Voir plus
Voir moins

Bienfaits et risques de dérive de la pornographie générée par intelligence artificielle

L’IA rend accessibles des expériences interactives adaptables aux désirs et fantasmes des individus, observe la doctorante Valérie Lapointe dans une nouvelle étude.

Par Claude Gauvreau

25 mars 2025 à 13 h 16

L’intelligence artificielle (IA) est désormais présente dans plusieurs sphères de notre vie, y compris celle de la sexualité. Une équipe de recherche composée, notamment, de la doctorante en psychologie Valérie Lapointe et des professeurs du Département de sexologie David Lafortune et Simon Dubé (associé), a réalisé l’une des premières études empiriques consacrées à la pornographie générée par l’IA. Intitulée «The Present and Future of Adult Entertainment: a Content Analysis of AI-Generated Pornography Websites», l’étude a été publiée dans la revue scientifique Archives of Sexual Behavior.

Recourant à une analyse de contenu, l’équipe de recherche a examiné les fonctions, les stratégies de production et les options de personnalisation offertes sur une trentaine de sites web de pornographie générée par l’IA, en provenance de différents pays, dont les États-Unis et la Chine.

«La pornographie alimentée par l’IA sur des plateformes numériques est un phénomène émergent, mais en expansion. Elle est en voie de remodeler la façon dont les gens créent et consomment du contenu sexuellement explicite, rendant accessibles des expériences interactives hautement personnalisées, adaptables aux désirs et fantasmes des individus.»

Valérie Lapointe,

Doctorante en psychologie

 

L’étude rappelle que l’industrie de la pornographie (un marché d’un milliard de dollars) a connu au fil du temps des transformations majeures, passant des supports physiques – magazines, VHS et DVD – aux plateformes numériques sur internet, rendant la porno plus accessible et plus diversifiée qu’auparavant.

Par rapport au contenu audiovisuel de la pornographie numérique «traditionnelle», la porno générée par l’IA intègre différents types de matériels sexuels sur plusieurs supports, observe Valérie Lapointe. «Elle offre un contrôle étendu aux consommateurs, lesquels peuvent produire du contenu sexuel multimédia rapidement, à faible coût et en grande quantité, permettant ainsi de réduire la relation de dépendance à l’égard des entreprises et des créateurs professionnels de contenu.» Elle donne aussi la possibilité d’interagir, par le texte et la parole, avec des partenaires artificiels, soit des robots conversationnels (erobots), simulant des relations humaines ou favorisant de nouvelles relations humain-machine.

«Le changement incarné par la pornographie générée par l’IA se résume en quelques mots: accessibilité, interactivité, immersion et réalisme croissant.»


Fonctions, production et personnalisation

L’équipe de recherche a classé les caractéristiques des sites de pornographie générée par l’IA en trois catégories: les fonctions, les stratégies de production et la personnalisation.

La génération d’images statiques représente la fonction la plus courante (80,6%) des sites web étudiés, alors que celle générant des vidéos était moins fréquente (près de 42%). Un quart des sites permettent aux utilisatrices et utilisateurs de créer du contenu audio en vue d’échanges avec des agents conversationnels. Par ailleurs, la plupart des sites offrent la possibilité de sélectionner dans des «galeries» du contenu préexistant ou d’en emmagasiner de nouveaux. Enfin, on peut créer des avatars pour se représenter soi-même ou pour représenter des personnages 3D.

Du côté des stratégies de production, les possibilités sont multiples.

«Les sites web offrent aux internautes la possibilité de spécifier ce qu’ils veulent inclure dans le contenu généré, d’indiquer ce qu’il faut exclure, de modifier des contenus existants ou nouvellement créés. Nul besoin de faire de la programmation complexe pour parvenir au contenu désiré.»

Bien que les utilisateurs ne puissent pas entraîner les modèles proposés par les sites web, ils peuvent modifier et retravailler leur contenu jusqu’à ce qu’ils obtiennent un résultat satisfaisant, notamment en sélectionnant différentes fonctions pour mieux refléter leurs préférences.

Les consommatrices et consommateurs ont aussi accès à des options de personnalisation diversifiées. «La plupart des sites permettent de personnaliser les caractéristiques sociodémographiques des personnages générés par l’IA, notamment le sexe, l’âge, l’origine ethnique et les préférences sexuelles», illustre Valérie Lapointe. Sans parler de la possibilité de créer des personnages originaux, voire étranges: elfes, extraterrestres, loups-garous…

De plus, on peut personnaliser les caractéristiques globales du corps ainsi que la taille et la forme de certaines de ses parties – organes génitaux, seins, fesses, jambes –, et modifier les expressions faciales, le poids, les muscles et la couleur de la peau ou des cheveux. Enfin, les utilisateurs peuvent personnaliser les émotions et l’excitation sexuelle affichées par les personnages.

«Toutes ces options favorisent des sentiments de connexion hautement personnelle et de réalisme anthropomorphique, venant brouiller la frontière entre le réel et le virtuel», relève la doctorante.


Implications socio-éthiques

L’étude aborde les avantages et risques que comportent les avancées technologiques, tout en évitant de porter un jugement moral ou d’adopter un point de vue normatif.

Plusieurs personnes sont insatisfaites de leur vie sexuelle et amoureuse, alors que d’autres, en proie à la solitude affective, n’ont pas accès à des rapports d’intimité ou à des partenaires sexuels. «La pornographie générée par l’IA, comme la sextech en général, peuvent satisfaire des besoins non comblés, donner envie d’explorer des avenues différentes en matière de sexualité», indique Valérie Lapointe. Le défi consiste à s’assurer que les applications de l’IA servent à maximiser le bien-être des gens.

Selon la doctorante, le haut degré d’interactivité avec les robots sexuels et autres agents artificiels offert par les sites pourrait générer des applications bénéfiques dans les domaines de la santé et de l’éducation. «Les robots pourraient être programmés en vue d’une utilisation en contexte clinique ou thérapeutique afin d’aider des individus à surmonter leurs peurs ou leur anxiété relatives à l’intimité et au sexe, ou servir d’outils pour traiter des difficultés sexuelles telles que le trouble érectile. Enfin, les robots pourraient contribuer à élargir le champ de l’éducation à la sexualité en présentant des modèles de sexualité alternative.»

Il existe toutefois des risques associés à une mauvaise utilisation de la technologie. Des fonctions de modification de contenu proposées sur les sites web soulèvent des inquiétudes quant à leur potentiel d’utilisation malveillante ou illégale. «C’est le cas des hypertrucages appelés deepfakes et deeepnudes, remarque Valérie Lapointe. Apparus en 2017 et reposant sur l’IA générative, les deepfakes consistent à utiliser des images, des vidéos ou des contenus audio existants, qui concernent des personnes réelles, notamment des célébrités féminines comme Taylor Swift et Scarlett Johanson, et à les transformer afin de produire du matériel à caractère sexuel d’apparence réaliste.»

L’étude montre que plusieurs sites web utilisent des stratégies de régulation visant à réduire les risques associés à la production de contenus. «La plupart des sites que nous avons explorés empêchent  de générer du contenu illégal, comme des représentations sexuelles juvéniles ou de la nécrophilie, observe la chercheuse. Dans certains cas, on ne sait pas comment le contenu est modéré, s’il existe des types de contenus interdits ou si les utilisateurs générant du matériel illégal sont signalés.» Une autre étude, actuellement en cours, se penche sur les stratégies de modération utilisées par les sites.

Depuis ses débuts, la pornographie, comme d’autres produits culturels, contribue à entretenir des biais, des préjugés et des stéréotypes sexistes. Et la porno générée par l’IA ne fait pas exception, dit Valérie Lapointe.

«De manière générale, la porno générée par l’IA semble être produite par des hommes hétérosexuels et conçue pour eux.»

Les personnages, féminins notamment, sont jeunes et correspondent aux canons de beauté traditionnels, poursuit la chercheuse. «Cela dit, certaines plateformes web proposent des modèles alternatifs, qu’ils soient féministes ou destinés à la communauté LGBTQ+.  Tout dépend des bases de données à partir desquelles les algorithmes sont entraînés.»


Perspectives d’avenir

La rapidité avec laquelle l’IA se développe laisse entrevoir l’avènement de sites pornographiques toujours plus sophistiqués et performants, estime la doctorante. «Il existe un potentiel de convergence technologique qui réunirait la réalité virtuelle, la réalité augmentée et l’IA, permettant une pornographie multimodale et multidimensionnelle avec des partenaires humains, artificiels ou hybrides.»

La façon dont les plateformes sont conçues amène aussi à entrevoir une industrie du divertissement pour adultes où la majeure partie de la production pornographique se retrouverait entre les mains du public et/ou des systèmes d’IA automatisés, au détriment des créateurs professionnels de contenus.

De nouvelles perspectives s’ouvrent du côté de la recherche. «Les études futures pourraient repérer les mesures prises par les sites porno actuels d’IA pour prévenir le matériel préjudiciable ou illégal, fournir des alternatives afin de réduire les risques associés aux fonctions d’altération de contenu, voire élaborer des réglementations efficaces pour le bien-être et la santé psychologique des individus», souligne Valérie Lapointe.

La doctorante et ses collègues estiment que leur étude devrait s’étendre à plusieurs pays pour identifier des caractéristiques façonnées par des traditions nationales et des normes sociétales, et être reproduite à plusieurs moments pour bien saisir les changements longitudinaux dans le paysage pornographique affecté par le déploiement de l’IA. «Ce n’est qu’à travers un tel processus continu que nous pouvons espérer comprendre l’influence de la pornographie générée par l’IA sur notre intimité, au fur et à mesure que nous devenons les architectes de nos fantasmes matérialisés», concluent les auteurs de la recherche.