Après avoir quitté son Gabon natal, puis effectué une courte escale à Paris, Dieudonné Ella Oyono était dans un avion à destination de Montréal pour y entreprendre ses études doctorales lorsque l’engin a été forcé de faire demi-tour, à mi-parcours, pour revenir dans la capitale française. C’était le 11 septembre 2001. «Les jours suivants, j’ai dormi dans cinq hôtels différents et je me rendais tous les jours à l’aéroport dans l’espoir de pouvoir remonter dans un avion pour Montréal, raconte-t-il. Je n’ai rien dit aux gens de ma famille pour ne pas les inquiéter inutilement. J’étais convaincu qu’ils m’auraient demandé de revenir au Gabon si je les avais appelés. Or, j’étais déterminé à venir étudier au Canada!»
Le jeune chercheur en sciences économiques atterrit finalement à Montréal le 16 septembre 2001. «Mon objectif était d’obtenir un doctorat et de retourner au Gabon pour y enseigner, mais ce n’est pas tout à fait ce qui est arrivé», se rappelle-t-il en riant.
D’étudiant au doctorat en économique, Dieudonné Ella Oyono est devenu chargé de cours, puis employé au gouvernement du Québec, pour ensuite gravir les échelons à la Ville de Montréal. Il vient d’être nommé directeur du Service de développement économique de la Ville.
Médecin, ingénieur ou économiste ?
«Quand on vient d’un milieu modeste comme moi, nos parents influencent notre choix de carrière sans trop savoir de quoi il en retourne, raconte Dieudonné Ella Oyono. À l’époque, ils m’avaient dit: tu peux être médecin, ingénieur ou faire de l’argent en étudiant l’économie!»
Ses deux sœurs plus âgées ayant embrassé une carrière en médecine, Dieudonné Ella Oyono opte pour les sciences économiques.
«Il fallait quelqu’un qui soit versé en finance dans la famille et ça tombait bien, car j’aimais les chiffres.»
Plutôt que d’effectuer des études doctorales en Europe, comme la plupart de ses compatriotes, il choisit le Canada. «J’étais parmi les pionniers au Gabon à aller étudier en Amérique», se souvient-il.
Du gouvernement du Québec à la Ville de Montréal
Son projet de thèse portait sur le taux de change de pays africains en lien avec le commerce international. «J’ai commencé à enseigner au premier cycle et j’avais rédigé deux articles sur trois quand s’est présenté un poste au ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ), qui cherchait un conseiller à Montréal pour élaborer une stratégie de développement des exportations dans le domaine bioalimentaire.»
Il travaille au MAPAQ de 2006 à 2009, à titre d’économiste, puis un peu plus de six ans au ministère de l’Économie, de la Science et de l’Innovation, de 2009 à 2016, à titre d’adjoint au directeur régional de Montréal. En 2016, il obtient un poste de commissaire au développement économique à la Ville de Montréal. Son mandat: élaborer une stratégie au sujet des parcs industriels.
Les années subséquentes le voient grimper les échelons, occupant les postes de chef d’équipe, développement économique du territoire, chef de division du développement du territoire et directeur de la mise en valeur des pôles économiques. Il occupait par intérim, depuis l’automne dernier, le poste de directeur du Service du développement économique dans lequel il a été confirmé au début du mois de février.
«Le Service du développement économique est un service stratégique d’agglomération, qui touche l’ensemble de l’île de Montréal – les 19 arrondissements et les 15 municipalités, de Sainte-Anne-de-Bellevue à Pointe-aux-Trembles – et qui a comme mission le déploiement des priorités économiques de la Ville, notamment la stratégie centre-ville, le développement de l’Est de Montréal et le soutien aux PME et aux commerces locaux», explique l’économiste. Son équipe, qui compte environ 70 personnes, auxquelles s’ajoute l’équipe d’une centaine de personnes œuvrant au Réseau PME MTL, traite avec plusieurs partenaires économiques de l’agglomération montréalaise, mais aussi avec les gouvernements provincial et fédéral.
Le temps pour enseigner et s’impliquer
En parallèle avec ses différents emplois, Dieudonné Ella Oyono a toujours conservé un lien avec l’UQAM. Depuis 2005, il donne les cours d’analyse microéconomique et d’analyse macroéconomique au premier cycle. «J’adore enseigner et échanger avec les étudiantes et les étudiants. Même quand mes tâches et mes autres engagements compriment mon horaire, j’essaie de trouver du temps pour donner au moins un cours par session.»
Il est également impliqué dans plusieurs causes sociales et éducatives. Il préside le conseil d’établissement de l’école de ses deux plus jeunes enfants depuis quelques années, il agit à titre de mentor pour les jeunes de la communauté noire qui veulent s’impliquer sur la scène économique, sociale ou culturelle québécoise et il a cofondé le Réseau des employés noirs de la Ville de Montréal. «De belles choses sont mises en place pour lutter contre le racisme et les discriminations systémiques au sein de plusieurs organisations québécoises, note-t-il. C’est le cas à la Ville, qui démontre, en outre, une volonté d’en faire plus. Je considère que c’est la moindre des choses de m’impliquer pour faire des propositions.».
Auteur de l’autobiographie Comment tomber en amour avec son nouveau pays? (Cornac, 2018), Dieudonné Ella Oyono donne des conférences afin de partager son histoire.
«Toute société qui accueille des immigrants est imparfaite, mais plutôt que de me concentrer sur ce qui ne fonctionne pas, je préfère raconter mon histoire d’amour avec la société québécoise pour que les nouveaux arrivants sachent que c’est possible de s’y épanouir.»
À l’été 2020, en pleine pandémie, il a créé la série Facebook «Dieudonné reçoit…» afin de faire connaître le parcours de différents leaders de la communauté noire au Québec. La série compte 24 épisodes répartis sur deux saisons. «Ce sont des gens qui ont réussi et qui sont des sources d’inspiration pour les jeunes», précise-t-il.
Impliqué au sein du Parti québécois pendant une dizaine d’années, il s’est présenté aux élections de 2018 dans Saint-Henri-Sainte-Anne, terminant quatrième dans la circonscription remportée par la cheffe libérale Dominique Anglade. Après cette défaite, il est devenu président du PQ entre 2019 et 2021. «C’était l’époque où le parti n’avait pas de chef, alors j’étais souvent sollicité pour prendre position dans les médias, se rappelle-t-il. Ce fut une expérience bénéfique qui m’a permis de développer une foule de contacts dans tout le Québec, lesquels me servent encore aujourd’hui.»
Même si Dieudonné Ella Oyono a dévié de son plan de carrière initial, il est tout de même retourné au Gabon à plusieurs reprises au fil des ans pour y enseigner des cours à l’université. «J’entretiens toujours le projet d’y retourner plus longtemps, peut-être à la retraite, pour pouvoir donner encore plus de cours», conclut-il.