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Quartier latin: un portrait démographique et ethnoculturel

Les économistes Julien Martin et Florian Mayneris alimentent la réflexion sur la relance du quartier.

Par Claude Gauvreau

9 janvier 2025 à 9 h 41

En se basant sur les données de recensement de Statistique Canada, les professeurs du Département des sciences économiques Julien Martin et Florian Mayneris, membres de l’équipe de recherche sur le développement économique et les inégalités des territoires (DEIT), ont produit deux études complémentaires pour décrire la population du Quartier latin et son évolution au cours des années 2001 à 2021. La première étude dresse un portrait socio-démographique du quartier, alors que la seconde porte sur sa diversité ethnoculturelle et linguistique.

Ces études, soulignent leurs auteurs, ont été inspirées par leurs rencontres avec la vice-rectrice associée à la Relance du Quartier latin, Priscilla Ananian. «Nos recherches s’inscrivent dans le contexte des initiatives prises par la vice-rectrice associée pour développer une vision commune de l’avenir du quartier et visent à alimenter la réflexion sur sa relance», explique Julien Martin.  «Cela traduit notre volonté de participer aux efforts de l’UQAM dans ce dossier, à partir de nos expertises», ajoute Florian Mayneris.

Dans le cadre de leurs recherches, les professeurs ont retenu comme définition géographique du Quartier latin le quadrilatère formé par la rue Sherbrooke au nord, la rue Saint-Antoine au sud, la rue Saint-Hubert à l’est et le boulevard Saint-Laurent à l’ouest.


Déclin et croissance

Après avoir connu un important développement de la fin du 19e siècle jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, le Quartier latin a subi un déclin démographique et commercial de l’après-guerre jusqu’au début des années 1970. Ce déclin, qui s’est produit au profit des banlieues, notamment, a été suivi d’un renouveau à partir de la fin des années 1970 autour du savoir et de la culture, rappellent les chercheurs dans leur première étude. Ces phases de déclin et d’expansion peuvent être mesurées par l’évolution de diverses statistiques socio-démographiques, comme le nombre de résidents ou leur revenu.

Selon les données socio-démographiques recueillies par les professeurs, le Quartier latin apparaît aujourd’hui comme un quartier composé en bonne partie de personnes diplômées, jeunes et actives, d’étudiantes et étudiants universitaires, et d’une fraction notable d’immigrantes et immigrants. Depuis les 20 dernières années, la population a connu une croissance (24,6 %) supérieure au reste de la région métropolitaine. Le niveau d’éducation et le revenu moyen y ont aussi progressé plus rapidement qu’ailleurs à Montréal, reflétant une forme d’embourgeoisement résidentiel. Ce constat est validé par le coût des loyers, dont l’augmentation a été plus forte dans le Quartier latin que dans les autres quartiers de la métropole. À l’aune de ces données, peut-on vraiment parler d’un déclin du Quartier latin?

«Le déclin dans le quartier, qui se traduit, notamment, par la concentration de problèmes sociaux liés à l’itinérance et à la toxicomanie ainsi que par la fermeture de plusieurs commerces, est réel. Le portrait démographique que nous brossons vient simplement nuancer les discours alarmistes véhiculés dans les médias.»

Julien Martin,

Professeur au Département des sciences économiques

«Le déclin dans le quartier, qui se traduit, notamment, par la concentration de problèmes sociaux liés à l’itinérance et à la toxicomanie ainsi que par la fermeture de plusieurs commerces, est réel, note Julien Martin. Le portrait démographique que nous brossons vient simplement nuancer les discours alarmistes véhiculés dans les médias.»

Le dynamisme démographique constaté dans le Quartier latin est similaire à ce que l’on observe dans plusieurs centres-villes en Amérique du Nord, indiquent les chercheurs. «Le Quartier latin  ainsi que le Vieux-Montréal et le Plateau Mont-Royal, qui sont à distance de marche, disposent de nombreuses aménités pouvant attirer une population jeune et scolarisée: proximité avec le métro et le Quartier des spectacles, bars, restaurants, cinémas, salles de spectacle et présence d’établissements d’enseignement supérieur comme l’UQAM et le Cégep du Vieux-Montréal», souligne Julien Martin.


Une ombre au tableau

Le secteur des Habitations Jeanne-Mance, où l’on trouve des logements à loyer modique pour des ménages à faible revenu, constitue l’ombre au tableau, puisque la population y a chuté de 37,4 % entre 2001 et 2021. Selon les chercheurs, cela s’explique, au moins en partie, par les rénovations majeures des logements du complexe, lesquelles ont conduit à un arrêt des locations entre 2011 et 2022. «Mais, comme la directrice générale des Habitations nous l’a expliqué, la situation est en train de changer avec la reprises des locations, observe Florian Mayneris. Il est important de préserver la vocation des Habitations pour assurer une mixité, pas seulement sur le plan des revenus, mais aussi sur celui des types de ménages, ce qui correspond aux préoccupations de l’UQAM.»

Dans le reste du Quartier latin, le nombre de résidents a crû de près de 45 %, ce qui est bien supérieur à la croissance observée pour la métropole dans son ensemble (21 %), durant la même période. Bien que la densité de population augmente également plus rapidement dans le Quartier latin qu’ailleurs, celui-ci reste dans la moyenne (haute) de la métropole en matière de densité, un phénomène attribuable à la mixité des usages le caractérisant: immeubles résidentiels, bureaux, commerces, établissements de santé (CHUM), culturel (BAnQ) et d’enseignement.

«Les projets de développement résidentiel et commercial annoncés récemment dans le quartier suggèrent que le dynamisme n’est pas en voie de s’essouffler. On pense ici au projet de logements étudiants Méridien sur Saint-Laurent, à l’appel d’offres pour l’Îlot Voyageur (700 logements) ou au projet d’immeuble au sud de la place Émilie-Gamelin.»

Florian Mayneris,

Professeur au Département des sciences économiques

Un dynamisme en voie d’essoufflement?

Les données dont les professeurs disposaient s’arrêtent en 2021 et n’incluent donc pas les développements post-pandémie (2022-2023). De plus, le recensement de Statistique Canada ne prend pas en compte les itinérants qui vivent dans le Quartier latin (au moins durant la journée). Les problèmes actuels pourraient-ils constituer un repoussoir et enrayer la dynamique résidentielle observée entre 2001 et 2021? Pas nécessairement, croient les chercheurs.

«Les projets de développement résidentiel et commercial annoncés récemment dans le quartier suggèrent que le dynamisme n’est pas en voie de s’essouffler, dit Florian Mayneris. On pense ici au projet de logements étudiants Méridien sur Saint-Laurent, à l’appel d’offres pour l’Îlot Voyageur (700 logements) ou au projet d’immeuble au sud de la place Émilie-Gamelin.»

On peut ajouter l’arrivée prochaine de l’École nationale de l’humour sur la rue Saint-Denis ainsi que celle de l’Adisq, avec laquelle l’UQAM vient de signer un protocole de collaboration. Selon les chercheurs, les initiatives en cours pour relancer l’activité commerciale et répondre aux enjeux d’itinérance du secteur, si elles se concrétisent, pourraient renforcer son attractivité comme lieu de travail, de loisir et de vie. Mais la hausse des loyers observée risque de s’accentuer, au détriment d’une mixité sociale déjà mise à mal avec le déclin démographique des Habitations Jeanne-Mance. «Il l est important de sécuriser des logements aux loyers abordables pour la population étudiante», estime Julien Martin.

«La question du logement doit faire partie des discussions en cours sur l’avenir du Quartier latin, pour que mixité sociale et relance aillent de pair. Si on veut maintenir la présence dans le quartier de différents types de ménages en matière de revenus, on doit éviter que les mécanismes du marché prédominent et tenter d’orienter le développement immobilier.»

«La question du logement doit faire partie des discussions en cours sur l’avenir du Quartier latin, pour que mixité sociale et relance aillent de pair, renchérit Florian Mayneris. Si on veut maintenir la présence dans le quartier de différents types de ménages en matière de revenus, on doit éviter que les mécanismes du marché prédominent et tenter d’orienter le développement immobilier.»


Un quartier à dimension internationale

Dans leur deuxième étude, Julien Martin et Florian Mayneris montrent que le Quartier latin accueille proportionnellement plus de résidents issus de l’immigration que le reste de l’Île de Montréal. Cette forte présence de personnes immigrantes s’est accentuée au cours des deux dernières décennies.

«Ce phénomène n’est pas propre au Quartier latin et témoigne des politiques favorables à l’immigration des gouvernements canadien et québécois au cours des dernières années, explique Julien Martin. On constate également un phénomène de réseau. Quand des personnes issues de l’international viennent s’établir dans une ville, elles se tournent généralement vers les quartiers où vit déjà une population immigrante.»

«La hausse des résidents immigrants dans le Quartier latin est due aussi à la part de résidents temporaires ou non permanents qui s’y installent, ce qui reflète probablement l’importance des étudiantes et étudiants internationaux au sein de la population du quartier», remarque Florian Myaneris.

Le Quartier latin accueille une population immigrante diversifiée, dont les origines diffèrent de celles d’autres quartiers de Montréal. Ces 20 dernières années, on observe des changements dans la composition de cette population: une augmentation forte et régulière de la proportion de personnes nées en Chine et en France, une croissance moins spectaculaire des personnes originaires du Maroc et des États-Unis, et une évolution non-linéaire de la part de personnes nées au Bangladesh et au Vietnam. Ces dynamiques reflètent la composition des vagues de migrations à Montréal, mais aussi les choix de localisation des personnes immigrantes.


Recul du français

En ce qui concerne la langue parlée principalement à la maison dans le Quartier latin, le français est le plus souvent utilisé, mais il a reculé, passant de 66% en 2001 à 55% environ en 2021, alors que l’anglais a connu une hausse durant la même période, passant de 9,18% à près de 22%.

«Cette hausse de l’anglais peut s’expliquer par une croissance des ménages anglophones et des ménages – couples ou colocataires – de différentes nationalités utilisant l’anglais comme langue commune», relève Julien Martin. «Cela dit, le fait que des personnes déclarent parler principalement l’anglais à la maison ne signifie pas qu’elle ne maîtrisent pas le français, souligne Florian Mayneris. Certains utilisent simplement une autre langue pour communiquer au sein de leur foyer.»

Selon les chercheurs, ces résultats sont intéressants en raison des enjeux de valorisation du français et de promotion de la culture francophone, lesquels sont associés à la relance du Quartier latin.

La diversité ethnique et culturelle conduit-elle nécessairement à une mixité des communautés? «On sait que plusieurs villes nord-américaines ont une forte composante multiculturelle, et on sait aussi que les différentes communautés qui y résident vivent souvent dans des quartiers cloisonnées, dit Julien Martin. Le Quartier latin, quant à lui, est un lieu de confluence de communautés diverses avec le quartier chinois au sud-ouest, les Habitations Jeanne-Mance un peu plus loin, où vivent des gens originaires du Bangladesh et d’Haïti, et des personnes originaires d’Europe au nord-est. Les possibilités pour que ces populations interagissent entre elles à travers différentes activités existent.»

Les professeurs considèrent que des études qualitatives, menées par d’autres chercheuses et chercheurs de l’UQAM, permettraient de compléter le portait du quartier qu’ils ont brossé.