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Violences conjugales sexuelles: comprendre pour agir

Une formation outillera les intervenantes des maisons d’aide et d’hébergement afin de mieux accompagner les victimes.

Par Claude Gauvreau

5 septembre 2024 à 9 h 01

La professeure du Département de sexologie Mylène Fernet a reçu une subvention du ministère de la Justice du Québec pour un projet de recherche mené en partenariat avec le Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale. Ce projet consiste à développer et à évaluer une formation destinée aux intervenantes des maisons d’aide et d’hébergement afin qu’elles acquièrent des compétences dans l’accompagnement des femmes victimes de violences sexuelles en contexte conjugal. C’est le premier du genre au Québec.

«On connaît le phénomène de la violence physique et psychologique en contexte conjugal, mais moins celui des violences sexuelles, souligne Mylène Fernet. Alors qu’elles sont étudiées dans le spectre plus large des autres violences faites aux femmes, les violences conjugales sexuelles sont souvent invisibilisées. Elles sont aussi moins dénoncées en raison des difficultés des femmes à les nommer, de leur sentiment de honte et d’isolement, du contrôle coercitif exercé par le conjoint et de la peur de représailles.»

«Près de 90 % des femmes ayant fait appel aux ressources d’aide et d’hébergement ont confié aux intervenantes qu’elles avaient subi une forme ou une autre de violence sexuelle.»

Mylène Fernet,

Professeure au Département de sexologie

Ainsi, moins de 3 % des demandes d’aide auprès des maisons d’hébergement concernent les violences sexuelles. Pourtant, observe la professeure, «près de 90 % des femmes ayant fait appel aux ressources d’aide et d’hébergement ont confié aux intervenantes qu’elles avaient subi une forme ou une autre de violence sexuelle».

Les manifestations de violence conjugale sexuelle englobent, notamment, la coercition sexuelle et reproductive, les rapports et les attouchements sexuels non consentis, le harcèlement, l’intimidation, la manipulation et les cyberviolences sexuelles (réseaux sociaux, courriels, téléphone cellulaire). «Par rapport aux femmes qui signalent exclusivement de la violence conjugale physique, celles qui subissent des violences sexuelles présentent plus de symptômes de stress post-traumatique, des symptômes dépressifs plus sévères et davantage d’idées suicidaires», note Mylène Fernet.

Des lacunes à combler

Organisme pionnier, le Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale chapeaute 46 maisons d’aide et d’hébergement à l’échelle du Québec, offrant un environnement sécuritaire propice au partage d’expériences. Malgré leur expertise reconnue, les intervenantes membres du Regroupement estiment qu’il faut renforcer les actions ciblant les violences sexuelles en contexte conjugal et en faire une priorité. «Elles signalent l’importance de recevoir une formation leur permettant d’offrir un soutien plus adapté aux femmes, sensible et efficace, en plus d’un accompagnement dans les procédures socio-judiciaires et médico-légales», précise la professeure.

Les besoins de formation des intervenantes ont trait à la façon d’agir pour aider les femmes à surmonter leur inconfort à parler des violences sexuelles qu’elles ont subies, relève Mylène Fernet. «Peu outillées et mal à l’aise, elles sont portées à orienter les femmes vers des ressources spécialisées en violences sexuelles, entraînant de nouvelles démarches au cours desquelles les victimes devront encore raconter leurs expériences, un exercice toujours pénible. Les intervenantes sont aussi amenées à rencontrer des femmes à différents âges de la vie et d’origines diverses, immigrantes et autochtones notamment, ayant leurs propres valeurs culturelles.»

Des questions se posent quant à la nature du mandat des intervenantes et aux limites de leurs interventions. Jusqu’où doivent-elles aller dans le processus d’accompagnement des victimes? «Elles sont conscientes de l’importance de la prévention pour éviter ce qu’on appelle la re-victimisation en contexte conjugal, illustre la chercheuse. Elle savent qu’elles doivent respecter les choix et le rythme des femmes, alors que certaines porteront plainte contre leur conjoint violent et s’engageront dans la voie socio-judiciaire, et d’autres non.»

Pour une formation approfondie

Quelque 200 intervenantes des maisons d’aide et d’hébergement dans les régions de Montréal, Québec et de l’Outaouais seront sollicitées paour participer à des formations dans le cadre de groupes de discussion. Le contenu des formations sera défini par l’équipe de recherche dirigé par la professeure, en collaboration avec des intervenantes parmi les plus expérimentées et des utilisatrices de services des maisons d’hébergement.

«L’objectif ultime est de fournir aux femmes des outils afin qu’elles reprennent un pouvoir sur leur vie, ce qui constitue le facteur clé du processus de rétablissement.»

«Les formations visent à améliorer les connaissances des intervenantes sur la nature des violences sexuelles en contexte conjugal, leurs manifestations courantes et leurs conséquences, indique Mylène Fernet. Les intervenantes seront ainsi mieux armées pour aider les femmes à reconnaître les systèmes d’oppression socio-culturels en matière de sexualité et à mettre en place des mesures préventives en vue de réduire la re-victimisation. L’objectif ultime est de fournir aux femmes des outils afin qu’elles reprennent un pouvoir sur leur vie, ce qui constitue le facteur clé du processus de rétablissement.»

La formation doit, par ailleurs, s’arrimer aux modes d’intervention des maisons d’aide et d’hébergement, qui mettent l’accent sur l’environnement sécuritaire des femmes, le respect de la confidentialité, la transparence et la relation de confiance, et le soutien des pairs dans les interventions de groupe.

Un autre objectif du projet consiste à évaluer les facteurs pouvant faciliter ou entraver la mise en place des formations. «Plusieurs scénarios peuvent être envisagés, mais il est difficile d’identifier des pratiques gagnantes, dit la professeure. Notre recension de la littérature montre que peu d’évaluations d’interventions dans le domaine spécifique des violences conjugales sexuelles ont été diffusées jusqu’à maintenant.»

Cela dit, une évaluation sera faite des effets à court terme des formations sur les connaissances et le sentiment d’efficacité des intervenantes dans leur travail d’accompagnement des victimes. «L’idée est d’identifier les aspects qui fonctionnent bien  et ceux à bonifier au fur et à mesure que la formation est implantée.»

Un projet novateur

Selon Mylène Fernet, le projet de recherche est novateur parce qu’il comble un vide important dans l’offre actuelle de formations au Québec. «En se concentrant spécifiquement sur les violences sexuelles, il s’attaque à une problématique négligée dans les formations classiques en violence conjugale. Notre programme de formation répond directement à un besoin pressant, clairement identifié par les intervenantes, et repose sur une approche participative, depuis sa conception jusqu’à son évaluation.»

Outre les gains potentiels immédiats pour les intervenantes qui participeront à la formation, le projet pourra bénéficier à moyen terme à tout le réseau des maisons d’aide et d’hébergement, conclut la chercheuse.