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Les trésors cachés de la bibliothèque

De magnifiques volumes anciens, des livres rares et plusieurs curiosités se cachent dans les rayons des collections spéciales.

Par Marie-Claude Bourdon

18 juin 2007 à 0 h 06

Mis à jour le 4 avril 2019 à 17 h 04

Série Cinquante ans d’histoire
L’UQAM, qui célèbre son 50e anniversaire en 2019-2020, a déjà beaucoup d’histoires à raconter. La plupart des textes de cette série ont été originalement publiés de 2006 à 2017 dans le magazine Inter. Des notes de mise à jour ont été ajoutées à l’occasion de leur rediffusion dans le cadre du cinquantième.

L’encyclopédie de Diderot et D’Alembert ou Dictionnaire raisonné des sciences, en 17 volumes (1751).Photo: Nathalie St-Pierre

Avec beaucoup de soin, Gilles Janson ouvre devant nous l’un des 17 volumes de l’édition originale (1751) de L’encyclopédie de Diderot et d’Alembert ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers. Le responsable de la collection des Livres rares [aujourd’hui retraité, il a été remplacé par Sylvie Alix] repart entre les rayons, puis revient avec Les voyages du sieur de Champlain Xaintongeois, capitaine ordinaire pour le Roy, en la marine, édité en 1613 et dont les illustrations ont orné de nombreux manuels d’histoire.

«Nous possédons aussi un exemplaire de l’Anticoton», confie Gilles Janson (M.A. histoire, 1993) avec fierté. Publié en 1610, ce célèbre pamphlet contre les Jésuites est une rareté, la plupart des exemplaires ayant été saisis et brûlés sur ordre du roi Louis XIII. Parmi les quelques copies qui ont traversé l’Atlantique, celle que possède l’UQAM aurait échappé à la destruction décrétée par Champlain.

Le De Finibus bonorum et malorum (Des suprêmes biens et des suprêmes maux) de Cicéron, un livre manuscrit de 1493, mangé par les vers qui ont creusé des trous minuscules au travers des pages. Photo: Nathalie St-Pierre

Bien d’autres trésors se cachent parmi les rayons des Livres rares. Le plus ancien est un incunable, un livre qui date des débuts de l’imprimerie. Cet ouvrage de cosmographie où l’Amérique n’apparaît pas encore a été imprimé en 1482. À l’époque, les moines recopiaient encore à la main des ouvrages entiers, comme le De Finibus bonorum et malorum (Des suprêmes biens et des suprêmes maux) de Cicéron, un livre manuscrit de 1493, mangé par les vers qui ont creusé des trous minuscules au travers des pages.

Cachez ces corps…

​Un peu plus loin, un ouvrage de Theodoro de Bry sur la conquête de l’Amérique du Sud, datant de 1602, a subi la censure d’un père bibliothécaire. Les indigènes des illustrations — de jolies gravures anciennes minutieusement exécutées — ont été habillés de caleçons dessinés à l’encre bleue! Sur un autre livre, les pères ont apposé un petit collant rouge, symbole de l’enfer. Sur la page de garde, ils préviennent le lecteur : «Livre très mauvais écrit par un protestant»…

LUn ouvrage de Theodoro de Bry sur la conquête de l’Amérique du Sud, datant de 1602, a subi la censure d’un père bibliothécaire. Les indigènes des illustrations — de jolies gravures anciennes minutieusement exécutées — ont été habillés de caleçons dessinés à l’encre bleue!.Photo: Nathalie St-Pierre

On trouve aussi sur les rayons l’oeuvre complète de Voltaire en 93 volumes, publiée en 1785, ainsi que celles de Rousseau et de Lamartine; une Histoire de la Nouvelle-France du père Charlevoix, qui a donné son nom à la région qui domine le fleuve; une édition originale des Anciens Canadiens, datant de 1863; un exemplaire numéroté de La petite poule d’eau de Gabrielle Roy, magnifiquement illustré et signé de la main de Jean-Paul Lemieux.

Certains ouvrages sont mieux conservés que d’autres et les plus anciens ne sont pas nécessairement les plus abîmés. «À partir de 1880, le papier est fait avec de la pulpe de bois, qui est très acide et qui se conserve moins bien que le chiffon, explique Gilles Janson. Certains volumes de 1750 sont donc en meilleur état que ceux de 1950.»

La collection des Livres rares des Bibliothèques de l’UQAM possède un exemplaire de l’édition originale de presque tous les romans canadiens-français publiés avant 1967 (année de l’adoption du Dépôt légal), mais aussi beaucoup de romans français du XVIIIe et du XIXe siècle et d’ouvrages sur l’histoire de l’Amérique et de la Nouvelle-France. Pour la plupart, les livres proviennent des fonds documentaires du Collège Sainte-Marie et de l’École Normale Jacques-Cartier, dont l’UQAM a hérité lors de sa fondation. Mais des donations privées permettent aussi à Gilles Janson d’augmenter la collection, qui comptait 29 000 volumes à son arrivée en 1996, alors qu’elle en rassemble aujourd’hui 45 000 [50 000 en 2019].

Miniatures et enluminures​

Photo: Nathalie St-Pierre

Une partie des plus beaux livres anciens de l’UQAM se trouve à la Bibliothèque des Arts, à cause de leur valeur graphique ou iconographique. Cette collection, qui vient de l’ancienne École des Beaux-Arts de Montréal, comprend, entre autres, trois livres manuscrits qui ont traversé les époques, avec leurs jolies lettrines ornées et enluminées : une petite bible du XIIIe siècle en latin, le livre d’Heures de Pellegrin de Remicourt (latin et français, 1478), qui contient de magnifiques miniatures; ainsi que l’Officium de la Vierge Marie (latin et italien, XVe siècle). Pour les manipuler, on doit enfiler des gants de coton sous le regard vigilant de la technicienne en documentation, Lise Dubois (B.A. histoire de l’art, 75), responsable de la Collection spéciale de la Bibliothèque des Arts [aujourd’hui retraitée].

Plusieurs professeurs et chercheurs s’intéressent aux joyaux des Bibliothèques. Brenda Dunn-Lardeau, du Département d’études littéraires [aujourd’hui professeure associée], vient de codiriger le numéro 15 de la collection des cahiers de recherche Figura, qui offre une superbe introduction aux plus beaux livres du Moyen Âge et de la Renaissance que l’on peut admirer dans les Bibliothèques de l’UQAM. Le livre médiéval et humaniste dans les Collections de l’UQAM. Actes de la première Journée d’études sur les livres anciens, suivis du Catalogue de l’exposition L’Humanisme et les imprimeurs français au XVIe siècle a été lancé en février [en 2018, elle a publié aux Presses de l’Université du Québec un Catalogue raisonné des livres d’Heures conservés au Québec].

Photo: Nathalie St-Pierre

La Collection spéciale de la Bibliothèque des Arts abrite aussi l’un des 400 exemplaires originaux du Refus global de Borduas, un catalogue raisonné de Picasso en 33 volumes, de superbes livres d’artistes, ainsi qu’une étonnante collection de livres-objets conçus par des professeurs et étudiants en arts visuels de l’UQAM. À côté de petits bijoux comme le livre-poire de la graphiste Wendy Simon, on trouve un livre conçu à partir d’un pain tranché (oui, oui…), des objets en bois hétéroclites, une boîte de biscuits en métal et un livre-objet intitulé Rose nanane sucé longtemps… De quoi s’assurer que la postérité n’oublie pas la folle créativité qui régnait à l’UQAM dans ses jeunes années!

Cartes et 45 tours…

«La Bibliothèque ne contient pas seulement des livres. Nous avons aussi d’autres trésors», souligne Lynda Gadoury, directrice par intérim de la Bibliothèque des Arts [aujourd’hui directrice générale des bibliothèques]. Au sous-sol de la Bibliothèque centrale, la Cartothèque est le paradis des maniaques de cartes. On y retrouve plus de 278 000 photos aériennes du Québec et du Canada, en plus de 48 000 cartes de toutes sortes, qui font le bonheur des chercheurs, notamment en géographie et en environnement. «La numérisation facilite grandement les recherches des chercheurs qui viennent des quatre coins du Québec pour consulter nos cartes», affirme Josée Lambert, la bibliothécaire responsable.

La Bibliothèque du Département de musique a aussi son trésor: une des plus imposantes collections de 45 tours de musique populaire au Québec (la collection Pouchet), quelque 10 000 disques, datant de la fin des années 1960 au début des années 1980. La bibliothécaire, Jillian Tomm [aujourd’hui chercheuse autonome], affirme que cette collection est méconnue à l’UQAM. «Je dois montrer à ceux qui la consultent comment fonctionne un tourne-disque», ajoute-t-elle en riant.

Source:
INTER, magazine de l’Université du Québec à Montréal, Vol. 5, no 1, printemps 2007.