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Première politique québécoise de lutte contre le racisme

Par Claude Gauvreau

5 février 2007 à 0 h 02

Mis à jour le 17 avril 2015 à 16 h 04

Tout le monde reconnaît que la société québécoise est une société ouverte, pluraliste et tolérante. Il n’empêche que le Québec s’apprête, dès le printemps prochain, à adopter une politique gouvernementale de lutte contre le racisme et la discrimination. «C’est une première et il faut s’en réjouir», souligne Micheline Labelle, directrice du Centre de recherche sur l’immigration, l’ethnicité et la citoyenneté (CRIEC). Rappelons que, l’automne dernier, une commission parlementaire avait reçu plus d’une centaine de mémoires portant sur ce projet de politique, dont celui de l’Observatoire international sur le racisme et les discriminations, rattaché au CRIEC.

Les données objectives et fiables sur le racisme sont peu nombreuses, observe Mme Labelle, qui est aussi l’auteure d’Un lexique du racisme, étude réalisée en 2006 pour l’UNESCO. «La lutte contre le racisme nécessite l’identification de groupes cibles, la collecte de données sociodémographiques et socioéconomiques, ainsi que la réalisation d’un bilan annuel des incidents et des cas de discrimination à caractère raciste par un organisme impartial et non soumis aux pressions des gouvernements et des lobbys.»

Néanmoins, depuis les attentats du 11 septembre 2001, divers rapports ont souligné une résurgence des manifestations du racisme en Europe et en Amérique du Nord, y compris au Canada. «Le Rapporteur spécial auprès de la Commission des droits de l’homme de l’ONU, M. Doudou Diène, a effectué une mission au Canada en 2003. Selon son rapport, les autochtones, les communautés noires, les Arabes et les musulmans sont les cibles privilégiées du racisme dans la société canadienne», précise Mme Labelle.

Préjugés et comportements

Selon la directrice du CRIEC, la complexité du phénomène entraîne de la confusion dans l’opinion publique entre racisme, xénophobie et ethnocentrisme. Cerner les principales manifestations du racisme tout en reconnaissant leur degré de gravité est tout aussi compliqué : préjugés, discrimination, ségrégation, violence, crimes haineux. «Le fait d’avoir des préjugés à caractère raciste ne signifie pas que l’on aura des comportements racistes, dit-elle. Et contrairement à ce qu’a déclaré le sondeur Jean-Marc Léger, le racisme n’implique pas tous les comportements ou propos désagréables tenus à l’égard d’une personne d’une autre culture. Chose certaine, le racisme suppose toujours l’existence de rapports de pouvoir et de domination à l’égard de groupes précis.»

Le racisme s’est transformé depuis la Seconde Guerre mondiale, explique Mme Labelle. La forme classique, toujours vivante, postule l’existence de races humaines distinctes, certaines étant biologiquement supérieures, légitimant ainsi l’exploitation et la domination. Le néo-racisme, quant à lui, se fonde sur le caractère irréductible et incompatible des différences culturelles et entraîne la mise à distance et l’exclusion sociale. Ainsi, certains soutiennent que les cultures musulmanes et arabes seraient haineuses et violentes par nature.

La lutte contre la pauvreté : une priorité

Selon une étude du ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale au Québec, le taux de chômage chez les minorités dites visibles était, en 2002, environ le double de celui de la population québécoise en général. «La principale priorité du gouvernement en matière de lutte contre le racisme et la discrimination devrait être la lutte contre la pauvreté parce qu’elle est un terreau fertile pour le développement de préjugés qui tendent à se traduire par de la discrimination», affirme Micheline Labelle.

Il faut aussi contrer toute forme de discrimination à caractère raciste, comme le fait de refuser à une personne l’accès à un emploi ou à un logement sous prétexte qu’elle est d’une race inférieure ou différente, poursuit la chercheuse. C’est pourquoi le CRIEC recommande un suivi plus serré des programmes d’égalité d’accès en emploi. Il propose également, conformément au voeu de l’UNESCO, un partenariat entre les villes afin d’améliorer leurs politiques anti-racistes.

Le combat contre le racisme en est un de longue haleine et exige un travail d’éducation, souligne Mme Labelle. «L’éducation anti-raciste doit être associée au respect des droits de la personne et aider à faire comprendre les manifestations spécifiques du racisme. Elles se distingue de l’éducation interculturelle qui est davantage axée sur la compréhension et la promotion de la diversité sociale.»

Le CRIEC recommande enfin des mesures symboliques fortes pour favoriser le devoir et le travail de mémoire. Un peu à l’image de l’Assemblée nationale du Québec qui, chaque année, vote une motion de commémoration d’un tort historique causé à l’endroit d’une communauté donnée, qu’il s’agisse des Juifs, des Arméniens ou des Afro-descendants du Québec.

La politique gouvernementale devra établir clairement ce que l’État entend faire en matière de prévention et de formation dans divers milieux, comme ceux de l’éducation, des services sociaux et de la sécurité publique, conclut Micheline Labelle.