La nouvelle Chaire de recherche du Canada avec les milieux de vie du Nord a été lancée le 6 février dernier, à l’UQAM, en présence du recteur, Stéphane Pallage, du vice-recteur à la Recherche, à la création et à la diffusion, Christian Agbobli, de la doyenne de la Faculté des sciences humaines, Lucie Dumais, et du directeur du Département de géographie, Juan-Luis Klein. Dirigée par la professeure Laurie Guimond, la chaire vise à analyser les processus géographiques de «l’habiter nordique» dans un contexte de profondes mutations territoriales.
Une causerie sur les transformations des milieux de vie que sont Nutshimit (qui signifie en langue innue l’intérieur des terres) et la Basse-Côte-Nord a eu lieu à l’occasion du lancement. Outre la titulaire de la chaire, cette discussion réunissait Mathias Mark, agent culturel à Pakua Shipi; Karine Monger, directrice générale de la Municipalité régionale de comté du Golfe-du-Saint-Laurent; et Marianne Couture-Cossette, diplômée de la maîtrise en géographie de l’UQAM et doctorante en géographie à l’Université Concordia.
Trois axes de recherche
Les travaux de recherche de la chaire étudient les pratiques, les représentations et les savoirs ancrés dans les territoires ancestraux, les communautés autochtones et allochtones, les milieux transformés par l’industrie extractive, et les établissements dits disparus, mais bien vivants dans les mémoires collectives, comme les camps de chantier du Nord québécois.

Le premier axe de recherche analyse les manières dont on habite le territoire au quotidien, précise Laurie Guimond, tandis que le second étudie les territorialités liées aux mobilités ainsi que les facteurs d’attraction, de rétention et de répulsion des milieux de vie septentrionaux. Le troisième axe se penche sur la cohabitation interculturelle, «l’habiter-ensemble».
«En études nordiques, rares sont les travaux qui croisent les expériences des communautés autochtones et allochtones, alors qu’elles peuvent connaître des enjeux similaires, du fait qu’elles partagent un même territoire.»
Laurie Guimond
Titulaire de la Chaire de recherche du Canada avec les milieux de vie du Nord
En collaboration avec les communautés
Laurie Guimond, qui mène des recherches sur la Côte-Nord et dans Nutshimit depuis plus de 20 ans, tenait à ce que la nouvelle chaire fasse écho à ce qu’elle a toujours mis de l’avant: une démarche collaborative et participative impliquant une relation étroite entre la recherche, l’enseignement et le milieu de pratique. «Les populations concernées guident les orientations de recherche, le travail empirique ainsi que les modes de diffusion des connaissances, explique-t-elle. Nous valorisons aussi les activités de recherche et de mobilisation alternatives, créatives et artistiques comme la vidéo, la poésie ou la cartographie sensible.»
La cartographie sensible, ou cartographie subjective, ne se limite pas à la représentation objective de l’espace (routes, frontières, relief). Elle cherche à intégrer les perceptions, les émotions et les expériences subjectives des personnes vis-à-vis d’un lieu.
Une quinzaine de personnes étudiantes à la maîtrise et au doctorat composent l’équipe de la chaire (dont la doctorante Caroline Dufresne et le doctorant Étienne Gariépy-Girouard, issus de la première cohorte du nouveau doctorat en géographie), en plus de la professionnelle de recherche Maude Normandin Bellefeuille (M.Sc. sciences de l’environnement, 2024). «La quasi-totalité des travaux menés à la Chaire impliquent du travail empirique, tant pour la collecte que pour la validation et la mobilisation des connaissances, précise la titulaire. Cela demande de l’attention et du temps, car il faut s’investir dans les relations interpersonnelles et maintenir le dialogue avec les membres des communautés, qui sont accueillis ponctuellement à l’université pour participer à diverses activités au fil des projets.»
Les changements climatiques en Basse-Côte-Nord
L’une des recherches en cours vise à documenter comment les changements climatiques transforment le quotidien des citoyennes et citoyens de la MRC du Golfe-du-Saint-Laurent et des communautés innues, notamment sur le plan des déplacements et de l’accessibilité aux services essentiels.
«La praticabilité de la Route blanche – le sentier de motoneige reliant les communautés entre elles durant l’hiver –, mais aussi l’accès à l’arrière-pays, aux littoraux et aux îles sont autant de sujets de préoccupation pour les populations, qui voient leur milieu de vie se transformer à un rythme sans précédent», explique Laurie Guimond.
Cette recherche, réalisée en partenariat avec la MRC du Golfe-du-Saint-Laurent, fait dialoguer les données climatiques quantitatives avec des données qualitatives recueillies à même les témoignages des personnes habitant le territoire. Une attention spéciale est accordée aux pratiques spatiales, culturelles et sociales ainsi qu’aux valeurs fondamentales qui y sont associées.
«Nous souhaitons établir à quel point la mobilité intrarégionale et extrarégionale est compromise, ce qui affecte la vie de gens qui sont de plus en plus isolés», souligne la professeure.
Sondage en ligne, ateliers de cartographie participative, entrevues, observation participante, cueillette de données dans les archives, réalisation de capsules vidéo: le taux de participation des communautés a nettement dépassé les attentes de l’équipe de recherche.
«Les gens éprouvaient le besoin de raconter les conditions précaires qui découlent de l’absence d’un lien routier permanent et les deuils qu’ils vivent en lien avec les changements climatiques.»
Des cartes géographiques interactives, aussi appelées cartes narratives (lesquelles permettent de mettre en récit une réalité empirique de manière interactive en se référant à divers médias – vidéo, audio, photographie, dessin, croquis) et un document d’accompagnement en libre accès sur le Web seront produits à l’issue de ce projet. «Ces cartes illustreront de manière diachronique les incidences des changements climatiques sur la mobilité régionale et extrarégionale, et les pratiques locales et régionales qui en sont affectées.»
D’autres avenues de mobilisation des connaissance sont prévues: cercles de partage, groupes de discussion, entrevues aux radios locales ou séances de visionnement de films réalisés par l’équipe. «C’est fondamental de faciliter l’appropriation des résultats de la recherche par les actrices et les acteurs du milieu, pour leurs besoins respectifs», conclut Laurie Guimond.
Deux cours terrain dans le Nord
Offert aux deux ans, le cours Géographie des relations interculturelles comporte un stage d’une semaine en Minganie afin d’étudier les dynamiques culturelles, sociales, environnementales, économiques, politiques et migratoires associées à la cohabitation dans les milieux de vie du Nord. Le cours est donné dans le cadre de la maîtrise et du doctorat en géographie ainsi qu’au DESS en planification territoriale et développement local.
Le cours UQAM Nord, offert à la maîtrise et au doctorat en sciences de l’environnement, vise à familiariser les étudiantes et étudiants avec les réalités nordiques et leur permettre de développer une réflexion éclairée quant à l’avenir du Nord québécois et de ses communautés. Il est donné en formule intensive au mois d’août par Laurie Guimond et ses collègues Étienne Boucher et René Audet.