Lorsque le gouvernement a fermé les écoles, le 13 mars 2020, Catherine Haeck a accusé le coup. «Je n’ai pratiquement pas dormi pendant deux semaines. Je me répétais: ils ne peuvent pas faire ça!», se souvient la professeure du Département des sciences économiques, spécialisée en économie de l’éducation.
À l’époque, on savait que les enfants étaient beaucoup moins à risque que les adultes de développer une forme grave de la COVID-19. «La seule inconnue, c’est qu’on ne savait pas s’ils pouvaient transmettre le virus, rappelle-t-elle. C’était normal de jouer de prudence, je le comprenais, mais par la suite, on aurait pu faire comme d’autres pays et réouvrir les écoles beaucoup plus rapidement.»
Dès avril 2020, Catherine Haeck partageait ses préoccupations sur la réussite scolaire des jeunes dans différents médias (comme ici, au 98,5 FM). «J’avais relu la littérature sur les effets des interruptions scolaires sur les inégalités et il n’y avait pas de doute: la fermeture des écoles allait avoir un impact sur les résultats des enfants.» Avec son collègue Pierre Lefebvre, elle publie alors un article résumant ces effets néfastes dans la revue Canadian Public Policy.
Les impacts sur la réussite des élèves
Durant la première vague de la pandémie, les écoles primaires de la région métropolitaine de Montréal sont restées fermées pour le reste de l’année scolaire 2019-2020, pour un total de 75 jours. Dans les autres régions du Québec, les écoles sont demeurées fermées jusqu’au 11 mai 2020, pour un total de 40 jours.
En janvier 2021, après les vacances de Noël, il y a eu une prolongation de la fermeture des écoles primaires jusqu’au 11 janvier 2021, pour 4 à 6 jours additionnels. Ainsi, les fermetures provinciales imposées par le gouvernement ont totalisé 80 jours dans la région de Montréal et 45 jours dans le reste du Québec, sans compter d’autres fermetures temporaires en réponse à des éclosions locales de COVID-19.
Au printemps 2021, Catherine Haeck a participé à la création de l’Observatoire sur l’éducation et la santé des enfants du CHU Sainte-Justine. Cet observatoire a pour mission, entre autres, «d’étudier les répercussions de la pandémie afin d’éclairer au mieux les décideurs dans leurs démarches pour assurer le devenir des enfants du Québec».
L’un des projets de recherche de l’équipe de l’Observatoire visait à évaluer, en mai 2021, l’état des connaissances en lecture des élèves en 4e année et de le comparer à celui des élèves de 4e année ayant passé la même épreuve en mai 2019, avant la pandémie. «Il s’agissait du même examen administré à plus de 10 000 élèves de 275 écoles partout au Québec, le ministère ayant accepté de le corriger de manière uniforme», précise la chercheuse. L’équipe d’analyse a pris grand soin, insiste-t-elle, de comparer les résultats obtenus en 2019 et en 2021 pour le même examen dans les mêmes écoles.
«Les résultats indiquaient que les enfants qui réussissaient bien étaient tout aussi nombreux dans les deux cohortes, mais dans le bas de la distribution, on notait des retards plus importants en 2021 pour les enfants en difficulté. De manière globale, la moyenne avait diminué de 8,4 %, mais chez les élèves les plus faibles, l’écart entre 2019 et 2021 atteignait 20 points de pourcentage. C’est énorme!»
Dans les écoles qui ont été fermées plus longtemps, l’effet était plus marqué, ajoute la professeure, et les garçons étaient plus affectés que les filles.
Ces résultats ont fait l’objet d’un article dans la Revue canadienne de l’éducation, cosigné par Sylvana Côté (Université de Montréal), Catherine Haeck, Ophélie Collet (UdeM), William Sauve (UdeM) et Simon Larose (Université Laval).
Cela ne signifie pas que l’effet pandémique a persisté dans le temps, ajoute Catherine Haeck, précisant que d’autres projets de recherche, auxquels elle ne participe pas, sont en cours pour effectuer un suivi. «Je crois qu’en cinq ans, l’effet s’est résorbé en partie, mais pas entièrement», avance-t-elle. Après la pandémie, les exigences d’apprentissage ont été revues à la baisse pour ne pas pénaliser les élèves. Avant d’effectuer de nouvelles analyses, les spécialistes attendent qu’on revienne à des examens de niveau pré-pandémique.
Les impacts sur le travail des parents
Catherine Haeck s’est également intéressée à l’impact de la pandémie sur le travail des parents qui avaient un ou des enfants à l’école primaire. Le télétravail, rappelle la chercheuse, ne s’applique qu’à une personne sur quatre dans l’économie québécoise. «L’impact des fermetures d’écoles a été beaucoup plus important pour les femmes, et encore davantage pour les femmes monoparentales, plus nombreuses à ne plus pouvoir travailler et à devoir interrompre leur participation au marché du travail. Et ces impacts étaient encore plus marqués dans les familles défavorisées.»
Ces résultats ont fait l’objet d’un article dans la Revue canadienne d’économique, cosigné par Pierre-Loup Beauregard (Vancouver School of Economics), Marie Connolly (ESG UQAM), Catherine Haeck et Tímea Laura Molnár (Central European University).
Advenant une autre pandémie…
Tandis que les risques entourant la grippe aviaire s’intensifient aux États-Unis, Catherine Haeck espère que les dirigeants québécois sauront prendre les bonnes décisions advenant une nouvelle pandémie. «Je ne suis pas épidémiologiste, mais si le risque pour la santé des enfants est faible, il faut prioriser l’école en personne le plus possible. Bien sûr, on doit penser à des mesures d’isolement pour les personnes à risque, mais il ne faut pas partir dans des spirales de panique et laisser les écoles fermées trop longtemps», conclut-elle.