From World Order to Global Disorder: Dorval Brunelle, professeur au Département de sociologie et directeur de l’Observatoire des Amériques, aime beaucoup le titre de la traduction anglaise de son livre La dérive globale (2003), qui vient de paraître chez UBC Press. «Le titre anglais est très éloquent », dit le professeur, qui analyse dans cet ouvrage les conséquences néfastes de la mondialisation des marchés. À ce «désordre global», Dorval Brunelle oppose le mouvement des forums sociaux, parti de Porto Alegre, au Brésil, en 2001. «Ces événements, dont le premier Forum social québécois qui vient de se tenir à l’UQAM, sont indispensables si on est toujours en quête d’un monde plus juste et plus équitable.»
Ce ne sont plus de grandes institutions animées par la recherche de la sécurité, de la justice et du bien-être qui dictent les règles de la gouvernance internationale, soutient le professeur dans son ouvrage, mais des instances axées principalement sur le commerce et la production de richesse. «Depuis la fin de la guerre froide, on a assisté à l’émergence d’un nouveau type de gouvernance à l’échelle mondiale, qui peut être caractérisée de publique/ privée, observe Dorval Brunelle. Les chefs d’États s’entendent avec les chefs des plus grandes entreprises du monde, qui sont d’ailleurs souvent plus grosses que les gouvernements. Et c’est en réaction à ce nouveau type de gouvernance que sont nés les forums sociaux.»
Le Forum économique mondial de Davos n’a rien d’un forum au sens originel du terme, fait valoir le sociologue. «Un forum, dit-il, c’est un endroit public. Or, Davos, c’est plutôt un club privé et c’est justement en réaction au fait que les grandes décisions se prennent, non pas dans un parlement, mais dans une station de ski au fond de la Suisse qu’on a créé les forums sociaux.»
Un espace ouvert à la délibération
De Porto Alegre à Montréal, en passant par Mumbai et Nairobi, le forum social est un espace ouvert à la délibération qui n’exclut personne, sauf les groupes militaires et les partis politiques, explique le professeur. «L’exclusion des partis donne lieu à une certaine ambiguïté dans le rapport au politique et parfois à un certain angélisme dans les déclarations qui émanent des forums, mais cette exclusion se justifie. L’argument, c’est que si on se laisse emprisonner dans des lignes politiques, on ne pourra plus parler d’un vrai forum social.»
Avec quelques collaborateurs, Dorval Brunelle vient de publier un autre livre en anglais, Global Democracy and the World Social Forums (Paradigm), destiné à expliquer au public américain, qui le connaît mal, ce qu’est le mouvement des forums sociaux. «Même les organisations militantes américaines ne sont pas tellement impliquées dans le mouvement des forums», dit le professeur, expliquant que pour les groupes de militants américains, le gouvernement états-unien, en tant que maître du monde, demeure le principal lieu de contestation. «Ça, c’est la bonne raison, dit-il. Mais il y a aussi le fait que les Américains ont l’habitude de ne pas jouer aux jeux dont ils n’ont pas défini eux-mêmes les règles. Or, le mouvement derrière les grands forums sociaux n’est pas américain, mais international.»
Lors du récent Forum social québécois, Dorval Brunelle a prononcé une conférence sur les enjeux de l’intégration économique des Amériques et sur les alternatives sociales. Selon la thèse principale de son livre sur la Dérive globale, c’est d’ailleurs l’accord de libre-échange nord-américain qui a servi de modèle à la transition vers l’ordre global actuel. «Le Partenariat pour la sécurité et la prospérité, qui a tenu son sommet à Montebello au mois d’août, ne fait que pousser cette logique un cran plus loin, dit-il. Encore une fois, des chefs de gouvernements, des fonctionnaires et des gens d’affaires se réunissent et discutent dans le plus grand secret. On veut nous faire croire qu’il ne s’y passe rien d’important. Voyons donc! Comme si l’homme le plus puissant de la planète se déplaçait pour des histoires de jelly beans!»
Selon le sociologue, il est faux de croire que le mouvement altermondialiste est essoufflé. «On ne tiendra peut-être plus de grands forums internationaux à chaque année, dit-il, mais le mouvement a généré partout dans le monde une multitude de petits sommets comme celui qu’on vient d’avoir à Montréal. En regard de la concentration de plus en plus poussée des médias, ce mouvement représente la conquête nécessaire d’un espace public de délibération. Et il n’est pas prêt de s’arrêter.» Le premier Forum social québécois a réuni plus de 5000 personnes à l’UQAM du 23 au 26 août dernier.