À moins de 100 jours de l’ouverture des Jeux olympiques, qui auront lieu du 26 juillet au 11 août prochains à Paris, l’idéal olympique se confronte à la réalité géopolitique. Quels sont les enjeux et défis liés à ces Jeux et à leur organisation? Quel sera l’héritage de Paris 2024? L’Observatoire de géopolitique de la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques avait organisé une table ronde sur ces questions, le 16 mai dernier, au centre Pierre-Péladeau.
Animé par la directrice de l’Observatoire de géopolitique et professeure au Collège militaire royal de Saint-Jean Élisabeth Vallet, l’événement réunissait Maélys Druilhe, chercheuse en résidence à l’Observatoire de géopolitique et doctorante en science politique, Robert Frosi, journaliste et chroniqueur sportif à Radio-Canada, et Yann Roche, président de l’Observatoire et professeur au Département de géographie.
Des Jeux apolitiques?
Dans l’imaginaire collectif, les Jeux olympiques sont associés à une trêve, un moment où les conflits sont mis en veilleuse au bénéfice de la paix et du sport. «Le sport a toujours voulu être un gardien des valeurs sociétales, mais c’est de moins en moins vrai, constate Robert Frosi. On assiste à 15 jours de Jeux qui coûtent des milliards. C’est une espèce de cirque qui s’installe dans les villes au détriment des populations. Le Comité international olympique (CIO) fonctionne comme l’Empire romain avec des jeux de coulisses, des coups de théâtre et des trahisons. Et depuis Los Angeles en 1984, les Jeux sont devenus une formidable machine à imprimer des billets.»
«Le Comité international olympique (CIO) fonctionne comme l’Empire romain avec des jeux de coulisses, des coups de théâtre et des trahisons.»
Robert Frosi
Journaliste et chroniqueur sportif à Radio-Canada
Le CIO est composé de membres de l’élite économique mondiale occidentale, rappelle Yann Roche. «La Chine et la Russie jugent que le CIO est coopté par l’Occident et que ses décisions trahissent souvent deux poids deux mesures. Par exemple, pourquoi pénaliser les athlètes russes pour la guerre en Ukraine alors que les Américains avaient pu participer aux Jeux même après l’invasion de l’Irak? C’est la preuve que les Jeux ne sont pas apolitiques.»
Certains pays qui n’en sont pas ont le droit de compétitionner et d’autres qui existent n’y sont pas, remarque Yann Roche. Par exemple, personne ne défilera sous le drapeau de Taiwan (on verra plutôt des athlètes sous le drapeau Chinese Taipei), alors que la Palestine, reconnue comme une nation par le CIO, participe aux Jeux depuis 1996.
«Affirmer qu’il n’y a pas de politique durant les Jeux olympiques est une aberration», insiste Yann Roche. «Et malgré ces décisions arbitraires du CIO, on demande aux athlètes de ne pas poser de gestes politiques et de ne pas manifester durant les Jeux», ajoute Robert Frosi.
Sur le plan mondial, le CIO a-t-il encore une réelle influence? «Le CIO n’a plus la maîtrise totale de l’univers sportif planétaire, analyse Robert Frosi. Son principal bailleur de fonds, tout comme celui de l’Agence mondiale antidopage, est la Chine… Et on voit de plus en plus de pays du Golfe persique qui achètent des clubs de soccer et de rugby, allant même jusqu’à créer de nouvelles ligues, comme c’est le cas au golf.»
Une équipe de réfugiés
Dans la foulée du scandale de dopage institutionnel des Jeux de Sotchi (2014), la Russie n’a pas été autorisée à participer en tant que délégation officielle aux Jeux d’hiver de Pékin en 2022. Ses athlètes ont compétitionné sous l’acronyme ROC (pour Russian Olympic Committee). «Nous ne savons pas si la Russie boycottera ou non les Jeux de Paris», souligne Yann Roche.
«Affirmer qu’il n’y a pas de politique durant les Jeux olympiques est une aberration.»
Yann Roche
Président de l’Observatoire de géopolitique et professeur au Département de géographie
Ce que l’on sait, c’est qu’il y aura à nouveau une équipe olympique des réfugiés, composée d’athlètes qui ont été déplacés de leur pays d’origine en raison de la situation politique ou de conflits. «La première fois, en 2016 à Rio, cette équipe comptait dix athlètes. À Paris, elle en comptera 36, 13 femmes et 23 hommes, provenant de 11 pays, parmi lesquels l’Iran, le Soudan, la Syrie et Cuba, et qui concourront dans 12 disciplines sportives», précise Maélys Druilhe. C’est notamment le cas du nageur iranien Matin Balsini, qui en sera à ses deuxièmes Jeux olympiques, tout comme la judoka syrienne Muna Dahouk.
Ce beau geste du CIO ne fait pas l’unanimité, précise la doctorante. «Le CIO voulait envoyer un signal positif d’espoir pour ces athlètes migrants, mais il a été critiqué: pourquoi avoir attendu 2016 pour créer une équipe alors que la situation des réfugiés existe depuis longtemps?» On a aussi accusé le CIO de se cacher derrière la création de cette équipe pour redorer son image et «l’humaniser» après de nombreuses accusations de corruption, notamment en lien avec l’attribution des Jeux. «Les athlètes de ces équipes sont reconnaissants, poursuit la jeune chercheuse, mais il ne faut pas oublier qu’ils sont tout de même privés de représenter leur pays d’origine, ce qui est traumatisant pour plusieurs d’entre eux.»
Ces athlètes s’interrogent également sur le motif de leur sélection: leur situation migratoire ou leur performance sportive? «Les médias s’intéressent surtout aux parcours migratoires de ces athlètes, reléguant leurs performances en arrière-plan», déplore la doctorante.
Des Jeux paritaires
«C’est aux Jeux de Paris, en 1900, que 22 femmes avaient pu prendre part à la compétition pour la première fois», rappelle Maélys Druilhe. Cet été, on assistera aux premiers Jeux paritaires, avec 10 500 athlètes, autant d’hommes que de femmes.
«C’est aux Jeux de Paris, en 1900, que 22 femmes avaient pu prendre part à la compétition pour la première fois.»
Maélys Druilhe
Chercheuse en résidence à l’Observatoire de géopolitique et doctorante en science politique
C’est une avancée pour le mouvement olympique, se réjouit la doctorante, mais le plafond de verre demeure, car le sport est majoritairement dirigé par des hommes. «Les structures décisionnelles de toutes les fédérations – locales, régionales, nationales, internationales – sont dirigées par des hommes», confirme Robert Frosi.
Les enjeux logistiques, environnementaux et sécuritaires
Chaque édition des Jeux olympiques déclenche son lot de polémiques et enflamme les débats dans le pays hôte. Ce n’est pas différent cette année à Paris. «C’est un honneur d’accueillir les Jeux olympiques ou la Coupe du monde, observe Robert Frosi, mais les pays hôtes sont confrontés aux mêmes défis en matière d’organisation, de logistique et de transport. Paris a viré les itinérants du centre-ville et on bloquera la ville pendant un mois.»
La ville a annoncé l’an dernier que le prix des billets de métro augmentera pour la durée des Jeux olympiques et paralympiques. «La mairesse Anne Hidalgo a affirmé que le transport ne poserait pas de problème si tous les Parisiens demeuraient à la maison durant les Jeux», souligne Yann Roche.
«La sécurité sera un véritable casse-tête logistique.»
Robert Frosi
Sur le plan environnemental, on a annoncé que les infrastructures seront construites pour durer et servir longtemps… mais les compétitions de surf se tiendront à Tahiti. «Transporter les athlètes de Paris jusqu’en Polynésie française, voilà qui n’est pas très vert, poursuit le professeur. Et la construction des tours des juges pour ces compétitions ont détruit des pans du récif de corail…»
L’enjeu au cœur de toutes les discussions est toutefois la sécurité. «Depuis Munich, en 1972, on prévient les journalistes des risques associés au terrorisme, observe Robert Frosi. Les Jeux sont des vitrines extraordinaires pour revendiquer une cause. La différence, de nos jours, c’est qu’on ne parle plus nécessairement de commandos, mais d’attaques individuelles. Tout est possible, surtout avec la cérémonie d’ouverture qui se déroulera sur la Seine. La sécurité sera un véritable casse-tête logistique.»
«Il est très difficile de prévoir les impacts sur les Jeux de Paris des manifestations qui se déroulent présentement sur plusieurs campus universitaires dans le monde», répond Yann Roche à la question d’une étudiante qui assiste à la table ronde. «Cette année, on semble malheureusement se diriger vers une tempête parfaite avec le contexte international. On espère que tout va bien se passer, mais le potentiel de dérapage est énorme», analyse-t-il.
«Je ne crois pas que les étudiants parisiens vont rester les bras croisés, je crois qu’ils vont manifester, note pour sa part Maélys Druilhe. On leur a demandé de quitter leur logement pendant les Jeux et plusieurs sont mécontents de cette directive.»
Il y a également les enjeux liés à la cybersécurité, incontournables depuis une quinzaine d’années. «On s’attend à 1 milliard de cyberattaques, et même plus. Il y en avait eu 450 millions durant les Jeux de Tokyo, rappelle Robert Frosi. On fait appel à des hackeurs éthiques pour se protéger et déjouer les attaques qui proviennent principalement de la Chine et de la Russie. Comme c’est le cas lors de tous les Jeux, on suggère aux athlètes de ne pas utiliser leur téléphone dans le village olympique…»
La surveillance des sites olympiques s’effectue en partie à l’aide de scanners corporels et de vidéosurveillance avec intelligence artificielle. Là encore, les risques de dérapage existent.
«Mais vous savez bien que lorsque les athlètes commenceront à gagner des médailles, on oubliera tout ça, affirme Robert Frosi. Pendant 15 jours, on n’entendra plus parler de Gaza, de l’Ukraine ou du Soudan. C’est la même chose lors de tous les Jeux olympiques et de chaque Coupe du monde de football.»