Quelles sont les voies d’accès au milieu musical professionnel québécois pour les artistes immigrantes et immigrants, et comment consolider cet écosystème? Une équipe formée de professeures et d’étudiantes de l’UQAM et de l’Université de Montréal entend répondre à cette question grâce à un projet de recherche dirigé par la professeure associée du Département de musique Caroline Marcoux-Gendron. Mené en partenariat avec le Conseil québécois de la musique (CQM) et financé par le CRSH, le projet vise à mieux comprendre les parcours de ces musiciennes et musiciens désireux de s’intégrer au milieu musical du Québec et à identifier leurs besoins ainsi que les outils et ressources pouvant les soutenir dans leur cheminement.
Le milieu musical et culturel en général est formé d’artistes dont les bagages et profils sont de plus en plus diversifiés. Environ 15 % des artistes au Québec et 20 % dans la région de Montréal sont issus de l’immigration, mais on ne dispose pas de chiffres précis concernant la scène musicale. «On doit demeurer prudent devant ces statistiques, car pour déclarer un métier ou une profession dans le cadre d’un recensement il faut l’avoir exercé pendant un certain temps, observe Caroline Marcoux-Gendron. Or, plusieurs musiciennes et musiciens immigrants sont confrontés à la difficulté de faire reconnaître la carrière qu’ils menaient avant de s’installer au Québec.»
Quelle que soit sa pratique musicale – musique populaire, classique ou de jazz –, toute personne musicienne immigrante au Québec rencontre des défis, que ceux-ci soient liés à l’adaptation à un nouveau milieu professionnel ou à l’immigration.
«Leurs défis concernent la création de réseaux de connaissances, la compréhension des mécanismes administratifs et institutionnels dans le milieu culturel québécois, le statut de résidence, permettant ou non d’avoir accès à certaines ressources, la reconnaissance de son répertoire musical, sans compter les préjugés et les différentes formes de discrimination que l’on peut subir quand on est une personne immigrante.»
Caroline Marcoux-Gendron,
Professeure associée au Département de musique
La professeure connaît bien le milieu musical au Québec. Elle a été, notamment, chargée de projets au Centre des musiciens du monde pendant près de quatre ans, ce qui lui a permis de toucher à la production de disques et de concerts ainsi qu’à leur diffusion nationale et internationale. Elle a aussi été membre, pendant un an, du comité d’évaluation en musique au Conseil des arts de Montréal, avant d’être nommée au Conseil d’administration de l’organisme où elle a agi comme présidente du secteur musique. «Le projet de recherche s’inscrit dans la poursuite de mes travaux sur la professionnalisation en musique et de mes collaborations avec le CQM», dit-elle.
Besoins et ressources
En collaboration avec le CQM, Caroline Marcoux-Gendron et son équipe ont réalisé récemment un sondage auprès de musiciennes et musiciens ainsi que de professionnels de la culture et de l’immigration qui les accompagnent afin de mieux comprendre leurs besoins en vue d’intégrer le milieu professionnel de la musique.
L’analyse des données n’est pas complétée, mais un premier survol indique que les artistes connaissent peu les ressources existantes auxquelles ils peuvent avoir accès.
«Les musiciennes et musiciens issus de l’immigration ont besoin d’avoir accès à des ressources en matière de soutien logistique, légal et psychosocial, d’aide au réseautage, au financement, à la promotion et à la diffusion de leurs œuvres musicales ainsi que de formation continue.»
Une «cartographie raisonnée»
Un autre objectif de la recherche consiste à créer une cartographie électronique «raisonnée» des voies de professionnalisation en musique afin de pallier le manque d’accessibilité de l’information concernant les nombreuses ressources offertes, manque souvent décrié par les artistes de l’immigration.
«L’enjeu est de décentraliser l’information et de la rendre facilement compréhensible en utilisant la terminologie la plus intelligible possible, indique la chercheuse. Savoir que tel programme de subvention existe est une bonne chose, mais il faut aussi comprendre les mécanismes qui sous-tendent ces programmes et leurs impacts potentiels sur un projet de création ou de diffusion.»
Également destinée aux organismes qui soutiennent les artistes, comme le CQM, la cartographie sera accompagnée de recommandations à l’intention de différents acteurs issus des milieux de la culture, de l’immigration et de la politique, qui porteront sur les besoins non comblés.
Retombées attendues
La recherche permettra de dresser un état des lieux qui sera porteur à la fois pour les chercheuses et chercheurs s’intéressant aux enjeux de professionnalisation artistique des personnes immigrantes et pour les milieux de pratique qui souhaitent mettre en place des actions efficaces.
Dans le cadre de la recherche, un comité consultatif intersectoriel a été formé, réunissant les chercheuses, des musiciennes et musiciens immigrants ainsi que des professionnels des secteurs de la culture, de l’immigration et de l’aide à l’emploi. «Son rôle consiste à conjuguer le savoir scientifique et le savoir expérientiel issu du terrain, observe Caroline Marcoux-Gendron. Cela permet de créer des ponts entre ces différents secteurs et d’ouvrir la voie à une meilleure concertation de toutes les parties prenantes de la professionnalisation des personnes immigrantes dans le domaine musical.»
Les constats qui se dégageront de la recherche pourront éventuellement servir pour d’autres secteurs de la culture, comme ceux du théâtre ou des arts visuels, estime la professeure.
L’équipe comprend deux cochercheuses: la professeure du Département de musique Vanessa Blais-Tremblay et la professeure associée en anthropologie de l’Université de Montréal Marie-Jeanne Blain, également membre de l’Institut de recherche sur les migrations et la société (Université Concordia). Les auxiliaires de recherche Mônica Freire et Raphaëlle Gaudet, de l’UQAM, ainsi que Hortense Dubus et Myriam Zmit, de l’Université de Montréal, sont aussi impliquées dans le projet.
Quant au comité consultatif intersectoriel du projet, il réunit des personnes représentant le Conseil québécois de la musique, le Conseil des arts de Montréal, le Centre des musiciens du monde, Compétence Culture, la Maison de la culture de Montréal-Nord, l’organisme Immigrer, intégrer, innover (INICI), le Centre social d’aide aux immigrants (CSAI), Carrefour Jeunesse Emploi Portneuf ainsi que les musiciennes et musicien Adama Daou, Lara Klaus et Amichai Ben Shalev.
Au début de l’été, une autre subvention (du programme Connexion du CRSH) a été octroyée à Caroline Marcoux-Gendron afin de mener une série d’activités de diffusion à portée nationale et internationale autour du thème de la professionnalisation des musiciennes et musiciens immigrants en 2025-2026.