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Élaborer un droit enraciné dans les valeurs autochtones

Une équipe de recherche collabore avec les Innus de Mashteuiatsh à un projet de documentation de leurs traditions juridiques.

Par Jean-François Ducharme

30 janvier 2025 à 10 h 23

Mis à jour le 3 février 2025 à 11 h 42

En 2019, la Première Nation des Pekuakamiulnuatsh – la communauté innue de Mashteuiatsh, au Saguenay–Lac-Saint-Jean – a amorcé une importante démarche visant à se doter de sa propre constitution. «Afin que les droits enchâssés dans la constitution soient enracinés dans des conceptions plus légitimes pour la communauté et ses membres, un premier partenariat a été bâti pour documenter les traditions juridiques des Pekuakamiulnuatsh», souligne la professeure du Département des sciences juridiques Doris Farget.

Une première phase du projet, réalisée entre 2021 et 2023, visait à cartographier les sources des traditions juridiques propres à la communauté, notamment les récits de la tradition orale et les codes de pratique sur le territoire. «Le projet a permis de souligner la vitalité des traditions juridiques des Pekuakamiulnuatsh ainsi que leur potentiel d’enracinement dans la pratique », mentionne Doris Farget. Il a, entre autres, mis en lumière l’importance du respect, de la réciprocité et de l’interdépendance entre les humains et les autres êtres vivants dans ces traditions juridiques.» Plusieurs règles, précise la chercheuse, sont aussi fondées sur l’observation de l’environnement et des interactions entre ses différents éléments.

Ces travaux préliminaires ont permis de rappeler que, dans le contexte des Pekuakamiulnuatsh, «le droit n’émane pas exclusivement de l’État canadien et que les Pekuakamiulnuatsh régulent eux-mêmes les comportements individuels ou collectifs», note la professeure. Les travaux ont également mis en relief l’effet des politiques coloniales, dont l’instauration des pensionnats, qui ont créé des ruptures avec les traditions juridiques autochtones, ayant des répercussions sur la possibilité de transmettre ces connaissances au sein de plusieurs familles.

Clarifier les responsabilités

Une deuxième phase de recherche est aujourd’hui en cours. Celle-ci a été coconstruite en partenariat avec deux unités de Pekuakamiulnuatsh Takuhikan (le Conseil de bande des Pekuakamiulnuatsh): la Direction soutien à la gouvernance et l’Unité droits et protection du territoire, ainsi qu’avec l’école secondaire Kassinu Mamu. Cette deuxième phase a ensuite bénéficié d’une subvention du Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH). Le professeur du Département de sciences des religions Laurent Jérôme, la professeure de l’Université d’Ottawa Eva Ottawa, les personnes étudiantes au baccalauréat en droit Sylvestre Desterres et Julie Perreault, le membre de la communauté et agent de liaison local Stacy Bossum ainsi que la coordonnatrice des projets de recherche pour Pekuakamiulnuatsh Takuhikan Isabelle Lalancette participent également au projet.

Cette deuxième phase, qui a débuté en mars 2024, comprend trois objectifs. Le premier vise à documenter les traditions juridiques propres à la communauté relatives au territoire. Le second propose de clarifier les responsabilités de trois différentes entités de la Première Nation sur le territoire ancestral: Pekuakamiulnuatsh Takuhikan, les gardiens de territoire (katipelitak) et les familles. «On cherche à mieux comprendre les pratiques d’intendance du territoire et à voir comment les rôles exercés par chacune de ces entités peuvent s’arrimer», note Doris Farget.

Les connaissances acquises dans ce projet seront ensuite transmises aux jeunes de quatrième et cinquième secondaire de l’école Kassinu Mamu à travers du matériel pédagogique et des ateliers animés par des aînés et porteurs de connaissances. Le premier atelier, qui aura lieu au printemps 2025, portera sur le droit issu de la tradition orale. «Les jeunes travailleront à partir de récits issus de la tradition orale pour observer comment le droit s’incarne à travers ceux-ci et de quelles façons on peut analyser ces récits d’un point de vue juridique», mentionne la professeure.

Enfin, un travail de documentation sur le Nelueun (le dialecte de l’Innu-Aimun parlé à Mashteuiatsh) complètera le projet. «Nous espérons que le projet de recherche permettra de mieux comprendre les pratiques juridiques des Pekuakamiulnuatsh et de créer des cadres de gouvernance plus ancrés dans la communauté», conclut Doris Farget.