Célèbre archéologue s’il en est un, le personnage d’Indiana Jones ne ménageait jamais ses efforts pour retrouver l’arche perdue ou quelque autre trésor. Un seul obstacle pouvait l’arrêter : sa peur incontrôlable des serpents qui, à tout coup, le paralysait. Isabelle Marcotte, jeune professeure embauchée par le Département de chimie en 2006, sympathise.
Quand elle s’est envolée vers la Suisse pour entreprendre un postdoctorat à l’École polytechnique fédérale de Zurich, en 2003, elle avait la ferme intention de percer quelques secrets de la structure moléculaire de la soie d’araignée – un matériau cinq fois plus résistant que l’acier et six fois plus élastique que les tendons du corps humain et dont l’industrie aimerait bien s’inspirer pour concevoir des matériaux synthétiques utiles aux gilets pare-balles ou aux cordages de parachutes, entre autres.
La jeune chimiste savait qu’elle aurait la chance de collaborer avec le zoologiste Fritz Vollrath, connu pour élever des araignées par centaines dans ses installations de l’université Oxford, en Angleterre. «J’avais pris pour acquis que le professeur Vollrath récolterait la soie dans son laboratoire et nous l’expédierait par la poste. Quand je suis arrivée à Zurich, j’ai réalisé que c’était plutôt les araignées qu’il nous envoyait! Il fallait veiller à leur reproduction, à leur croissance, à leur alimentation. Surtout, il fallait récolter la soie nous-mêmes. Je tremblais littéralement comme une feuille.»
Nephila edulis, l’araignée qu’Isabelle Marcotte a retrouvée sur sa paillasse de laboratoire, est originaire d’Australie. Velu, le corps de la femelle fait deux centimètres de longueur. Avec les pattes, on compte facilement dix centimètres. Ses toiles, qu’elle tisse avec un joli fil doré, peuvent quant à elles atteindre un mètre de diamètre! Autre caractéristique que la professeure n’a pas oubliée : la bête mord lorsqu’elle se sent menacée. «Quand je leur donnais à manger, ça me piquait partout, se souvient-elle en riant. C’était psychosomatique! Ma collègue s’est fait mordre, mais moi, jamais.»
Le «fil de survie»
Comme toute bonne araignée qui se respecte (parmi celles qui tissent des toiles), Nephila edulis produit six types de soies différentes, pour des usages bien particuliers. Une soie sert à tisser les fils radiaux de la toile, une autre à tisser les fils connecteurs, une autre encore à fabriquer des cocons. Isabelle Marcotte s’est surtout intéressée au “fil de survie” que l’araignée utilise pour se suspendre à partir d’un point d’attache. C’est le fil le plus intéressant sur le plan de l’élasticité et de la résistance, et donc le plus prometteur pour le développement d’applications industrielles.
Pour le récolter, la chimiste a dû apprendre à dominer son arachnophobie. Dans un premier temps, on doit saisir l’araignée et la mettre sous verre. Une injection de dioxyde de carbone suffit à endormir la bête. Il s’agit ensuite d’immobiliser la bête sur une plaquette de styromousse à l’aide d’aiguilles, sans le blesser. Lorsque l’araignée se réveille ainsi, prisonnière, elle se met automatiquement à expulser son fil de survie. «Il suffit de tirer dessus et de l’embobiner autour d’une plaquette.»
Dans cette position, l’araignée peut fabriquer 20 centimètres de fil par seconde (en chute libre, elle peut en expulser 60 centimètres par seconde), pendant huit heures d’affilée! Il fallait malgré tout deux araignées et un mois de travail à Isabelle Marcotte pour récolter suffisamment de soie pour faire une seule série d’analyses.
«Les araignées étaient soumises à une diète spéciale, explique la chercheuse. Certains des acides aminés qui se retrouvent dans les protéines de leur nourriture sont marqués grâce au carbone-13. En analysant la soie avec des équipements de résonance magnétique nucléaire, on peut déduire l’organisation des molécules, dans le fil.»
Selon les résultats préliminaires de cette recherche, deux acides aminés joueraient un rôle clé, soit l’alanine, pour la résistance, et la glycine, pour l’élasticité. Des études plus poussées seront nécessaires pour mieux comprendre l’organisation de ces molécules dans l’espace. Des structures hélicoïdales seraient impliquées. «J’ai été surprise de constater que la structure moléculaire du fil était moins ordonnée que l’on pensait», confie la chercheuse.
Un laboratoire flambant neuf
Dans son laboratoire flambant neuf de l’UQAM, Isabelle Marcotte compte poursuivre ses recherches dans la même voie. Grâce à une subvention de la Fondation canadienne pour l’innovation et à l’appui de la Fondation de l’UQAM, elle vient de s’équiper d’un appareil à résonance magnétique nucléaire valant un demi-million de dollars, qui lui permettra d’étudier des structures au niveau moléculaire.
La recherche sur la soie d’araignée est un domaine compétitif et la chercheuse compte plutôt entreprendre de nouvelles études sur le byssus. “Ce sont les filaments grâce auxquels les moules arrivent à s’ancrer à un rocher. Comme la soie d’araignée, ces fibres naturelles sont reconnues pour leur résistance exceptionnelle. Leur secret se cacherait aussi dans l’agencement des acides aminés. Pourtant, elles ne sont pas encore très étudiées.» Autre avantage : il est très facile de cultiver les moules en laboratoire. Quand on coupe le byssus, d’autres filaments repoussent automatiquement.
Sa peur des araignées jouerait-elle un rôle dans sa décision d’abandonner les arachnides au profit des mollusques? Isabelle Marcotte rit de bon cour. «En fait, les trois années que j’ai passées en Suisse m’ont inculqué un nouveau respect pour les araignées. J’ai même appris un tas d’informations rigolotes sur elles. Par exemple, elles peuvent manger le mâle s’il ne se pointe pas au bon moment pour la fécondation. Mais surtout, j’ai découvert que je pouvais toujours courir plus vite qu’elles!»