Le système d’éducation au Québec, depuis le primaire jusqu’à la fin du secondaire, n’est pas le seul à subir une réforme en profondeur. Sur d’autres continents, en Europe et en Afrique notamment, d’importantes réformes scolaires sont en cours d’implantation et soulèvent, comme au Québec, beaucoup de débats et de controverse.
Pour y voir plus clair, l’Observatoire des réformes en éducation (ORÉ), basé à l’UQAM, organise un colloque international intitulé «Logique de compétences et développement curriculaire : débats, perspectives et alternative pour les systèmes éducatifs», qui se tiendra les 26 et 27 avril prochains, au pavillon Sherbrooke du Complexe des sciences (amphithéâtre SH-2800). Des experts et des acteurs de l’éducation au Québec, en Europe (France, Belgique, Suisse), en Afrique (Congo, Niger, Guinée, Tunisie) et en Amérique latine (Chili) débattront des expériences qui ont été tentées dans leur pays.
L’approche par compétences, courant pédagogique sur lequel s’appuient les réformes, sera au coeur des échanges. «Les conférenciers se pencheront sur les fondements de cette approche qui est appliquée de façon différente d’un pays à l’autre et qui suscite un besoin énorme de clarification, explique Philippe Jonnaert, directeur de l’Observatoire et professeur de didactique au Département des mathématiques. L’objectif du colloque n’est pas de défendre une pensée unique mais d’exposer une variété de points de vue autour de questions brûlantes : Comment élaborer des programmes d’études selon une logique de compétences? L’approche par compétences évacue-t-elle la transmission des savoirs? Comment développer les compétences et comment les évaluer?»
Selon M. Jonnaert, le mouvement actuel des réformes au niveau mondial est unique dans l’histoire. Dans divers pays, les responsables politiques de l’éducation et les concepteurs des programmes subissent une forte pression de la part des grandes organisations internationales, comme l’UNESCO et l’OCDE, pour que les systèmes éducatifs soient transformés afin de mieux répondre aux besoins de la société du savoir. Et pour relever le défi de l’amélioration de la qualité des apprentissages, l’approche par compétences est perçue par plusieurs comme la plus appropriée.
Une pédagogie de l’activité
Pendant 50 ans, le Québec a connu le règne de la pédagogie par objectifs. Pour les tenants de cette approche, les programmes d’études, fondés sur des savoirs disciplinaires, se suffisaient à eux-mêmes. Le contenu des matières primait sur tout sans que l’on se demande si cela faisait sens pour les élèves, rappelle M. Jonnaert. «Les États généraux sur l’éducation, tenus en 1996, ont permis de réaliser que de plus en plus de jeunes décrochaient en raison du caractère abstrait et décontextualisé de ce qu’ils apprenaient, poursuit le professeur. L’approche par compétences est apparue alors comme une alternative pouvant ramener la vie à l’école.»
Dans une approche par compétences, l’enseignant cherche à créer des situations pour que les élèves apprennent de manière active et soient capables d’utiliser des ressources intellectuelles et matérielles en vue de résoudre un problème, indique M. Jonnaert. «Le pédagogue français Célestin Freinet, qui a introduit cette approche il y a 70 ans, avait installé une imprimerie dans la cour de son école pour produire un journal rédigé par ses élèves. Pour être capables d’écrire leurs articles correctement, les élèves devaient apprendre des règles de base comme la concordance des temps et la conjugaison des verbes. Freinet avait su créer un contexte stimulant afin de faciliter l’apprentissage de l’écriture.»
Les programmes d’études actuels visent toujours à transmettre des connaissances, tout en insistant sur l’acquisition de savoir-faire durables qui permettent la poursuite de l’apprentissage tout au long de la vie, souligne M. Jonnaert. Savoir calculer, lire, écrire, exercer un jugement critique, traiter l’information et communiquer sont des compétences nécessaires pour intégrer des connaissances et affronter différentes situations de la vie courante, précise-t-il.
Confusion et résistances
Pourquoi l’approche par compétences provoque-t-elle des résistances? L’opposition est forte surtout au secondaire où chaque enseignant est associé à une seule discipline, français, mathématiques ou histoire, répond M. Jonnaert. «Il est normal qu’ils se sentent déstabilisés puisqu’ils ont été formés pour enseigner des programmes d’études monodisciplinaires, alors qu’on leur demande aujourd’hui d’imaginer des situations d’apprentissage faisant appel à l’interdisciplinarité.»
Le ministère de l’Éducation porte aussi une lourde responsabilité dans la confusion qui a été créée autour du développement des compétences et de leur évaluation, affirme le directeur de l’Observatoire. «On a demandé aux enseignants d’appliquer des programmes de plusieurs centaines de pages qui véhiculaient des concepts obscurs et abstraits. Pas étonnant que l’on ait injecté des sommes importantes dans la formation d’accompagnateurs pour aider les enseignants sur le terrain.»
Tout comme certains observateurs, le professeur Jonnaert souligne le danger d’une dérive utilitariste dans l’application de la réforme. Il estime que l’école ne peut se contenter de répondre aux besoins du marché du travail et doit assurer la transmission d’une culture générale. «Même les futurs enseignants, dont la formation est en lien direct avec la pratique professionnelle, devraient suivre davantage de cours de philosophie ou de sociologie de l’éducation», précise-t-il.
Le chercheur considère que l’on commence seulement à comprendre les fondements de l’approche par compétences. Il croit aussi qu’il est encore trop tôt pour évaluer les retombées de la réforme au Québec. «Au primaire, son implantation a été réalisée à environ 30 % et elle ne fait que s’amorcer au secondaire. Dans deux ans, on pourra mieux juger ses résultats, soutient-il. Le plus urgent d’ici là est de parler de l’approche par compétences en termes simples tout en montrant qu’elle est compatible avec la transmission de connaissances de base.»