La doctorante en biochimie Mélanie Côté-Cyr (M.Sc. biochimie, 2022) aime se compliquer la vie, confie-t-elle avec un sourire. En tout cas, c’est ainsi que la décrit son directeur de thèse, le professeur du Département de chimie Steve Bourgault. «La première fois que je lui ai parlé de mon sujet de thèse, il se demandait d’où j’avais sorti ça, raconte la doctorante. Pendant longtemps, il m’incitait fortement à trouver un plan B.»
Au départ, Steve Bourgault était, en effet, plutôt sceptique vis-à-vis de son idée: concevoir des nanomatériaux à partir d’assemblages moléculaires provenant de bactéries pour aider la peau à se reformer et ainsi guérir les plaies. À force de lui présenter des articles scientifiques appuyant ses hypothèses, l’étudiante a toutefois fini par le convaincre qu’elle avait raison de persévérer dans la direction qu’elle avait choisie. «Depuis le début de mon doctorat, j’ai appris à ne pas avoir peur de défendre mes idées», affirme-t-elle.
Une étudiante étoile
Il faut dire qu’avec une moyenne générale de 4,29 sur 4,3 au baccalauréat et de 4,3 sur 4,3 à la maîtrise, Mélanie Côté-Cyr est une étudiante exceptionnelle dont Steve Bourgault est particulièrement fier. Lors de la première édition des Prix du mérite, en 2022, c’est lui qui a proposé sa candidature dans la catégorie Relève étudiante (maîtrise).
Ce n’était pas son premier prix et ce ne serait pas son dernier. Récipiendaire de la Médaille académique d’argent du Gouverneur général du Canada, en 2020, la doctorante a aussi obtenu, en 2022, la plus prestigieuse bourse d’études supérieures au Canada, la bourse Vanier. En 2024, elle a reçu le prix Michèle-Auger décerné chaque année par PROTEO, le regroupement québécois de recherche sur la fonction, l’ingénierie et les applications des protéines, à une étudiante aux cycles supérieurs qui conduit des recherches dans le domaine.
En plus de se donner à fond dans ses études, la jeune femme s’implique dans la vie universitaire, notamment dans l’Association étudiante du secteur des sciences (AESS). Elle a aussi participé à l’organisation de plusieurs événements et activités de vulgarisation scientifique. Entre autres, elle anime la conférence participative «Créer des bioplastiques… à partir de crevettes?!» du Cœur des sciences, offerte en ligne et en présence à des groupes du secondaire. L’été prochain, elle donnera un atelier dans le cadre du Festival Eurêka.
«J’aime amener les jeunes à s’intéresser à la science et à la biochimie.»
Pour Mélanie Côté-Cyr, la biochimie est une véritable passion. C’est au cégep qu’elle a découvert cette science qui combine la biologie et la chimie, les matières qu’elle préférait au secondaire. À l’époque, elle était encore loin de se douter qu’elle amorcerait un jour une carrière en recherche. Dans le programme de Techniques de laboratoire, option biotechnologies, auquel elle s’était inscrite en se disant qu’il valait mieux faire un DEC technique puisqu’elle n’était pas certaine de vouloir poursuivre ses études jusqu’à l’université (!), il y avait des cours de biochimie. Elle a eu la piqûre. Et comme l’UQAM offrait une passerelle DEC-bac avantageuse vers le baccalauréat en biochimie – qui lui a permis de faire créditer 10 cours de son DEC –, c’est tout naturellement qu’elle a trouvé sa place au pavillon de Chimie et Biochimie du Complexe des sciences.
Stages en laboratoire
«Le programme de l’UQAM m’intéressait parce qu’il incluait la possibilité de faire des stages, dit-elle. C’est ce que j’ai le plus apprécié de mon baccalauréat, car les stages en laboratoire nous donnent un bon aperçu de ce que l’on pourra faire à la maîtrise.»
Après un premier séjour d’études dans un laboratoire de l’Université de Calgary, Mélanie Côté-Cyr a fait son deuxième stage à l’UQAM, où elle a travaillé sur une plateforme vaccinale avec Steve Bourgault. À la fin de son stage, comme elle souhaitait continuer à travailler sur un projet qu’elle avait commencé en tant que stagiaire, il lui a proposé de venir faire sa maîtrise dans son laboratoire.
La doctorante est reconnaissante envers son directeur pour l’aide qu’il lui a apportée non seulement sur le plan de la recherche, mais aussi sur le plan administratif. «Ma force, ce n’est pas de rédiger des courriels, dit-elle en riant. Steve Bourgault a toujours été là pour me soutenir dans mes démarches.»
À la maîtrise, Mélanie Côté-Cyr s’est intéressée à la capacité d’autoassemblage des protéines pour la conception de nanovaccins. Elle a travaillé sur les flagellines, des protéines qui, lorsqu’elles s’assemblent, forment le flagelle bactérien, un long filament permettant aux bactéries de se propulser. Les flagellines sont utilisées dans les plateformes vaccinales pour leurs propriétés adjuvantes, c’est-à-dire qu’elles augmentent la réponse immunitaire.
«Dans le laboratoire, nous sommes plusieurs à travailler sur des sujets semblables, il y a beaucoup d’échanges d’idées et c’est très stimulant.»
L’étudiante a aussi travaillé sur d’autres technologies de vaccination. Elle a, notamment, eu la chance de participer aux étapes préliminaires des travaux prometteurs menés par Steve Bourgault et son codirecteur à la maîtrise, le professeur du Département des sciences biologiques Denis Archambault, en lien avec le développement d’une nouvelle plateforme vaccinale contre les infections respiratoires. Elle est d’ailleurs cosignataire avec eux et d’autres collègues chercheurs d’un article sur ces travaux paru dans la revue Advanced Healthcare Materials.
La jeune chercheuse aime avoir le sentiment de contribuer à faire progresser la science dans le domaine de la santé. «Comme nos recherches se situent à mi-chemin entre la recherche fondamentale et la recherche appliquée, notre travail n’aidera pas les gens dans l’immédiat, observe-t-elle. Mais j’aime penser que si quelqu’un lit un article que nous avons publié, ça peut lui donner une idée pour concevoir un nouveau vaccin ou bonifier un vaccin qui fonctionne déjà.»
Premiers articles scientifiques
Dès la maîtrise, Mélanie Côté-Cyr a publié des articles en tant que première auteure dans des revues renommées dans son domaine. Jusqu’à aujourd’hui, elle a collaboré à une douzaine de publications scientifiques. L’article qu’elle a signé en tant qu’auteure principale dans la revue Vaccine est celui qui a été le plus cité par d’autres auteurs. Il compare la flagelline provenant de la bactérie Bacillus subtilis, nommée Hag, avec FljB, une des flagellines de la bactérie Salmonella enterica, plus communément étudiées. «Je démontre que la flagelline Hag est un immunostimulant puissant qui provoque moins d’inflammation dans la réponse immunitaire que FljB», résume l’étudiante.
Comme cela arrive souvent en science, c’est au fil de l’expérimentation qu’elle a découvert cette propriété de la flagelline Hag, insoupçonnée dans son projet de maîtrise initial. «En conduisant des expériences liées à mon projet de départ, on a réalisé qu’il y avait des différences structurelles entre les deux flagellines. On a alors décidé d’ajouter de nouvelles expériences basées sur ce qu’on avait trouvé et d’écrire un article sur le sujet.»
Non seulement l’article est lu et cité par des membres de la communauté scientifique, mais cette particularité de la flagelline Hag a même été consignée dans un article d’encyclopédie en ligne sur la bactérie Bacillus subtilis qui décrit ses différents composants, dont le flagelle. «Je suis maintenant citée dans cet ouvrage», révèle l’étudiante.
Ce sentiment de participer à la construction de nouveaux savoirs est une source immense de motivation pour Mélanie Côté-Cyr. «J’aime résoudre des problèmes, un peu comme dans un jeu de Sudoku. On construit à partir de ce l’on trouve.»
Dans le cadre de son doctorat, l’étudiante continue à travailler sur les assemblages de protéines, mais elle se concentre principalement sur une application visant à améliorer la guérison des plaies.
Un congrès sur les nanomatériaux
C’est vers la fin de sa maîtrise, lors d’un congrès sur les nanomatériaux, qu’a germé l’idée de sa thèse. «J’avais déjà un intérêt pour la régénération tissulaire, dit-elle. Les projets consistant à faire pousser une oreille ou à créer de la peau artificielle me fascinent. Là, l’idée était d’utiliser la capacité d’autoassemblage des protéines pour stimuler la régénération de la peau.»
Elle utilise dans le cadre de son doctorat plusieurs types de matériaux protéiques. Parmi ceux-ci, certains, d’origine bactérienne, proviennent des biofilms produits par la plupart des bactéries pour former des communautés. Ces biofilms sont composés de fibres ou filaments protéiques. Un des projets de Mélanie Côté-Cyr consiste à combiner ces fibres à des facteurs de croissance pour permettre à des cellules humaines ou animales de proliférer ou de s’attacher.
«On prend le biofilm qui permet aux bactéries de rester ensemble ou d’adhérer à des surfaces et on en fait un matériau qui va favoriser la prolifération des cellules dans les plaies et donc la régénération.»
Une autre partie de son projet vise la conception de nanomatériaux synthétiques. Il s’agit, dans ce cas, de construire des assemblages moléculaires qui n’existent pas dans la nature. «On prend des petits bouts de protéines, des peptides reconnus pour leur capacité d’autoassemblage, et on les conjugue avec des facteurs de croissance pour accélérer la multiplication des cellules de la peau», précise Mélanie Côté-Cyr.
La chercheuse se donne encore deux ans pour terminer son doctorat. Un stage de six mois au prestigieux Massachusetts Institute of Technology (MIT), l’an dernier, l’a momentanément écartée de son projet de thèse. Mais ce stage rendu possible grâce à la Bourse Vanier a été pour elle riche en expériences et en enseignements. «J’étais dans un laboratoire d’ingénierie chimique, donc orienté davantage vers la recherche appliquée que vers le principe de base derrière les interactions moléculaires, dit-elle. J’y allais pour apprendre des techniques, mais j’y ai aussi appris à me poser des questions différemment par rapport à la recherche.»
Après être resté sceptique pendant longtemps, son directeur, Steve Bourgault, est aujourd’hui emballé par le projet de sa doctorante. «Nous avons encore des doutes, concède-t-elle. Est-ce que ça va fonctionner comme on le voulait? Peut-être que oui, peut-être que non. Mais même si on ne réussit pas à guérir des plaies de la façon prévue, tout ce qu’on a déjà trouvé est intéressant pour la communauté scientifique.»
Et pas seulement pour guérir des plaies. La chercheuse est excitée par les nombreuses applications potentielles des méthodes qu’elle a développées pour élaborer ses nanomatériaux. «Nous sommes en train de modifier la technologie pour tenter de dégrader des polluants environnementaux comme les microplastiques, indique-t-elle. Nos travaux sont encore très embryonnaires, mais des choses semblables ont déjà été faites avec des matériaux similaires au mien pour dégrader des métaux lourds dans les sols et les eaux usées. Nous sommes allés chercher des collaborations avec d’autres chercheurs pour explorer ces nouvelles applications.»
Tout en exprimant une préférence pour le domaine de la santé, Mélanie Côté-Cyr ne sait pas encore si elle se dirigera vers une carrière en recherche universitaire, du côté de l’industrie ou dans les hôpitaux. Pour le moment, «l’étendue des possibilités» lui donne le vertige.
À suivre!