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Développement embryonnaire et retard mental

Par Dominique Forget

5 mars 2007 à 0 h 03

Mis à jour le 17 avril 2015 à 16 h 04

Dès avril prochain, le Département de chimie et de biochimie de l’UQAM sera équipé d’un rutilant laboratoire qui fera l’envie de nombreux chercheurs en génomique. Sa pièce maîtresse : une trieuse de vers capable de mesurer et de caractériser 50 animaux à la seconde. Attention : on ne parle pas ici des lombrics qu’on accroche au bout des lignes à pêches, mais bien d’un ver microscopique baptisé Caenorhabditis elegans. Même s’il est invisible à l’oeil nu, celui-ci est équipé de gènes semblables aux nôtres! Chez C. elegans comme chez l’humain, ces gènes régulent des mécanismes cellulaires essentiels au développement embryonnaire et à la vie de l’animal. Leur mauvais fonctionnement entraîne chez notre espèce de nombreuses malformations et de sérieux retards mentaux.

Titulaire de la nouvelle Chaire de recherche du Canada en génomique intégrative et signalisation cellulaire, professeure au Département de chimie et de biochimie depuis octobre dernier, Sarah Jenna espère mieux comprendre comment la coopération de ces gènes contrôle le développement des organismes multicellulaires et leur confère des aptitudes cognitives. Elle a reçu une subvention d’un demi-million $ de la Fondation canadienne de l’innovation (FCI) pour mettre sur pied son laboratoire. «Travailler avec C. elegans offre d’énormes avantages, affirme-t-elle. Les vers ne mangent que des bactéries et se reproduisent à une vitesse folle : 500 nouveaux animaux aux trois jours. Si je travaillais avec des souris, je mettrais trois ans pour accomplir ce que je peux faire en une semaine avec les vers.»

150 gènes

À l’aide des techniques développées par la génomique, Sarah Jenna étudie plus spécifiquement 150 gènes impliqués dans la régulation d’une famille bien spécifique de protéines : les protéines de la superfamille des Ras. Ces dernières jouent un rôle essentiel dans l’organisation du cytosquelette – le réseau de filaments qui forment la charpente interne de la cellule. «Le cytosquelette est essentiel à la motilité des cellules, à leur morphologie, à leur différenciation et à l’adhésion cellulecellule, dit la chercheuse. Par conséquent, il joue un rôle central lors du développement embryonnaire et dans les interactions entre les neurones du cerveau.»

Bien que les spécialistes des neurosciences aient longtemps pensé que les connexions entre les neurones étaient statiques, ils savent maintenant que ces structures sont hautement déformables. C’est d’ailleurs cette plasticité qui est la base de l’apprentissage et de la mémoire. Les synapses – des structures qui permettent aux neurones d’entrer en contact les uns avec les autres – se déforment sous l’influence d’une stimulation répétée, à la base des processus de mémorisation. Quand les protéines Ras ne sont plus régulées de facon appropriées ces déformations n’ont plus lieu. D’où l’implication des Ras dans les problèmes de retard mental.

Un coup de pouce de la bio-informatique

Pour comprendre le rôle de chacun des 150 gènes qui se trouvent dans sa mire, la chercheuse travaille avec des vers chez lesquels un gène a été atténué ou carrément inactivé (knockout). «Nous évaluons l’impact des ces manipulations en regardant, par exemple, si les vers éprouvent du mal à associer certaines odeurs avec la présence ou l’absence de nourriture et à se rappeler de ces associations. On évalue aussi si l’inactivation des gènes a des impacts sur l’expression ou la fonction des autres gènes de la superfamille des Ras, grâce à des marqueurs fluorescents que l’on introduit dans le génome des vers ou à des études anatomiques et comportementales.»

La trieuse qui sera installé dans le laboratoire de Sarah Jenna pourra, entre autres, mesurer automatiquement la fluorescence émise par les vers et générer un nombre impressionnant de données. «Contrairement aux approches classiques de génétiques qui consistent à étudier un seul gène à la fois, nous allons faire varier un grand nombre de paramètres et étudier le fonctionnement des régulateurs des protéines Ras de façon systématique. Cette façon d’étudier les systèmes biologiques dans leur ensemble est nouvelle et s’appuie sur les outils développés par la bio-informatique.»

Éventuellement, la chercheuse aimerait mettre la plateforme technologique qu’elle aura développée au service des autres équipes de recherche de l’UQAM et de d’autres universités, mais aussi des compagnies pharmaceutiques qui voudront tester leurs approches thérapeutiques sur C. elegans. «La plateforme expérimentale pourra, par exemple, servir au criblage de molécules pour le développement de nouveaux médicaments visant à prévenir ou guérir un certain nombre de maladies, dont celles reliées au retard mental.»