Les taux d’abandon aux études de cycles supérieurs préoccupent les directions d’université. Selon une étude publiée en 2004 par le ministère de l’Éducation du Québec, 70,4 % des étudiants sortants d’un programme de maîtrise en 2001-2002 avaient en main leur diplôme, contre 53 % au doctorat. «Vouloir baisser les taux d’abandon présuppose qu’il n’y ait pas de raisons d’abandonner, mais il y en a un paquet!», s’exclame le professeur du Département d’histoire Yves Gingras, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en histoire et sociologie des sciences. Avec Brigitte Gemme, agente de recherche au Centre interuniversitaire de recherche sur la science et la technologie (CIRST), il est l’auteur d’un article intitulé Les facteurs de satisfaction et d’insatisfaction aux cycles supérieurs dans les universités québécoises francophones, paru en septembre 2006 dans La revue canadienne d’enseignement supérieur, une publication bilingue de la Société Canadienne pour l’Étude de l’Enseignement Supérieur (SCÉES).
«L’abandon n’est pas un échec, renchérit Yves Gingras. Il y a une proportion d’étudiants aux cycles supérieurs qui ne sont pas à leur place, qui s’en aperçoivent et qui abandonnent. Ce constat n’est toutefois pas en contradiction avec la volonté de comprendre les insatisfactions de ceux qui persévèrent et de se donner des critères pour mieux les encadrer, ce que nous avons tenté de cerner dans cet article.»
Résultat d’une enquête menée auprès de 1 000 étudiants ou diplômés à la maîtrise ou au doctorat dans les universités québécoises francophones en 2003 et 2004, l’article rend compte des facteurs de satisfaction ou d’insatisfaction, à ne pas confondre avec les facteurs de réussite.
Un habitus à développer
Les deux chercheurs confirment une donnée dévoilée auparavant par d’autres études : le processus de socialisation professionnelle est l’un des facteurs qui influence le plus la satisfaction des étudiants aux cycles supérieurs. «Au baccalauréat, les étudiants acquièrent une formation générale, alors que l’essence des études de 2e et 3e cycles est d’intégrer un ensemble de processus de recherche», explique Brigitte Gemme, qui poursuit présentement un doctorat au Centre de recherche sur l’enseignement supérieur de l’Université de Colombie-Britannique, à Vancouver. «Certains professeurs prennent pour acquis ces processus, qui incluent autant les aptitudes à la recherche que la recherche de financement ou la connaissance des méandres de la publication scientifique, mais ils doivent les transmettre aux étudiants, qui eux n’y connaissent pas grand chose», ajoute-t-elle. «Ces aptitudes informelles ne peuvent s’acquérir qu’en interaction privilégiée avec un professeur, un peu comme dans l’ancien temps, lorsque les menuisiers avaient des apprentis», illustre pour sa part Yves Gingras. Leur recherche démontre clairement que le professeur est, en effet, la figure centrale et essentielle du cheminement des étudiants aux cycles supérieurs.
L’importance de l’encadrement
Le choix du directeur, intimement lié choix du sujet de recherche, ainsi que la fréquence des rencontres et le contenu des échanges influencent grandement le niveau de satisfaction des étudiants. S’approprier un projet de recherche passionnant et pouvoir en discuter avec son directeur s’avère crucial. «Un bon sujet est d’abord un sujet bien délimité, circonscrit, et qui est réalisable dans les temps impartis, affirme Yves Gingras. Il ne faut pas hésiter à dire à un étudiant que son projet n’est pas réaliste si tel est le cas.» «Nous avons observé que le degré de satisfaction est clairement relié au sentiment de contribuer à la production de nouvelles connaissances et, surtout, à la publication des résultats de recherche, qui sont alors partagés et validés par les pairs», explique pour sa part Brigitte Gemme.
«Certains diront que tout cela va de soi, poursuit M. Gingras. Je pose alors la question : Qui laisse des étudiants se faire diriger par des professeurs qui encadrent trop d’étudiants et qui n’ont pas de temps à leur consacrer?» Évidemment, le manque de professeurs à l’UQAM a un impact direct sur ce ratio. «Au premier cycle, on engage des chargés de cours et ça ne cause pas de problème, mais si l’on souhaite réellement augmenter la réussite aux cycles supérieurs, on doit engager plus de professeurs pour encadrer les étudiants», plaide M. Gingras, qui espère que les recommandations formulées dans le cadre de l’article seront entendues par les personnes concernées.
Le financement
Sans surprise, les étudiants titulaires d’une bourse d’un organisme subventionnaire québécois ou canadien (FQRSC, FQRSNT, FRSQ, CRSH, CRSNG, IRSC) sont nettement plus satisfaits de leur expérience que ceux qui n’en ont pas obtenu, lit-on dans l’article. «Notre échantillon n’était pas représentatif car la moitié était constituée de boursiers, explique toutefois Yves Gingras. Une autre étude permettrait sans doute de nuancer et de faire ressortir que le soutien le plus profitable est plutôt le financement sous forme de travail d’assistant de recherche ou d’auxiliaire d’enseignement, puisqu’il agit en plus comme vecteur de socialisation professionnelle. Un étudiant boursier laissé à lui-même à la maison ne profite pas de l’effervescence et de la synergie propre au milieu intellectuel qu’est l’université.» Les deux chercheurs persistent et signent : la question du financement repose en majeure partie sur les épaules du directeur de recherche, qui doit renseigner et accompagner ses étudiants dans leurs démarches.
L’article est accessible sur le site de la Chaire de recherche du Canada en histoire et sociologie des sciences : www.chss.uqam.ca.