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Intellectuel militant

Par Claude Gauvreau

19 février 2007 à 0 h 02

Mis à jour le 17 avril 2015 à 16 h 04

«J’ai toujours porté deux chapeaux, celui de l’intellectuel et celui du militant.» Chercheur à l’Institut de recherches et d’études féministes (IREF) de l’UQAM, Francis Dupuis-Déri est un politologue d’une espèce rare. Dans les années 90, il milite au Québec et en France dans des collectifs de sensibilité anarchiste et des groupes anti-racistes. Il participe également à la création de la revue Arguments et du groupe d’humoristes Les Zapartistes, signe deux romans à saveur politique, et collabore aujourd’hui à des journaux engagés comme Le Couac et Alternatives.

Le mouvement altermondialiste, en particulier sa frange radicale, constitue le principal terrain d’analyse de ce jeune professeur, embauché l’été dernier par le Département de science politique. Francis Dupuis-Déri s’intéresse notamment à la démocratie directe et à la légitimité des actes de désobéissance civile et de contestation politique. Sa réflexion s’inscrit en continuité avec sa thèse de doctorat sur l’évolution du concept de démocratie aux États-Unis et en France aux XVIIIe et XIXe siècles, et avec une recherche postdoctorale réalisée au Massachusetts Institute of Technology (MIT), portant sur le processus de prise de décision au sein du mouvement altermondialiste.

Pour la démocratie directe

Le politologue observe depuis longtemps les pratiques démocratiques dans les organisations politiques, la façon dont les décisions se prennent et par qui. «Il existe au sein du mouvement altermondialiste un courant antiautoritaire qui rejette toute forme de hiérarchie et cherche à s’organiser sur une base horizontale, en privilégiant un processus de prise de décision participatif, égalitaire et décentralisé, souligne-t-il. Ce courant mérite d’être entendu parce qu’il nous amène à réfléchir à une éthique délibérative différente de celle que l’on connaît dans le régime de démocratie représentative, dont la légitimité repose sur le mythe de la souveraineté populaire.»

Francis Dupuis-Déri reconnaît que la démocratie directe ne peut s’établir qu’à l’intérieur de groupes restreints. Toutefois, rien n’interdit d’imaginer que plusieurs petites unités, sur un large territoire, puissent fonctionner sur cette base et nul besoin de révolutionner la société ou d’abattre l’État pour y parvenir, affirme-t-il. «En 2003, lors des mobilisations contre le sommet du G8 en France, j’ai moi-même participé à un campement autogéré, le Village alternatif anticapitaliste et antiguerre (VAAC), qui a rassemblé pendant dix jours quelques milliers de personnes. Des hommes et des femmes d’horizons divers ont pu discuter de l’efficacité politique des actions à entreprendre, organiser des conférences et des spectacles, tout en expérimentant un mode vie communautaire.»

Engagés au quotidien

Depuis quelques années, plusieurs observateurs évoquent l’essoufflement du mouvement altermondialiste, critiquent son caractère cacophonique et déplorent la violence de certaines de ses manifestations. Selon Francis Dupuis-Déri, il faut éviter de confondre l’existence médiatique du mouvement avec son déploiement réel. «Les manifestations sont moins nombreuses et moins visibles aujourd’hui en raison, notamment, de la répression policière et des tactiques de dérobade des grandes organisations politiques et économiques qui, désormais, organisent leurs sommets dans des lieux isolés, précise-t-il. Mais les militants altermondialistes demeurent engagés au quotidien au sein de leurs organisations communautaires, populaires, syndicales ou autres, et des forums sociaux régionaux continuent de s’organiser un peu partout à travers le monde.»

Le mouvement altermondialiste, est hétérogène par nature, poursuit le chercheur. Il est normal, dit-il, de trouver une pluralité de voix dans un réseau transnational qui est le produit de la convergence de luttes et de mouvements sociaux opposés à une mondialisation capitaliste engendrant des inégalités économiques, sociales et culturelles. «Leur caractéristique première est de dénoncer le processus de décision antidémocratique concernant la mondialisation de l’économie libérale. Celle-ci est orchestrée par de grandes institutions financières – Fonds monétaire international, Banque mondiale, Organisation mondiale du commerce – qui ne sont pas représentatives des personnes et des communauté affectées directement par leurs décisions prises à huis clos.»

Quant à la violence de certaines actions, Francis Dupuis-Déri ne la justifie pas mais tient à rappeler qu’il y a eu plus de 1 700 arrestations policières à caractère politique au Québec entre 1999 et 2003, faits généralement passés sous silence par les médias. «Lors du Sommet des Amériques tenu à Québec en 2001, RDI m’avait engagé pour commenter les manifestations. J’étais le monsieur météo de la casse. Une clôture de protection est tombée et quelques vitrines de commerces ont été fracassées. Sur l’échelle de Richter de la violence politique, ce n’est rien par comparaison avec les bombes qui explosent chaque jour en Irak. Les manifestants altermondialistes sont conscients, bien sûr, que la médiatisation de leurs actions a une portée symbolique et politique importante. Mais ce ne sont pas tous de jeunes voyous qui veulent à tout prix en découdre avec la police dans le but d’attirer l’attention. Pour avoir réalisé des entrevues avec plusieurs d’entre eux, j’ai pu constater qu’ils avaient une culture et une pensée politiques.»