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L’art de s’exprimer en ondes

L’animateur sportif Paul Rivard initie un groupe d’apprentis journalistes à la livraison d’un texte de nouvelle.

Série

En classe!

Par Pierre-Etienne Caza

25 septembre 2025 à 14 h 30

Mis à jour le 29 septembre 2025 à 14 h 36

Le deuxième cours du trimestre est commencé depuis à peine cinq minutes que déjà, la perspective de lire des textes difficiles devant la classe fait froncer quelques sourcils. «Il y aura des accrocs et des prestations formidables. L’idée n’est pas de vous faire mal paraître ni de vous ridiculiser, mais bien que vous puissiez apprendre par la pratique. Amusez-vous et ne craignez pas de commettre des erreurs», les rassure Paul Rivard.

Le groupe du cours Les techniques d’expression dans les médias électroniques (télévision et radio) est entre bonnes mains. Chargé de cours à l’École des médias depuis 2021, Paul Rivard a plus de 40 ans de métier derrière la cravate. Il a été journaliste, animateur et chroniqueur sportif, mais aussi producteur et gestionnaire dans le monde des médias. Il a couvert huit jeux olympiques et animé l’émission de débats 110 % de sa création, en 1998, jusqu’en 2003. L’art de parler dans un micro, il connaît.

«Le point de départ d’une carrière dans l’univers audio ou vidéo est l’élocution ou la façon de s’exprimer», annonce-t-il au groupe composé d’une trentaine d’étudiantes et étudiants, la grande majorité inscrite au baccalauréat en journalisme.

Paul Rivard est conscient que tous ne veulent pas nécessairement faire carrière en radio ou en télé. Il sait toutefois qu’au cours des dernières années, de nouvelles formes de médias sont apparues. Les balados, les réseaux sociaux comme Instagram, Snapchat et Tik Tok, avec leurs vidéos verticales, sont autant de nouveaux créneaux à exploiter qui requièrent de maîtriser la parole.

«Le point de départ d’une carrière dans l’univers audio ou vidéo est l’élocution ou la façon de s’exprimer», souligne Paul Rivard. Photo: Nathalie St-Pierre

«Vous devrez non seulement faire preuve d’une maîtrise de la langue et d’une bonne livraison – je pense ici à l’importance de bien articuler et de projeter votre voix –, mais aussi d’une concentration à toute épreuve. Il faut arriver à bloquer mentalement tout ce qui se déroule autour de vous, car sur un tournage en extérieur ou même dans un studio radio ou télé, il y a toujours du mouvement, indique-t-il. D’où l’importance des exercices pratiques entourés de vos collègues.»

L’importance des notes

Pourquoi les reporters ont-ils un calepin à la main lors de leurs interventions télévisées? «Ils notent des phrases-clés pour se rappeler les grandes idées qu’ils souhaitent aborder et ils y ajoutent parfois des statistiques et des citations, explique Paul Rivard. Ils peuvent ainsi jeter de brefs coups d’œil à leur calepin, mais la majorité du temps, ils doivent regarder la lentille de la caméra. C’est ce que nous allons nous exercer à faire ensemble ce trimestre.»

Paul Rivard met en garde les étudiantes et étudiants qui seraient tentés d’apprendre leurs interventions par cœur.

«Je peux déceler à l’oreille les personnes qui ont appris un texte par cœur et je n’en veux pas. C’est une très mauvaise idée, car dès que la nervosité s’installe, la chaîne débarque et c’est la catastrophe.»

Paul Rivard

Chargé de cours à l’École des médias

Une personne qui a préparé son intervention en effectuant sa recherche et en rédigeant ses notes peut très bien se débrouiller avec quelques phrases-clés, insiste-t-il.

Les principes d’élocution

Paul Rivard aborde ensuite les principes de base de la communication: la prononciation, l’articulation, l’accent tonique, le rythme, le débit, le ton, la volume, le timbre, le maintien et la gestuelle. «J’attire votre attention sur l’accent tonique, observe-t-il. En français, il est toujours sur la dernière syllabe d’un mot, tandis qu’en anglais, il se déplace selon le nombre de syllabes.»

Le ton est un autre aspect de l’élocution sur lequel on travaillera durant le trimestre. «On ne livre pas sur le même ton une nouvelle sur un accident ayant fait des victimes et un topo sur le prochain spectacle de Lady Gaga», illustre-t-il.

Le groupe est constitué d'une trentaine d’étudiantes et étudiants, la grande majorité inscrite au baccalauréat en journalisme. Photo: Nathalie St-Pierre

À ceux et celles qui s’en font pour le timbre de leur voix, Paul Rivard se fait à nouveau rassurant. «C’est inné, vous avez la voix que vous avez, mais nous pourrons travailler pour que vous soyez en mesure de bien la projeter.»

Le chargé de cours attire l’attention sur les béquilles qu’on utilise toutes et tous sans trop s’en rendre compte, surtout le fameux «eeeee». «Je suis prêt à tolérer vos hésitations, mais je vais vous inciter à éliminer les “pis”, “j’veux dire”, “tsé”, “genre” et “style” dans vos interventions», précise-t-il.

Chaque personne est le produit de son environnement familial et a une façon de parler qui lui est propre, observe Paul Rivard. Une de ses anciennes étudiantes prononçait tous ses «a» comme des «e». «Elle ne disait pas “J’pense pas” mais “J’pense pe”. “Ç’pas ça” devenait “Ç’pe ce”. Elle est tombée des nues quand je lui ai fait remarquer. Elle ne comprenait pas. Je ne pouvais pas la pénaliser, car c’était impossible de corriger cela en trois mois. Je serai donc compréhensif à cet égard.»

L’inévitable trac

Les futurs communicateurs et communicatrices auront à composer avec la bête noire de la plupart des métiers exigeant la prise de parole en public: le trac. «C’est une émotion, une peur, une angoisse irraisonnée au moment de paraître en public, explique Paul Rivard. Bien sûr, le contexte de votre intervention influencera le trac que vous ressentirez et chaque personne y réagit différemment.»

Le trac est un frein que l’on peut transformer en moteur, insiste-t-il. «Ce cours-ci ne sera peut-être pas le plus marquant de votre bac, mais il vous donnera des outils pour atténuer le trac. Vous verrez, il y a des trucs pour tout!»

Lire à voix haute

Paul Rivard annonce qu’en deuxième moitié de séance, les membres du groupe devront lire un des six textes de nouvelle qu’il a préparés, lesquels renferment des phrases lourdes et des noms propres difficiles à prononcer. «Le meilleur truc est de noter les pièges qui peuvent vous causer des difficultés et d’indiquer les moments où vous devez respirer. Pour ma part, j’utilise un système de flèches, vers le haut ou vers le bas, qui m’indiquent là où je dois baisser le ton, faire une pause ou reprendre mon souffle», explique-t-il avant d’en faire la démonstration en lisant deux textes projetés à l’écran.

À la pause, on s'exerce à la lecture des textes à voix haute. Photo: Nathalie St-Pierre

Il importe de ne pas respirer n’importe où à la lecture d’un texte de nouvelle, autrement la livraison est saccadée et ce n’est pas très agréable à l’oreille, ajoute-t-il. «Lors de la pause, je veux que vous vous exerciez à la lecture de votre extrait. Et ne le lisez pas dans votre tête ou à voix basse, car cela n’a rien à voir avec la livraison à voix haute. Si vous êtes gêné, cherchez un coin pour être tranquille. L’important est de trouver le bon rythme et de ne pas s’essouffler pendant la lecture.»

Un exercice constructif

Au retour de la pause, Paul Rivard explique que chaque personne qu’il désignera devra s’asseoir au bureau à l’avant de la classe – de dos au groupe pour ne pas ajouter une couche de trac – et lire son texte pendant qu’il en fera une captation audio avec son téléphone. «Chaque exercice mérite une rétroaction. Voilà pourquoi, en plus de mes remarques à chaud, je prendrai le temps de réécouter vos exercices et de vous retourner le fichier audio avec mes commentaires.»

Paul Rivard fait une captation audio de chaque performance avec son téléphone afin de pouvoir donner ensuite de la rétroaction aux étudiantes et étudiants. Photo: Nathalie St-Pierre

Flavie, la première à se lancer, livre son texte de brillante façon. On l’applaudit chaleureusement pour avoir brisé la glace. «Tu étais un peu essoufflée à la fin, non?», lui fait remarquer le chargé de cours, qui revient aussi sur l’importance de placer l’accent tonique aux bons endroits afin d’éviter les phrases qui tombent à plat à mi-parcours.

Une dizaine de collègues se prêtent à l’exercice et les différentes performances sont autant d’occasions pour l’enseignant d’expliquer les pièges qui les guettent. Il leur explique, par exemple, comment introduire une citation, en utilisant la formule consacrée «et je cite», ou comment maîtriser l’art de l’escamotage contrôlé. «Il s’agit de syllabes sur lesquelles il n’est pas nécessaire d’appuyer», explique-t-il à un étudiant qui venait d’utiliser l’expression «cessez-le-feu» en prononçant le «e» de «le», ce qui sonnait bizarre. «C’est comme pour le verbe “montera”, il n’est pas nécessaire de prononcer le “e”. On peut dire “mont’ra” pour que ce soit plus agréable à l’oreille. Même chose si vous devez dire “des ennuis de santé”. Vous pouvez dire “Des ennuis d’santé”.»

Une dizaine d'étudiantes et étudiants se prêtent à l'exercice et les différentes performances sont autant d'occasions pour l'enseignant d'expliquer les pièges qui les guettent. Photo: Nathalie St-Pierre

À certaines personnes, Paul Rivard fait remarquer que leur «a» ne doit pas être tombant. Quatar et Gaza ne doivent pas devenir Qatâr ou Gazâ. «Il faut aussi faire attention au mot “tous” qui devient souvent “toutte” à l’oral.»

Quand un étudiant se laisse glisser sur la chaise, Paul Rivard en profite pour aborder la question du maintien. «En te tenant droit, tu auras un meilleur tonus. C’est d’ailleurs pour cette raison que plusieurs animatrices et animateurs de radio préfèrent travailler debout.»

Après qu’une étudiante ait trébuché sur un mot et dit «Pardon» avant de poursuivre sa lecture, un étudiant demande s’il s’agit d’une pratique à adopter. «Dans ce domaine, la modération a bien meilleur goût, observe le chargé de cours. Si vous trébuchez trois ou quatre fois dans un segment, vous pouvez dire “Pardon, je reprends”, mais si vous trébuchez une seule fois, les gens ne s’en rendront pas compte. Inutile d’attirer leur attention et d’interrompre leur écoute.»

Un défi pour Laura et Léo

Les deux dernières personnes à s’exécuter devant la classe ont hérité d’un défi plus redoutable. Leur texte est truffé de mots et d’expressions difficiles à prononcer: noms de villes étrangères (Garmisch-Partenkirchen, Tegucigalpa, Antananarivo et Aizuwakamatsu), allitérations («lorsqu’il vit ses seize co-vacanciers, sortes de chasseurs associés, se prélasser sur seize chaises séchant au soleil de seize heure seize»), et même le fameux volcan islandais Eyjafjallajökull.

 

Laura et Léo héritent d'un défi redoutable: lire un texte truffé de mots et d'expressions difficiles à prononcer. Photo: Nathalie St-Pierre

Laura relève le défi avec un tel brio que le groupe l’acclame. L’esprit de camaraderie semble déjà installé, ce qui réjouit visiblement l’enseignant. Léo s’en sort bien lui aussi, mais il a trouvé l’expérience «rude, très rude». L’objectif, rappelle Paul Rivard, était de voir à quel point ce n’est pas simple de lire un texte dans le but de bien communiquer.

Pour le reste de la période, l’enseignant propose au groupe de lire à voix haute des virelangues d’une, deux ou trois lignes. L’exercice donne lieu à quelques fous rires ainsi que quelques prestations impeccables. «Vous êtes formidables!», conclut Paul Rivard en saluant le groupe qui a relevé son premier défi de la session.