Voir plus
Voir moins

Marier le verbe et l’image

Par Claude Gauvreau

8 janvier 2007 à 0 h 01

Mis à jour le 17 avril 2015 à 16 h 04

«Les oeuvres d’art ne sont jamais de purs objets mais des entités sensibles, des sujets à part entière, avec une âme, un sens et du non-sens», affirme Pierre Ouellet, professeur au Département d’études littéraires. Essayiste, poète et romancier, il a remporté récemment le Prix du Gouverneur général 2006, dans la catégorie «Études et essais», pour son livre À force de voir : histoire de regards (éditions du Noroît). Il s’agit du plus prestigieux prix décerné au Canada pour récompenser la littérature d’ici, de langue française et de langue anglaise. Pour ce même essai, il a également reçu le Prix des écrivains francophones d’Amérique.

Ce livre, qualifié d’essai-fiction par son auteur, porte sur les peintures, sculptures, photographies, installations et chorégraphies de treize artistes d’ici et d’ailleurs. Selon le Conseil des arts du Canada, il offre un apport majeur à la lecture des oeuvres d’art contemporain et met à leur service une langue précise qui intègre de façon éblouissante la poésie à l’essai.

Quant à son titre, À force de voir, il ne renvoie pas à des notions préétablies empruntées à l’histoire de l’art, mais à l’intensité du regard. Celui de Pierre Ouellet, à la fois poétique théorique et critique, porte moins sur la thématique des oeuvres d’art que sur la force sensorielle qu’elles dégagent à travers leur matière, leur forme, leur couleur et leur texture.

Penser à partir des sensations

En mariant le verbe et l’image, Pierre Ouellet cherche d’abord à évoquer les sensations que l’on éprouve face aux oeuvres picturales. «Pour moi, toute image peinte, sculptée ou photographiée, se prolonge indéfiniment dans la parole qui en garde la mémoire et en redéploie l’imagination pour donner naissance à de nouvelles images d’une intensité presque visuelle.»

Il a aussi essayé d’exprimer les idées que ces sensations pouvaient lui inspirer en utilisant la dimension métaphorique. «On ne pense à jamais à partir de purs concepts. Même des penseurs comme Platon et Descartes ont eu recours à la fiction (fables, allégories) pour illustrer leurs concepts les plus abstraits. On a trop tendance à déprécier le langage poétique et ses images verbales, lesquels peuvent également être porteurs d’idées», souligne-t-il.

Selon l’écrivain, beaucoup d’artistes contemporains, sans en être toujours conscients, font référence à la mémoire du XXe siècle et de ses horreurs : guerres, totalitarismes, géno- cides, etc. Ainsi, plusieurs des oeuvres étudiées dans À force de voir, comme les personnages crucifiés de Ronald Grieco ou les masques funéraires de Dalia Chauveau, sont d’une coloration très sombre et témoignent d’un deuil. Ce deuil serait celui de l’histoire avec un H majuscule, de la croyance dans un progrès continu et des grandes utopies émancipatrices, soutient Pierre Ouellet.

Canalisations de l’espoir…

Mais les oeuvres d’art constituent aussi des bouffées d’oxygène dans un monde souvent étouffant, parce que saturé de messages de toutes sortes, poursuit le chercheur. «Alors que nous vivons dans une société où la communication est omniprésente, où il y a surcharge d’images et d’informations, comme si tout devait être vu et montré, les oeuvres évoquent des lieux qui, sans être des refuges, permettent la halte et le recueillement. Elles favorisent le travail de l’imagination et la création d’un autre sens lié aux affects et aux émotions.»

Pierre Ouellet estime que «l’art et la littérature sont des canalisations de l’espoir et de la colère, du désir et des angoisses, qui nous conduisent vers des espaces de liberté où l’on peut respirer… un air autre.» Auteur de plus de 30 ouvrages et d’innombrables articles, il croit au pouvoir souterrain des livres et aime les comparer à de «petits boucliers anti-missile personnels», où l’on se défend contre l’insignifiance et l’insensé.