Il s’est décrit un jour comme un scribe et un témoin, un être fait d’antennes. «Ce que j’écris vient de ce que je capte, de ce que les gens autour de moi vivent et éprouvent.» Poète, essayiste et professeur associé au Département d’études littéraires, Paul Chamberland vient de recevoir, pour l’ensemble de son oeuvre, le prix Athanase-David 2007, la plus haute distinction accordée par le gouvernement du Québec dans le domaine des lettres. «D’autres écrivains de ma génération ou des plus jeunes auraient pu obtenir ce prix. J’ai eu la chance de pouvoir compter sur l’appui de mon université et des collègues de mon département. Pour moi, c’est très émouvant», dit-il de sa voix calme et suave.
Né en 1939, Paul Chamberland fait des études de lettres et de philosophie à Montréal et à Paris. Cofondateur de la revue Parti Pris en 1963, il publie alors ses premiers recueils de poèmes, Terre Québec (1964) et L’afficheur hurle (1965), qui ne passent pas inaperçus. Au cours des années 1970, Paul Chamberland s’implique dans le mouvement de la contre-culture, jouant un rôle d’animateur au sein de l’équipe d’In-Média, puis de la Fabrike d’ékriture, et collaborant aux revues Mainmise et Hobo-Québec. C’est aussi l’époque où il fait l’expérience de la vie dans une commune.
À partir de 1985, il donne des ateliers d’écriture à l’UQAM, avant d’être nommé professeur au Département d’études littéraires en 1992. Depuis, il poursuit ses activités de poète et sa réflexion sur des questions sociales dans ses essais Un livre de morale (1989), En nouvelle barbarie (1999) et Une politique de la douleur (2004).
Belle et rebelle
Il y a du philosophe en Paul Chamberland. Des penseurs comme Nietzsche et Emmanuel Lévinas ont énormément compté pour lui, reconnaît- il. La politique aussi a toujours été présente dans son oeuvre et l’a conduit à un questionnement éthique. «L’effondrement des régimes socialistes à la fin des années 80 a inauguré une ère de soupçon où tout devait être questionné, les visées révolutionnaires et utopistes y compris, rappelle l’écrivain. Mais les opprimés et les vaincus sont toujours à l’ordre du jour et il est encore possible de rompre le récit que les vainqueurs font de l’histoire.»
Pour le poète-philosophe, la poésie et l’essai sont deux modes d’expression aussi importants l’un que l’autre. «Chez moi, la poésie est également une forme de la pensée et son côté intransigeant, voire impatient, a pour effet de relancer l’écriture argumentative de l’essai», explique-t-il.
Paul Chamberland croit en la nécessité de la poésie parce qu’elle est un lieu de résistance, une riposte de l’humain face à l’inhumain. «La poésie résiste parce qu’elle fait échec d’abord à tout ce qui est cliché ou stéréotype. Assumant la précarité et la fragilité de la condition humaine, elle est dans l’accueil du vivant. Selon moi, c’est là où réside la politique du poème. Comme disait Raoul Duguay, la poésie n’est pas que belle, elle est aussi rebelle.»
La force de la douleur
Dans Une politique de la douleur, son dernier essai, Paul Chamberland parle de la menace de déshumanisation, du danger du technoscientisme et de l’indifférence à la douleur de l’autre. La situation est critique, écrit-il, car les êtres humains possèdent des moyens de destruction démesurés : pollution, effet de serre, dégradation du milieu vivant, désordre planétaire, etc.
En réponse à une «politique de la haine et de la colère», et contre «l’autisme social du me, myself and I», Paul Chamberland oppose une politique qui rompt avec toute volonté de domination et dont le principe directeur est le respect inconditionnel de chaque être humain. «Il faut désamorcer la haine et la colère, d’abord en soi, ensuite partout où c’est possible. » Reconnaître la faiblesse comme notre commune condition et y voir une force, la douleur étant ce qui rassemble tous les humains.
Malgré une trajectoire atypique, Paul Chamberland a toujours aimé l’enseignement, nourrissant une passion constante pour la relation pédagogique. Au fil des ans, il a dirigé de nombreux étudiants de maîtrise, dont certains ont publié des recueils de poésie. «Ce que je vois se déployer chez les jeunes poètes d’aujourd’hui, c’est la ferveur et l’intelligence. Ça continue. et ça donne une sorte d’espérance.»
L’espérance est une figure familière dans l’oeuvre de Paul Chamberland, comme dans ces strophes du recueil Au seuil d’une autre Terre, publié en 2003 : «Ton souffle, ta paume/contre ma tempe./Un seul rameau frémit/ contre le bleu de l’aube./Tes bras frais m’enveloppent/et me scellent au creuset/du coeur où croît une autre/ Terre. que nul n’entend./Là, confié au tourment, je pressens,/si ténue, se délier une aile.»