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L’iniquité environnementale sévit à Montréal

Par Dominique Forget

15 octobre 2007 à 0 h 10

Mis à jour le 17 avril 2015 à 16 h 04

Plus il y a de sources de pollution dans un quartier, plus on y trouve des familles pauvres ou membres de minorités ethniques. Ainsi, les groupes les plus défavorisés ne seraient pas seulement victimes d’exclusion sociale ou économique, ils seraient aussi victimes d’iniquité environnementale. C’est vrai dans plusieurs villes américaines… et à Montréal, comme l’a démontré Stéphanie Premji, étudiante au doctorat en sciences de l’environnement au sein du CINBIOSE, en collaboration avec Audrey Smargiassi, chercheuse à la Direction de la santé publique de Montréal, Mark Daniel, professeur au Département de médecine sociale et préventive de l’Université de Montréal, et Frédéric Bertrand, spécialiste en analyses statistiques au sein de Science-Metrix.

Le concept d’iniquité environnementale est né aux États-Unis en 1967, quand un groupe d’étudiants afro-américains a protesté dans un dépotoir installé dans un quartier noir de Houston. Depuis, le mouvement a pris une importance nationale. Il est bien connu que des villes comme Chicago, Los Angeles, La Nouvelle- Orléans ou Miami sont le siège d’une importante ségrégation géographique. Les Noirs ou les Latinos vivent à l’écart des mieux nantis. «Plusieurs recherches ont montré que ces populations étaient davantage exposées à des polluants dans leur quartier résidentiel que leurs concitoyens blancs», raconte Stéphanie Premji. Les études ont eu un impact tel qu’en 1994, le président Bill Clinton a signé le décret 12898 obligeant d’une part les organismes fédéraux à tenir compte des questions de justice environnementale dans leurs processus décisionnels, et établissant d’autre part un groupe de travail sur la question.

La situation montréalaise

Au Canada, ce mouvement a eu peu d’écho. Quelques études ont été réalisées dans des villes ontariennes, sans plus. Stéphanie Premji et ses collègues ont voulu combler ce vide. Dans un premier temps, ils ont dépouillé les données de l’Inventaire national des rejets de polluants (INRP), tenu par Environnement Canada depuis 1992. Les entreprises canadiennes qui émettent un des 265 polluants fichés au règlement et qui répondent à certains critères en terme de volume d’activité, sont tenues de produire une déclaration annuelle en ce qui concerne leurs rejets dans l’air, dans l’eau ou dans le sol. Toutes ces données sont inscrites dans un registre public. «Grâce aux codes postaux des entreprises déclarantes, nous avons réparti les sources de pollution sur l’île de Montréal, explique la doctorante. Nous avons ensuite croisé ces informations avec certaines données recueillies par Statistique Canada dans le cadre des recensements de 1996 et 2001, comme le niveau de scolarité des habitants de chaque quartier, leur revenu ou leur origine ethnique.»

Les résultats ne surprendront pas ceux qui connaissent bien Montréal. L’est de la ville, où sont installées les raffineries de pétrole, des usines de transformation de produits chimiques, quelques entreprises spécialisées en métallurgie et la station d’épuration des eaux usées, est habité par des Montréalais dont le niveau de scolarité et le revenu sont inférieurs à la moyenne. «A priori, ça peut sembler évident pour ceux qui habitent la ville, mais il est important de documenter ces différences pour sensibiliser les décideurs et éclairer l’adoption de politiques publiques.»

D’autres études

Stéphanie Premji souligne que d’autres études seront nécessaires pour dresser un portrait plus clair de la situation montréalaise. «Est-ce que ce sont les industries qui s’installent systématiquement dans les quartiers défavorisés ou plutôt les familles démunies qui élisent domicile dans les quartiers industriels? Il faudra plonger dans l’histoire pour répondre adéquatement à ces questions.»

La doctorante souligne que des études en santé environnementale devront aussi être entreprises pour évaluer l’impact de l’exposition à la pollution chez les populations qui habitent les quartiers défavorisés. «Ces études sont complexes parce qu’il est difficile de départager les problèmes de santé associés à la pollution des autres facteurs. On sait par exemple que les chômeurs ont plus de problèmes de santé que la moyenne. Ils fument plus et font moins d’exercice. Les populations démunies se nourrissent aussi moins bien que la moyenne. Il faudra faire des études de cas très poussées pour bien mettre en relief les impacts de l’iniquité environnementale.»