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Préserver à tout prix la forêt boréale

Par Claude Gauvreau

17 septembre 2007 à 0 h 09

Mis à jour le 17 avril 2015 à 16 h 04

Une nouvelle pièce s’est ajoutée au lourd dossier de la conservation de la forêt boréale canadienne. Dernièrement, dans une lettre adressée à tous les chefs de gouvernement au Canada, 1 500 scientifiques de 50 pays, dont une vingtaine de chercheurs de l’UQAM, ont lancé un appel pour la protection de la région boréale canadienne, l’un des derniers grands écosystèmes forestiers encore intact qui abrite le quart des forêts vierges restantes de la planète.

Alors que le développement industriel est interdit officiellement sur 10 % de la superficie de la forêt boréale, les scientifiques recommandent d’en préserver au minimum 50 % par la création de grandes aires protégées, et de ne permettre qu’un aménagement soigneusement encadré du reste de la forêt. Ils demandent également au Canada d’adopter la Convention pour la conservation de la forêt boréale, laquelle a déjà été approuvée par 25 Premières nations autochtones, des groupes canadiens voués à la conservation et plus de 75 grandes entreprises.

Christian Messier, directeur du Centre d’étude de la forêt (CEF) et professeur au Département des sciences biologiques, appuie la démarche de ses confrères. «Les scientifiques disent que nous sommes en train de brûler la chandelle par les deux bouts. Non seulement les coupes forestières, se poursuivent dans la partie sud de la forêt boréale, là où la diversité des espèces est la plus grande et où s’intensifient les pressions exercées par l’industrie pétrolière et l’exploitation forestière, mais elles atteignent maintenant le nord de la région qui abrite les dernières grandes forêts vierges ou primaires, non perturbées par l’homme.»

La forêt boréale canadienne, rappelle le chercheur, agit comme un puits de carbone, constitue une source majeure d’eau douce en Amérique du Nord et héberge quelques-unes des populations de loups, d’ours et de caribous les plus importantes du globe. Ses fleuves, lacs et rivières offrent du poisson en abondance et ses arbres et marécages fournissent des sites de nidification à une multitude d’oiseaux chanteurs migrateurs. Enfin, de nombreuses communautés autochtones dépendent des écosystèmes de la forêt boréale pour leurs moyens de subsistance.

Protéger la biodiversité

Au cours des 50 dernières années, souligne M. Messier, au-delà de la moitié des forêts primaires ont été détruites par l’homme et, aujourd’hui, plus de 70 % de celles qui restent se concentrent dans trois pays : le Canada, la Russie et le Brésil. Selon lui, leur disparition progressive est particulièrement préoccupante puisqu’elles abritent des millions d’espèces vivantes et de nombreux processus écologiques : fixation du carbone, filtrage de l’eau, production d’oxygène, formation du sol et régularisation du climat. «Au Canada, chaque année, ce sont un million d’hectares, pour la majorité en forêt primaire, qui sont coupés ou transformés en forêts dites secondaires causant des pertes importantes en matière de biodiversité.»

Faut-il protéger 50 % de la forêt boréale canadienne, comme le réclament les scientifiques? Difficile de déterminer un pourcentage précis, répond le chercheur. «Au Québec, cependant, nous tirons de l’arrière avec 3 % d’aires protégées et sommes loin de l’objectif de 12 % fixé par la Commission Coulombe en 2004.»

Pour un équilibre entre exploitation et protection

La forêt boréale canadienne revêt aussi une importance économique majeure. Les quelque 7 000 établissements forestiers établis dans les forêts canadiennes assurent des emplois à près de 400 000 personnes. Environ la moitié du bois récolté au Canada chaque année provient de la région boréale et contribue, à raison de plus de 400 millions de dollars, aux rentrées de fonds du gouvernement provenant de ce secteur.

Christian Messier croit que l’on peut concilier les besoins industriels et la protection de l’écosystème forestier. C’est pourquoi il prône l’aménagement écosystémique. Cette approche vise à minimiser la perte de biodiversité dans les forêts aménagées en proposant de nouvelles pratiques d’exploitation forestière, sans exclure la protection d’une bonne proportion des forêts primaires restantes. Avec d’autres chercheurs, il expérimente dans une forêt de la Mauricie un nouveau schéma d’aménagement baptisé Triade. Il s’agit d’organiser la forêt en trois zones : une zone d’aménagement intensif où 10 à 20 % du territoire est réservé à la ligniculture, une deuxième abritant des aires protégées et, enfin, une troisième zone, couvrant entre 60 et 70 % du territoire, consacrée à l’aménagement écosystémique qui permet de reproduire les conditions naturelles de régénération de la forêt par des coupes sélectives.

Deux grandes types de forêt sur la planète demeuraient relativement peu perturbés par l’homme : la forêt boréale et les grandes forêts tropicale situées en Amazonie et au centre de l’Afrique, extrêmement diversifiées mais en voie d’être transformées en pâturages ou en champs de maïs et de soya. «Ces grands écosystèmes font partie du patrimoine mondial et nous devons en conserver une partie importante pour la léguer à nos enfants et à nos petits-enfants», conclut M. Messier.