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Coccinelles et cie au service de l’agriculture

Par Marie-Claude Bourdon

5 février 2007 à 0 h 02

Mis à jour le 17 avril 2015 à 16 h 04

Dans l’insectarium, il fait 26 degrés en toutes saisons. C’est la température idéale pour les bestioles qu’on y élève : trois espèces de pucerons, les ravageurs étudiés au Laboratoire de lutte biologique d’Éric Lucas, ainsi que leurs prédateurs, principalement des coccinelles, mais aussi quelques autres insectes moins connus. Tous ces pensionnaires sont traités aux petits soins : température et éclairage contrôlés, plants de gourgane et de pomme de terre comme substrats naturels et diète artificielle complémentaire. À l’occasion, les coccinelles ont même droit à des oeufs de pyrale pour déjeuner. Les oeufs de ce papillon sont «riches en lipides et excellents pour leur fécondité, mais plus chers que le caviar!» précise le chercheur en riant.

Professeur au Département des sciences biologiques depuis 2002, Éric Lucas vient de recevoir le prix Léon-Provencher, catégorie Jeune Chercheur, de la Société d’entomologie du Québec. Les recherches qu’il mène avec ses étudiants ont pour but de déterminer le potentiel d’efficacité de certains insectes dans la lutte biologique, une alternative aux pesticides chimiques employés en agriculture. «Une partie de nos travaux sont consacrés à la recherche fondamentale en laboratoire sur l’écologie des insectes, précise-t-il. Mais la majeure partie de nos études sont menées sur le terrain.»

Lutte intégrée

Les recherches en laboratoire portent principalement sur les interactions intraguilde, c’est-à-dire entre les organismes qui exploitent la même ressource. Par exemple, on s’intéressera à la compétition entre différents insectes amateurs de pucerons. Ces connaissances sont précieuses, car la lutte biologique ne se résume plus, comme au départ, à identifier un ennemi naturel du ravageur ciblé et à le laisser agir. «Pour augmenter notre efficacité, on a de plus en plus tendance à combiner différentes stratégies, non seulement biologiques, mais aussi physiques et culturales, rapporte le chercheur. C’est ce que l’on appelle la lutte intégrée.»

En utilisant une combinaison d’insectes actifs à différentes périodes de l’année, par exemple, on peut augmenter l’efficacité d’un programme de lutte biologique. On peut aussi miser sur des stratégies d’ordre physique, comme les filets ou les haies de conifères, qui se transforment en obstacles infranchissables pour des insectes aux faibles capacités de vol. On peut faire appel à des pratiques culturales, comme la traditionnelle rotation des cultures, qui permet de briser le cycle de reproduction d’un ravageur, ou les bandes de cultures alternées, qui évitent de constituer un énorme gardemanger pour l’organisme nuisible.

Un succès colossal

Les solutions naturelles aux problèmes des insectes ravageurs ne datent pas d’hier. «Les premiers agriculteurs chinois et égyptiens connaissaient déjà des méthodes de lutte biologique», mentionne Éric Lucas. À la fin du 19e siècle, une coccinelle implantée en Californie pour lutter contre une cochenille qui ravageait les plantations d’agrumes a connu un succès colossal. Mais c’est seulement depuis les dernières décennies, en raison de la sensibilisation de plus en plus grande aux effets néfastes des pesticides chimiques, qu’on a assisté à un véritable effort scientifique pour trouver des méthodes naturelles de lutte contre les organismes nuisibles.

«Nos connaissances progressent, mais on est encore loin d’exploiter pleinement toutes les possibilités de la lutte intégrée, affirme le professeur Lucas. Le problème, c’est qu’une solution trouvée en un lieu ne peut pas être exportée facilement, à cause du nombre de variables impliquées dans le succès de chaque programme.»

Parmi les projets de ses étudiants, une étude vise à tester l’utilisation combinée d’un petit parasite et d’un pathogène contre une variété de tordeuse qui affecte les vergers. Une autre tentera de comprendre pourquoi les cultures autour du ruisseau Vacher, près de la rivière L’Assomption, sont autant infestées de pucerons. «On examine différentes variables liées à la structure du paysage, comme la taille et la fragmentation des parcelles», explique Éric Lucas. Un autre projet, au Nicaragua, a porté sur un programme de lutte intégrée contre la mouche blanche qui s’attaque aux cultures de tomates.

Nouveaux ravageurs

«Avec le réchauffement climatique et les nouvelles espèces de ravageurs qui risquent d’envahir nos champs, le besoin de trouver des solutions alternatives aux pesticides chimiques se fera plus pressant», croit le chercheur, même s’il admet qu’il n’est pas facile de vendre des solutions intégrées aux agriculteurs. «La lutte chimique est tellement puissante et le marketing des grandes compagnies de pesticides tellement efficace que nous avons de la difficulté à nous rendre jusqu’au producteur.»

En France, des producteurs de tomates de serre aux prises avec une infestation de petites mouches blanches en étaient arrivés à faire deux épandages de pesticides par semaine pour protéger leurs cultures. Grâce à une combinaison d’un parasitoïde (une petite guêpe) et d’un prédateur (une punaise), ils ont pu réduire leurs interventions à deux par année. Cette solution, beaucoup moins dommageable sur le plan environnemental, a permis d’ouvrir de nouveaux marchés en Allemagne et en Suède. «Une fois qu’on a trouvé une solution efficace, on ne revient pas en arrière», souligne Éric Lucas.