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Montée de l’intolérance chez les jeunes à propos de la diversité sexuelle

Francis Dupuis-Déri et la Fédération autonome de l’enseignement documenteront le phénomène au primaire et au secondaire.

Par Claude Gauvreau

21 janvier 2025 à 15 h 51

Une nouvelle enquête du Groupe de recherche et d’intervention sociale de Montréal (GRIS-Montréal) a fait du bruit dans les médias au cours des derniers jours. Basée sur plus de 35 000 questionnaires complétés par des élèves du secondaire dans cinq régions du Québec entre les années 2017-2018 et 2023-2024, cette enquête révèle une hausse significative de l’intolérance à l’égard des personnes LGBTQ+.

Le professeur du Département de science politique Francis Dupuis-Déri n’est pas surpris par les résultats de l’étude du GRIS-Montréal. Spécialiste du masculinisme et de l’antiféminisme, le chercheur dirige le nouveau projet de recherche «Enseigner dans des écoles face à la misogynie, l’antiféminisme, l’homophobie et la transphobie», mené en collaboration avec la Fédération autonome de l’enseignement (FAE) et financé par le CRSH.

Selon l’enquête du GRIS-Montréal, en 2017-2018, 25 % des répondants disaient éprouver un malaise face à l’orientation sexuelle d’un ami gai. En 2023-2024, cette proportion s’élève à près de 40 %. Pour une amie lesbienne, le chiffre est passé de 15 % à près de 34 %. De plus, la proportion d’élèves se disant très mal à l’aise avec l’homoparentalité a grimpé de 10 % à 24 %. Visant à sensibiliser les jeunes à la diversité sexuelle et de genre, le GRIS-Montréal recueille ce type de données depuis 30 ans.

Depuis trois ans environ, diverses enquêtes relayées dans les médias, au Québec et ailleurs, ont envoyé des signaux d’alarme en faisant état des tendances décrites dans l’étude du GRIS-Montréal, rappelle Francis Dupuis-Déri. «En Australie, une enquête récente a porté sur des enseignants faisant face à des comportements extrêmement problématiques d’adolescents adeptes de l’influenceur masculiniste britanno-américain Andrew Tate. Des sondages effectués aux États-Unis et en Angleterre montrent que cet influenceur est connu par plus de 80 % des jeunes. Enfin, le 20 janvier dernier, le rapport annuel sur le sexisme en France, produit par le Haut Conseil à l’égalité, souligne que le sexisme et la misogynie se sont aggravés chez les jeunes garçons âgés de 15 à 18 ans.»

L’étude du GRIS-Montréal montre que le portrait de la situation n’est pas homogène. Ainsi, l’hostilité à l’endroit de la diversité sexuelle et de genre est plus forte chez les adolescents que chez les adolescentes. «Recul chez les garçons, mais avancée chez les filles, observe le professeur. Dans les écoles, on voit des adolescents qui profèrent des insultes envers d’autres élèves et des enseignants qu’on n’entendait pas il y a sept ans. Par ailleurs, des sondages au Canada, aux États-Unis et en France montrent que les jeunes filles sont plus nombreuses à se dire féministes aujourd’hui qu’il y a 20 ans, tout comme il y a aussi davantage de garçons qui se déclarent pro-féministes et ouverts à la diversité.»


À qui la faute?

À l’instar du GRIS-Montréal, Francis Dupuis-Déri estime que l’influence des réseaux sociaux, où circulent abondamment les discours conservateurs et masculinistes, contribue pour une bonne part à expliquer le recul des attitudes face à la diversité sexuelle et de genre. D’ailleurs, le niveau d’inconfort des jeunes a particulièrement augmenté au cours de l’année scolaire 2021-2022, marquée par la montée en popularité des «mâles alpha» sur les réseaux sociaux.

«Je pense aussi que certains milieux, progressistes notamment, partagent l’illusion selon laquelle on en aurait fini avec les références aux modèles masculins conservateurs et conventionnels, alors qu’ils sont encore très prégnants chez les jeunes garçons, malgré l’existence de modèles alternatifs. Si un influenceur comme Andrew Tate est si populaire, c’est lié en partie au fait que ces modèles demeurent fortement ancrés. Dans l’un de mes cours, j’ai montré aux étudiantes et étudiants des cartes d’anniversaire que l’on trouve chez Jean-Coutu où l’on voit des images de jeunes garçons habillés en pirate ou en superman et de jeunes filles en princesse.»

Selon Francis Dupuis-Déri, les expressions d’intolérance s’inscrivent dans un contexte international marqué par le croisement de deux forces politiques: le masculinisme, courant antiféministe, et l’«anti-genre», un courant associé au conservatisme et à l’extrême-droite. «En septembre 2023, une mobilisation pancanadienne a rassemblé des milliers de personnes opposées aux discussions sur les identités de genre et la diversité sexuelle dans les écoles», rappelle le professeur.


Inquiétude chez les enseignants

Les membres du Comité de la condition des femmes et du Comité diversité sexuelle et de genres de la Fédération autonome de l’enseignement, qui participeront à la recherche menée par Francis Dupuis-Déri, s’inquiètent de la montée chez les élèves du secondaire, mais aussi du primaire, de discours hostiles aux femmes (misogynes et antiféministes) et aux minorités sexuelles et de genre (homophobes et transphobes). Ces discours peuvent avoir des impacts négatifs sur les autres élèves, ainsi que sur le corps enseignant, y compris ses conditions de travail et sa mission pédagogique.

«Il suffit qu’un élève ou deux dans une classe tiennent de tels propos pour que l’ambiance dans la classe soit perturbée, note le chercheur. Et ces propos peuvent viser aussi bien d’autres élèves que la personne enseignante. On sait aussi que les membres de certains comités LGBTQ+ destinés aux élèves dans des écoles font l’objet d’intimidation. Enfin, contrairement à ce que prétendent certains chroniqueurs de droite dans les médias, les écoles du Québec ne sont pas le lieu où l’on critique chaque jour la masculinité toxique. Les enseignantes et enseignants me disent que des directions d’école ne veulent pas qu’on aborde ce type de sujet pour éviter les problèmes.»

L’objectif principal de la recherche est de documenter et d’analyser les expressions de misogynie, d’antiféminisme, d’homophobie et de transphobie en classe ou à l’école plus généralement, à partir du point de vue des enseignantes et enseignants. Le projet touchera différentes écoles à Montréal et ses couronnes nord et sud, à Québec et dans la région de l’Outaouais. Il offrira l’occasion au personnel enseignant de partager ses réflexions au sujet d’expériences problématiques, de briser l’isolement et de développer des relations de solidarité.

Des entretiens de groupe seront menés avec des enseignantes et enseignants pour mettre en lumière ce qui est commun aux participantes et participants, mais aussi pour dégager les différences entre les établissements scolaires. Un outil d’information et de sensibilisation permettra de partager les analyses et les résultats de l’enquête auprès du corps enseignant, du grand public et dans la communauté de recherche.

«Si, depuis 10 ans environ, les connaissances théoriques et pratiques au sujet de l’antiféminisme en général et de l’homophobie à l’école ont connu un développement important au Québec, il n’y a pas encore de recherche systématique sur le croisement de ces phénomènes chez les élèves des écoles primaires et secondaires. Le projet de recherche contribuera à combler cette lacune», conclut Francis Dupuis-Déri, qui est co-responsable du Chantier sur l’antiféminisme du Réseau québécois en études féministes (RéQEF).