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Chorégraphes de la danse sans corps

Par Claude Gauvreau

26 novembre 2007 à 0 h 11

Mis à jour le 17 avril 2015 à 16 h 04

Ils étaient en France, au Portugal et en Belgique, ces dernières semaines, pour présenter leur projet Nobody Danse, une chorégraphie numérique inspirée du Sacre du printemps, oeuvre musicale du célèbre compositeur Igor Stravinski. Martine Époque et Denis Poulin, professeurs associés au Département de danse et codirecteurs du Laboratoire de recherche-création en technochorégraphie (LARtech), sont des pionniers de la danse virtuelle au Québec.

Les deux chercheurs s’intéressent depuis longtemps aux technologies du multimédia en tant qu’outils de création et d’enseignement de la danse. En 1979, dans leur film Ni scène, ni coulisses, ils mettaient en scène des silhouettes évidées ou revêtues de cristaux dont les mouvements, simples lignes mouvantes, formaient des tableaux dépersonnalisés, mais vivants. «J’avais une formation de réalisateur en cinéma et en télévision, alors que Martine était chorégraphe. Je m’occupais des images et elle de l’écriture. Avec le numérique, les frontières bougent et aujourd’hui nous sommes à la fois des chorégraphes et des animateurs 3D», raconte Denis Poulin.

L’arrivée du numérique a permis en effet une diversification des processus d’écriture chorégraphique et des lieux d’expression de la danse, depuis la scène jusqu’au Web, en passant par la vidéo. Si bien qu’il est possible désormais de créer des oeuvres exclusivement virtuelles avec des interprètes numériques, à l’image de danseurs réels.

Un nouveau modèle de création

Martine époque et Denis Poulin travaillent à l’élaboration d’un nouveau modèle d’écriture et de création chorégraphique, la «danse sans corps», qui souligne le mouvement dansé plutôt que le corps de l’interprète. «Le mouvement du corps est fugace et ses traces sont difficilement enregistrables par l’oeil humain, précise Mme Époque. Mais les technologies numériques de capture du mouvement permettent d’enregistrer le mouvement brut sous forme de données mathématiques en 3D, avec une telle précision que l’on peut reconnaître la signature motrice singulière de chaque interprète.»

Le projet Nobody Danse met à profit le système d’enregistrement du mouvement MoCap optique (motion capture) et aussi des personnages conçus au moyen de logiciels d’animation. «Pour capter le mouvement, des marqueurs sont placés sur le corps d’un interprète humain et sont ensuite traités par un ordinateur. Nous observons ainsi la vivacité d’un danseur, sa façon de se cambrer, de tomber ou de se relever. Son mouvement est donc utilisé pour faire bouger des personnages fictifs», explique M. Poulin.

«Nobody Danse est un work in progress», souligne Martine Époque. «L’objectif est de réaliser pour 2013, année du centenaire de la création du chef d’oeuvre de Stravinski, un film numérique, haute définition, de notre chorégraphie du Sacre du printemps», poursuit Denis Poulin. D’ici là, Nobody Danse fera partie de l’exposition itinérante Au-delà de l’image du musée de Sherbrooke qui, au cours des cinq prochaines années, circulera dans les principales villes canadiennes, et sera présentée dans divers festivals et colloques.

Analyser le mouvement

En juillet dernier, Martine Époque a reçu une subvention de près de 200 000 $ du Fonds québécois de recherche sur la société et la culture (FQRSC) pour un autre projet de recherche-création. Il s’agit de réaliser une collection numérique de «signatures motrices» de danseurs et de créer une médiathèque chorégraphique interactive qui serait à la fois un outil de création chorégraphique et d’analyse du mouvement dansé.

«La signature motrice, c’est ce qui est propre à chaque individu. C’est le danseur exprimant sa personnalité dans le mouvement», souligne Martine Époque. Les signatures de la collection seraient disponibles sur le Web et pourraient être étudiées par les chorégraphes et les interprètes.

La médiathèque comprendra trois niveaux d’observations. «Le premier niveau, explique Mme Époque, proposerait des photos et des vidéos de danseurs, comme celles de Louise Lecavalier, accompagnées de notes biographiques. Le deuxième présenterait un vrai danseur en action et un personnage qui serait son alter ego numérique. Au troisième niveau, les gens pourront choisir des séquences enregistrées des mouvements des danseurs et des personnages numériques, les monter et créer leurs propres chorégraphies.»

«La danse numérique ne remplace pas la force d’un spectacle sur scène avec des danseurs réels. Elle cherche simplement à ouvrir de nouvelles portes», conclut Denis Poulin.