Étudiante au doctorat en études et pratiques des arts, Mehrnoushe Solouki avait presque terminé le tournage d’un documentaire sur une vague de répression qui a eu lieu en Iran en 1988, après la guerre Iran-Irak, quand elle a été arrêtée, le 17 février dernier, à Téhéran. Emprisonnée à la prison d’Evin, celle-là même où la photographe Zahra Kazemi a été détenue et battue à mort en 2003, la jeune femme de 38 ans a été interrogée à de nombreuses reprises et confinée pendant un mois à une cellule où elle devait dormir à même le sol, sous un néon allumé jour et nuit. Relâchée le 19 mars grâce à une caution équivalent à environ 120 000 $, versée par ses parents, elle doit subir son procès le 4 novembre. Elle est accusée d’avoir eu l’intention de réaliser un film de propagande contre le gouvernement iranien.
«C’est une arrestation arbitraire, due à ma double nationalité», dit la cinéaste. Détentrice d’un passeport français en plus de sa nationalité iranienne, Mehrnoushe Solouki possède également un statut de résidente permanente au Canada. «Pendant les interrogatoires, on m’a posé beaucoup de questions sur ma vie en France et au Canada et sur mes moyens de subsistance à l’université», précise-t-elle, comme si on la soupçonnait d’agir pour des intérêts étrangers.
Au cours de la dernière année, plusieurs personnes possédant une double nationalité ont connu des ennuis avec la justice iranienne, rappelle Mehrnoushe Solouki. L’universitaire irano-américaine Haleh Esfandiari, directrice des études sur le Moyen-Orient au Centre international Woodrow Wilson de Washington, a été libérée sous caution après plus de trois mois de détention pour atteinte à la sécurité nationale. Trois autres Irano- Américains, dont la journaliste Parnaz Azima, ont aussi été emprisonnés et retenus en Iran contre leur gré. Celle-ci a été la dernière à pouvoir quitter le pays, fin septembre.
Une universitaire indépendante
«Je suis une universitaire indépendante, je ne suis pas une activiste politique», clame la réalisatrice, qui précise que le gouvernement iranien lui avait donné toutes les autorisations nécessaires pour tourner son documentaire. Lors de son arrestation, les autorités ont saisi ses carnets de notes, son ordinateur, qui contenait un montage préliminaire de son film, ainsi que son passeport.
Mehrnoushe Solouki raconte sur le site Internet Rue89 les raisons qui l’ont poussée à faire ce film, qui contient les témoignages de familles de victimes de la répression de 1988. Ne craignait- elle pas, en se rendant en Iran en décembre dernier, que les choses puissent mal tourner? «Pas du tout, répond-elle. Ce n’est pas la première fois que je retourne en Iran pour faire des films.»
Dès le début de ses recherches, toutefois, elle s’est heurtée à un mur de silence. Sauf quelques familles de victimes, personne ne voulait parler de cette page de l’histoire iranienne. Un journaliste et un historien l’avertissent que quiconque s’y intéresse risque des poursuites judiciaires. Pendant le tournage, elle est convoquée au ministère de la Culture, qui l’interroge longuement sur le choix de son sujet et ses intentions au niveau de la diffusion. Mais rien ne l’arrête : elle veut simplement utiliser sa caméra «pour briser le mur du silence qui étouffe la nation iranienne», comme elle l’écrit sur Rue89. Son arrestation, en février dernier, la prend par surprise. «J’ai été en état de choc pendant deux jours», confie-t-elle.
Son directeur de thèse, Louis Jacob, professeur au Département de sociologie et spécialiste de l’art et de la culture, a lui aussi été tout étonné d’apprendre dans les médias les ennuis de l’étudiante. «C’est une personne qui a un côté fragile, pas du tout frondeur. Je n’étais pas au courant qu’elle s’intéressait à ce sujet», dit-il. Réfugiée à l’ambassade de France à Téhéran, où nous l’avons jointe par téléphone, Mehrnoushe Solouki se montre confiante quant à l’issue de son procès et à la possibilité de bientôt quitter l’Iran. «J’ai plein de projets, j’ai ma vie au Canada, j’ai ma thèse à soutenir. J’aimerais seulement que ma date de libération soit plus proche», dit-elle avec émotion.