Naïm Kattan, professeur associé au Département d’études littéraires, recevra le 27 novembre le prix Hervé- Deluen, remis pour la première fois par l’Académie française afin de récompenser une contribution exceptionnelle à la défense ou à la promotion du français comme langue internationale. «Je suis très ému par cet honneur, d’autant plus que le français n’est même pas ma langue maternelle», confie l’écrivain, auteur d’une quarantaine d’ouvrages – essais, romans et recueils de nouvelles – pour lesquels il a reçu au fil des ans une pléiade de prix et de distinctions honorifiques.
Né à Bagdad en 1928 et immigré au Canada en 1954, Naïm Kattan affirme qu’il possède en réalité trois villes de naissance : Bagdad, Paris et Montréal. Le choix du français, langue d’usage et langue d’écriture, est au coeur de son fascinant parcours.
Bagdad-Paris-Montréal
Juif irakien, Naïm Kattan a d’abord appris l’arabe et l’hébreu, ses deux langues maternelles. Avant même l’adolescence, il écrit de la fiction en arabe. Il apprend ensuite l’anglais et le français, et s’initie à la littérature occidentale. Il aime à ce point les ouvrages de Gide, Malraux et Valéry qu’il en rédige des comptes rendus en arabe et les envoie à certaines revues de Bagdad qui les publient.
Les Nourritures terrestres, d’André Gide, le marque profondément. L’auteur y implore le lecteur de partir, de quitter sa ville et sa famille pour partir à la découverte du monde. C’est ce qu’a fait Naïm Kattan. Grâce à une bourse d’étude du gouvernement français, il débarque à Paris, à l’âge de 18 ans.
«J’étais inscrit en lettres à la Sorbonne, la langue française n’était donc plus de l’ordre du désir, mais du devoir», raconte M. Kattan. Petit à petit, il rédige pour quelques publications des articles en français sur des écrivains arabes. Il n’entrevoit toutefois pas d’opportunités de carrière en France. Après un voyage aux États-Unis, en 1952, il décide de s’installer en Amérique. Polyglotte, il aurait pu choisir de faire sa vie chez nos voisins du sud, mais la langue française lui tenait trop à coeur.
Il débarque au Canada en 1954 et s’installe à Montréal. «Ce ne fut pas facile parce qu’à cette époque, le français était réservé aux catholiques, se rappelle- t-il. On me demandait sans cesse à quelle paroisse j’appartenais. Les gens ne comprenaient pas qu’un juif irakien puisse parler français.» Lentement, il tisse des liens avec des gens et exerce toutes sortes de petits boulots. Il fonde entre autres la première publication non catholique de langue française : le Bulletin du Cercle juif.
Au début des années 60, il rencontre celui qui allait devenir son grand ami, André Laurendeau, à l’époque directeur du Devoir. «Je lui ai demandé pourquoi il n’y avait pas de chronique sur la littérature canadienne-anglaise et américaine dans son journal, raconte-t-il. Il m’a offert un emploi sur le champ.» Il collabore encore aujourd’hui au Devoir, de façon occasionnelle. «Je suis la plus vieille signature, souligne-t-il en riant. J’y écris depuis 45 ans!» En 1967, il est nommé directeur du Service des lettres et de l’édition du Conseil des arts du Canada, un poste qu’il occupera pendant 25 ans, sans pour autant cesser d’écrire articles et ouvrages littéraires.
«Je suis un écrivain précoce en arabe et mûr en français», dit-il en précisant que son premier ouvrage littéraire dans la langue de Molière a été publié alors qu’il avait plus de 40 ans. Pourquoi avoir attendu toutes ces années? «J’avais peur de faire de l’exotisme, explique-t-il. Je ne voulais pas transposer en français le style arabe, fleuri et riche en métaphores, et être automatiquement associé aux Mille et Une Nuits.» Voilà qui explique ce choix d’une écriture qu’il qualifie lui-même d’économe et de minimaliste.
Ses écrits font souvent référence, directement ou indirectement, à son parcours d’immigrant. Par exemple, son premier ouvrage, un essai intitulé Le réel et le théâtral (1970), traite de l’immigrant qui décide de changer de langue, tandis que son premier roman, Adieu Babylone (1975), porte sur son enfance à Bagdad.
Carrière à l’UQAM
C’est à l’UQAM qu’a été envoyée, l’été dernier, la lettre lui annonçant l’obtention de son prestigieux prix, qui s’accompagne d’une bourse de 10 000 euros. M. Kattan avait accepté le poste d’écrivain en résidence au Département d’études littéraires, au début des années 90. Il s’était ensuite vu offrir, par l’entremise du recteur de l’époque, Claude Corbo, un poste de professeur associé. Il a donné pendant cinq ans un cours qu’il a créé, intitulé Figures bibliques et mythes contemporains. «J’ai adoré l’expérience, dit-il. Mes collègues m’appelaient le jeune professeur en raison de mon enthousiasme!»
À près de 80 ans, M. Kattan n’est pas prêt d’arrêter. Il met la dernière main à son prochain ouvrage, un essai intitulé Écrire le réel, qui paraîtra en février 2008.