Voir plus
Voir moins

Léa Clermont-Dion: chercheuse, autrice, scénariste et réalisatrice

La diplômée en science politique utilise tous les moyens à sa disposition pour éclairer les enjeux féministes de notre époque.

Par Pierre-Etienne Caza

28 janvier 2025 à 10 h 50

Publish or perish? Très peu pour Léa Clermont-Dion (B.A. science politique, 2014)! L’obligation de publier le plus régulièrement possible dans des revues scientifiques pour faire avancer sa carrière ne sied pas trop à la chargée de cours du Département de science politique, qui est chercheuse, oui, mais aussi autrice, scénariste et réalisatrice. «Mon CV académique n’est pas aussi fourni que d’autres, car je me permets d’autres formes d’expression, explique-t-elle. J’ai toujours été attirée à la fois par la réflexion et par la création. C’était donc naturel pour moi de conjuguer ces deux facettes avec l’enseignement, que j’adore.»

Réalisatrice ou coréalisatrice de quatre documentaires – T’as juste à porter plainte (2021), Janette et filles (2022), Je vous salue, salope: la misogynie au temps du numérique (2022) et La peur au ventre (2024) – et d’une série balado, Pourquoi tant de haine? (2023), qui lui ont valu des prix Gémeaux et des prix Numix, la diplômée en science politique adore être sur le terrain pour mieux comprendre la société dans laquelle elle vit. «J’ai réalisé ma thèse en parallèle avec Je vous salue, salope. Les deux projets portaient sur la même thématique, les discours antiféministes, et j’ai autant appris en faisant l’un que l’autre», illustre-t-elle.

La pratique artistique n’est pas irréconciliable avec la pensée intellectuelle, estime Léa Clermont-Dion.

«Le documentaire permet de toucher différents publics tout en abordant des thématiques complexes. C’est une forme de vulgarisation des connaissances et des débats. Cela me nourrit comme chercheuse et vice-versa.»

Léa Clermont-Dion

Chargée de cours au Département de science politique

L’impact social de son travail est indéniable: son documentaire T’as juste à porter plainte, sur le chemin de croix des victimes d’agressions sexuelles à travers le système judiciaire, a été intégré à la formation obligatoire des juristes lors de la création du Tribunal spécialisé en matière de violence sexuelle et de violence conjugale.

Quand elle a voulu réaliser Janette et filles, elle n’a eu aucun mal à convaincre la principale intéressée, qui l’admirait sans la connaître. «J’avais décidé dans mon cœur que c’est elle qui me succéderait et ça a très bien marché entre nous», a raconté Janette Bertrand lors de la sortie du documentaire. Difficile d’obtenir plus beau compliment!

Léa Clermont-Dion est également une autrice accomplie qui a signé, cosigné ou codirigé six ouvrages: La revanche des moches (VLB, 2014), Lettres à un souverainiste (VLB, 2014), Les Superbes (VLB, 2016), Crève avec moi (Québec Amérique, 2019), Porter plainte (Cheval d’août, 2023) et Salut, ca va? (Cardinal, 2024). L’automne prochain, elle fera paraître Le silence des filles, un essai tiré de sa thèse de doctorat.

Du cinéma à la politique

C’est après avoir complété un diplôme d’études collégiales en arts et lettres, profil cinéma, que Léa Clermont-Dion s’est inscrite au bac en science politique à l’UQAM. «Il me manquait une perspective sociologique et critique dans mon parcours en cinéma», explique-t-elle au sujet de son choix de programme.

Le hasard a voulu que ses études au bac soient marquées par la grève étudiante de 2012. «La grande force du programme de l’UQAM, c’est la théorie critique et les idées politiques, souligne-t-elle. Avec la grève, les apprentissages dans les cours ont été nourris par une expérience sociale marquante et transformatrice», se remémore-t-elle. Pendant son bac, elle a aussi eu l’occasion d’effectuer un échange d’un an à l’Institut d’études politiques de Paris.

Récipiendaire d’une bourse Vanier, l’une des plus prestigieuses bourses d’études au Canada, Léa Clermont-Dion a obtenu une maîtrise et un doctorat en science politique à l’Université Laval, avant de compléter un postdoctorat à l’Université Concordia. Elle y est toujours associée de recherche au Centre d’études sur l’apprentissage et la performance, en plus de diriger la campagne de sensibilisation collégiale et universitaire On s’écoute, sur les violences à caractère sexuel (VACS).

Ses recherches portent, entre autres, sur les cyberviolences envers les femmes, l’empowerment des femmes sur les médias sociaux et la violence envers les femmes.

Ateliers de sensibilisation

Léa Clermont-Dion ne s’en cache pas: son parcours professionnel a dévié au moment où elle a été agressée par Michel Venne, à l’époque directeur de l’Institut du Nouveau Monde, où elle était stagiaire. Elle n’avait que 17 ans. «Depuis l’âge de 12 ans, je participais à des activités de type parlement étudiant et il était clair pour moi que je voulais faire de la politique, raconte-t-elle. L’agression a créé une cassure, ça m’a enlevé le goût de m’engager politiquement.»

Son engagement, désormais, ce sont ses recherches, ses films et ses essais visant à dénoncer la misogynie, mais aussi, et surtout, à sensibiliser, à informer, à éduquer et à mobiliser les jeunes en lien avec les violences à caractère sexuel. Elle donne d’ailleurs des conférences et anime des ateliers sur les VACS dans les écoles depuis de nombreuses années. «Je comprends que les médias couvrent les scandales sexuels lorsqu’ils surviennent ou sont percés à jour, mais on parle rarement des initiatives de sensibilisation qui sont super importantes, surtout en cette époque de ressac par rapport au féminisme et au mouvement #MeToo», souligne-t-elle.

Pour prévenir les violences à caractère sexuel, on doit aussi, selon elle, s’adresser aux garçons. Dans la foulée des scandales à Hockey Canada, elle a offert des ateliers sur le consentement aux joueurs de la Ligue de hockey junior majeur du Québec (LHJMQ) et son plus récent essai, Salut, ça va?, est destiné aux jeunes hommes. Il sera adapté sous forme d’ateliers dans les écoles secondaires du Québec.

«C’est évident que le consentement n’est pas clair pour tout le monde, je l’entends, je le vois dans les ateliers que je donne.»

Pour amener les jeunes à être capables de reconnaître les violences à caractère sexuel, il faut, selon elle, faire appel à l’émotion. «Personne n’est insensible à des témoignages ou à des récits de filles et de femmes qui ont été agressées, comme celui de Rehtaeh Parsons [NDLR: l’adolescente, qui s’est suicidée en avril 2013, a été victime de cyberintimidation pendant des mois après la publication de photos la montrant lors d’un viol collectif]. Il faut toucher le cœur des étudiants pour qu’ils deviennent des alliés et des témoins actifs lorsqu’une agression survient dans leur entourage.»

Foi en la jeunesse

Quand elle regarde du côté des États-Unis, Léa Clermont-Dion est inquiète. «L’élection de Trump autorise plusieurs voix à se libérer, analyse-t-elle. J’entends des propos réactionnaires, des discours qui m’effraient. Et malheureusement, je me pose aussi des questions sur l’état du débat public au Québec. Nos élus ne donnent pas toujours l’exemple le plus glorieux.»

Elle s’inquiète aussi, comme plusieurs, pour la démocratie. «Nous régressons et ce climat toxique rebute plusieurs personnes compétentes à s’engager politiquement, déplore-t-elle. Faire de la politique, c’est violent, notamment sur les réseaux sociaux, et c’est encore plus difficile pour les femmes.»

Elle ne ferme pas tout à fait la porte à sa première passion, mais ce ne sera pas pour tout de suite. «Mes enfants ont quatre et cinq ans. Je ne veux pas leur faire subir cela et je n’ai pas la couenne assez solide, dit-elle. Peut-être quand je serai une vieille personne…»

Si Léa Clermont-Dion entretient de l’espoir malgré tout, c’est parce qu’elle côtoie les jeunes au quotidien – elle a donné le cours Femmes et politique au trimestre d’automne (avis aux intéressés, elle le donnera peut-être à l’automne 2025). «Dans mes cours à l’UQAM, je suis résolument confiante et optimiste. Je trouve les étudiantes et étudiants intelligents, pertinents, nuancés et ouverts d’esprit», conclut-elle.