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Santé mentale: une nouvelle application pour faciliter le retour au travail

L’outil PRATICA favorisera la communication et la concertation entre toutes les personnes concernées.

Par Pierre-Etienne Caza

29 août 2025 à 15 h 42

Le retour au travail pour les personnes aux prises avec un trouble de santé mentale ne s’improvise pas. «C’est un processus qui doit être préparé en amont, parfois même dès le moment où la personne entre en absence maladie de longue durée», observe le professeur du Département d’éducation et pédagogie Marc Corbière, directeur scientifique par intérim du Centre de recherche de l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal.

Au cours des dernières années, le chercheur et son équipe ont développé des outils de mesure, des questionnaires et des interventions novatrices pour accompagner les personnes de retour au travail après un arrêt dû à un trouble mental courant, comme, par exemple, un trouble anxio-dépressif. Tous ces outils, validés scientifiquement, ont été réunis dans une nouvelle plateforme web et mobile baptisée PRATICA.

«L’intégration de ces outils dans une plateforme a pour objectif de faciliter la concertation de tous les acteurs du retour au travail, et ce, afin de mieux accompagner la personne concernée et lui éviter une rechute.»

Marc Corbière

Professeur au Département d’éducation et pédagogie

Les résultats d’une première étude réalisée auprès de 70 personnes, réparties en deux groupes, sont spectaculaires. Les participantes et participants qui ont bénéficié de PRATICA ont repris le travail en moyenne 81 jours plus tôt – presque trois mois, révèle le chercheur. «Cet effet est particulièrement marqué chez les personnes dont l’arrêt maladie a dépassé deux mois. Et il n’y a eu aucune rechute dans le groupe test, contre 13 % de rechute dans le groupe contrôle qui n’avait pas utilisé la plateforme.»

Les résultats de cette étude ont fait l’objet d’une publication plus tôt cette année dans la revue BMC Public Health.

Les acteurs du retour au travail

Dans le cadre de ses recherches antérieures, l’équipe de Marc Corbière a identifié jusqu’à une douzaine d’acteurs du retour au travail, lesquels se répartissent en quatre «systèmes»: l’entourage personnel et social de l’individu qui effectue un retour au travail, les actrices et acteurs de l’entreprise qui l’emploie (supérieur immédiat, collègues, spécialistes des ressources humaines et de la santé/sécurité au travail, syndicats), les spécialistes en assurance ainsi que les personnes professionnelles de la santé impliqués dans le dossier (médecin de famille, psychiatre, ergothérapeute, physiothérapeute, psychologue, travailleurs sociaux, psychoéducateurs, etc.).

Là où le bât blesse, c’est au niveau de la communication, observe Marc Corbière. «La littérature scientifique révèle des lacunes importantes, voire parfois même une absence de communication entre tous ces acteurs. Or, cela ne favorise pas du tout le retour au travail dans les meilleures conditions possibles.»

Le rôle du CORAT

La personne qui doit assurer le leadership entre tous ces intervenantes et intervenants est la coordonnatrice ou le coordonnateur de retour au travail, appelé dans le jargon le CORAT.

«C’est la personne clé qui est en contact avec tous les autres acteurs et dont le rôle premier est d’accompagner l’individu à son retour au travail.»

PRATICA, ajoute-t-il, pourrait devenir l’outil principal du CORAT.

Le fonctionnement de la plateforme est simple: on y retrouve des outils validés pour évaluer les symptômes, les appréhensions liées au retour au travail, les aménagements requis, etc. La personne employée en arrêt maladie est invitée à répondre à des questionnaires, à même la plateforme, et le CORAT veille à traiter, puis à partager les résultats avec les autres intervenants au besoin. «Il va de soi que la plateforme assure la confidentialité des renseignements personnels et médicaux, et que seules les personnes habilitées sont autorisées à voir certaines informations », rassure Marc Corbière.

À partir des réponses de la personne employée, la plateforme peut élaborer une séquence de retour au travail et envoyer des notifications aux acteurs concernés afin de les inviter à fournir des informations à leur tour. «Par exemple, on pourrait demander au médecin de famille de préciser les limitations fonctionnelles de la personne malade pour assurer un retour au travail adapté, illustre le professeur. Ou demander au gestionnaire immédiat quels sont les facteurs de risques psychosociaux au sein du service concerné.»

Le rôle du CORAT est de s’assurer que tous les acteurs concernés fournissent les infos en temps voulu. «Un CORAT a souvent plusieurs dossiers de retour au travail à gérer simultanément – certains en ont entre 60 et 100 selon les organisations –, souligne Marc Corbière. PRATICA leur permet de s’y retrouver, d’obtenir des rappels et de s’assurer de ne pas rater un moment important dans le processus de retour au travail pour chacune des personnes dont ils ont la “responsabilité”.»

Un outil pratique pour les médecins

Les médecins n’ont généralement accès qu’à des informations parcellaires quand il s’agit de comprendre le milieu de travail de leurs patients, poursuit Marc Corbière. «Dans nos recherches, les médecins nous disaient qu’il leur serait utile d’en connaître davantage sur les tâches attendues de la personne malade et sur le climat de travail au sein du service ou de l’entreprise. PRATICA peut leur permettre d’accéder à ce type d’infos.»

Les médecins qui ont testé l’application ont vu tous ces avantages. «C’est un gain de temps et ils obtiennent des informations complémentaires concernant l’état de leur patient au fil des semaines. Si on ajoute les informations fournies par le gestionnaire immédiat, les médecins ont un portrait beaucoup plus précis de leur patient.»

Des rechutes qui coûtent cher

L’équipe derrière PRATICA suggère d’effectuer un suivi trois mois après le retour au travail régulier pour s’assurer que la personne ne fera pas de rechute. «Nous proposons une évaluation fine de la santé de la personne et de son fonctionnement au travail, toujours à l’aide de la plateforme», explique Marc Corbière.

Éviter les rechutes est l’objectif ultime, d’abord pour le bien-être de la personne qui revient au travail, mais aussi pour l’entreprise ou l’organisation qui l’emploie.

«Une rechute coûte environ 70 000 dollars à un employeur. Si on évite des rechutes pour une centaine de personnes, cela représente beaucoup d’économies.»

S’il n’y a pas de rechute, c’est que la personne est revenue au travail dans les bonnes conditions et dans de bonnes dispositions. «C’est le rôle du CORAT de s’en assurer, dans le cadre d’une alliance thérapeutique bienveillante avec le patient, tout en ayant accès aux balises de retour au travail incluses dans la plateforme, comme les guides pratiques», précise Marc Corbière.

Une autre étude en cours

Une nouvelle étude randomisée de PRATICA, cette fois auprès de quatre grandes organisations (CISSS et CIUSSS) du secteur de la santé est en cours afin de valider les résultats obtenus précédemment. «Notre démarche est rigoureuse, surtout quand on sait que seulement 5 % des applications en santé mentale sont testées et validées scientifiquement», observe Marc Corbière.

L’étape suivante sera le déploiement à grande échelle de l’application dans le réseau de la santé et d’autres secteurs d’activité. «Nous croyons que notre application obtiendra un bon accueil et sera adoptée au bénéfice des personnes en processus de retour au travail», conclut-il.

La démo de PRATICA est disponible sur le site web de la Chaire en santé mentale et travail.