit international.
Avec son amie Dominique Larochelle (maîtrise, science politique) Sabrina faisait partie d’un groupe de 15 étudiants stagiaires qui témoigneront de leur expérience au Cambodge les 27 et 28 mars prochains à l’UQAM (local D-R200), lors de conférences publiques organisées par l’Institut d’études internationales de Montréal. Ces conférences dresseront le bilan d’un projet de partenariat entre l’Institut, le Service aux collectivités de l’UQAM et la Ligue cambodgienne pour la promotion et la défense des droits de l’homme (LICADHO).
Amorcé en 2005 et financé par l’ACDI, le projet visait à appuyer la LICADHO dans ses efforts pour aider les femmes et jeunes filles du Cambodge victimes de violence familiale, d’abus et de trafic sexuels. Outre l’organisation de stages pour les étudiants, le projet avait aussi pour objectifs de favoriser la création de réseaux communautaires pour mieux protéger les droits des femmes et de renforcer l’appui juridique et psychologique aux victimes.
Système juridique déficient
Dominique Larochelle a effectué son stage dans la capitale Phnom Penh, où se trouve le siège social de la LICADHO. Elle a produit un documentsynthèse sur la traite sexuelle des femmes au Cambodge qui a servi d’outil de travail pour la LICADHO, et a fait enquête sur des expériences de mobilisation – distribution de pamphlets, théâtre de rue, manifestations – dans le but de sensibiliser la population à l’égard des droits des femmes. «J’ai éprouvé un véritable coup de coeur pour le peuple cambodgien et je sais maintenant que mon mémoire de maîtrise traitera des droits de la personne», dit Dominique.
Sabrina, de son côté, a comparé et analysé les législations cambodgienne, australienne et japonaise dans les domaines du droit familial et de la violence conjugale. «Le système juridique cambodgien est largement déficient, soutient-elle. Aucune loi ne permet de prévenir et de sanctionner la traite des femmes et des enfants. Il n’est pas rare non plus que les avocats de la LICADHO, comme d’autres défenseurs des droits humains, fassent l’objet d’intimidations et même de menaces de mort.»
La jeune étudiante s’est intéressée également au phénomène des expropriations en milieu urbain et rural. «À Phnom Penh, par exemple, des gens sont expulsés de leur foyer et refoulés à la périphérie de la ville où il y a ni eau potable, ni électricité. Tout ça pour permettre l’établissement sur leurs terrains d’entreprises commerciales. J’ai pu suivre un procès où des avocats de la LICADHO défendaient des villageois menacés d’emprisonnement, parce qu’ils avaient osé se défendre en lançant des pierres à des policiers venus incendier leurs maisons.»
Corruption généralisée
Les deux stagiaires n’étaient pas confinées au travail de bureau et pouvaient participer à des activités en dehors de leurs tâches quotidiennes. «Avec une équipe de la LICADHO, j’ai participé à la distribution de hamacs, de moustiquaires et de jouets dans une prison où vivaient des femmes avec leurs jeunes enfants, raconte Sabrina. L’organisme a d’ailleurs créé un programme permettant de recueillir de l’argent pour acheter et distribuer des vivres et du savon à ces prisonnières.»
La corruption sévit à tous les niveaux et est même devenue un mode de survie pour ceux, nombreux, qui n’arrivent pas à joindre les deux bouts, poursuit Dominique. «J’ai vu des conducteurs de motos-taxis donner de l’argent à des policiers pour éviter de payer des contraventions. Les gens n’ont pas confiance dans leurs institutions et préfèrent régler leurs problèmes entre eux.»
Trois mois au Cambodge, c’est formidable, mais c’est trop court, disent les deux étudiantes. «J’y retournerais demain matin, lance Dominique dont la vision de l’aide internationale s’est transformée. J’ai compris que l’on ne pouvait pas se substituer aux organisations locales qui connaissent mieux que nous les besoins de la population.» Sabrina a réalisé pour sa part qu’elle aimait à la fois le travail de recherche et celui de terrain. «J’ai pris davantage confiance en mes capacités sur le plan professionnel. Et, surtout, je suis fière d’avoir travaillé avec les membres de la LICADHO, des personnes exceptionnelles dont le dévouement et l’acharnement forcent l’admiration.»