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Urbanisation et changements climatiques

Une étude identifie Montréal comme la ville de l’Est du Canada où l’urbanisation a le plus d’impacts sur la température et les précipitations.

Par Claude Gauvreau

27 février 2024 à 10 h 40

Alors que plus de la moitié de la population mondiale vit aujourd’hui dans des villes, il importe de comprendre la contribution de l’urbanisation à l’évolution des conditions climatiques et météorologiques. C’est dans cet esprit que la doctorante Cécile Carton, le professeur Florent Barbecot, le professeur associé Jean-François Hélie, tous trois du Département des sciences de la Terre et de l’atmosphère, ainsi que la professeure de l’Université de Calgary Jean Birks ont mené une étude dans les quatre plus grandes villes de l’Est du Canada: Montréal, Toronto, Québec et Ottawa.

Pour mener cette étude, dont les résultats ont été publiés dans la revue Urban Climate, l’équipe de recherche a utilisé des données provenant du Programme québécois de surveillance du climat. Ces données, qui couvrent une période de 30 ans (1988 à 2017), identifient les tendances inter et intra-annuelles des températures minimales et maximales quotidiennes ainsi que des précipitations au sein des quatre grands centres urbains et dans leurs environs. «Le fait de couvrir une période aussi longue permet de saisir les effets de l’urbanisation sur les microclimats de Montréal, Toronto, Québec et Ottawa» , observe Florent Barbecot, titulaire de la Chaire de recherche stratégique en hydrogéologie urbaine.

Selon cette recherche, la première du genre au pays, Montréal, où plus de 80 % du territoire est minéralisé, est la ville dont le climat est le plus affecté par l’urbanisation. «Depuis une vingtaine d’années, on remarque une forte augmentation des îlots de chaleur, notamment dans le centre-ville, dans les zones industrielles et commerciales, dans les grands stationnements et les grands axes de circulation, note le professeur. Contrairement à Toronto, Montréal ne bénéficie pas de la présence des Grands Lacs, qui amène une inertie thermique énorme, créant un effet de climatisation en permanence.»

L’étude montre aussi que, par rapport aux zones rurales environnantes, les villes constituent en elles-mêmes des îlots de chaleur avec des températures minimales moyennes plus élevées et des précipitations moins fréquentes et moins intenses, en particulier pendant l’été.

«Nous nous sommes intéressés à Montréal, Toronto, Québec et Ottawa, car ce sont des villes où la population a connu une croissance importante ces dernières années, note Cécile Carton. Et pour accueillir cette population croissante, les zones urbaines s’étendent». De plus,  poursuit Florent Barbecot, «ces centres urbains appartiennent aux régions des Grands Lacs et de la vallée du Saint-Laurent, lesquelles représentent plus de 20 % de l’approvisionnement mondial en eau douce de surface et environ 84 % de l’eau douce en Amérique du Nord, fournissant de l’eau potable à plus de 8,5 millions de Canadiens et Canadiennes.»


L’influence urbaine

L’étude identifie les facteurs urbains clés qui génèrent des impacts importants sur les conditions climatiques et atmosphériques. Ainsi, la densité de population, la circulation automobile, la concentration de bâtiments industriels et commerciaux et l’absence d’arbres et de végétation sont tous des facteurs favorisant la formation d’îlots de chaleur.

Par ailleurs, le béton, le ciment et l’asphalte, des matériaux utilisés pour la construction des édifices et pour le revêtement des sols, sont imperméables à l’eau et absorbent la chaleur durant le jour pour ensuite la restituer dans l’atmosphère. La couleur des matériaux joue aussi un rôle important, alors que des façades claires réfléchissent davantage la lumière et permettent de réduire la température de surface.

Enfin, la morphologie des bâtiments est un autre facteur à ne pas négliger. Plus les édifices sont élevés, plus leurs toits et leurs façades accumulent la chaleur. Dans le centre et dans l’ouest de Montréal, par exemple, la concentration de hautes tours à bureaux et à condos crée un effet barrière, dit aussi de canyon, qui emprisonne la chaleur et empêche l’air de circuler.

«Dans les zones rurales, les précipitations peuvent s’infiltrer plus facilement dans le sol et leur évaporation contribue à réduire la température, souligne Florent Barbecot. Cependant, dans les zones urbaines, où il y a moins de précipitations et d’infiltration, cet effet de refroidissement est inhibé.»

Selon le chercheur, une quantité réduite de précipitations en ville, combinée à la réduction des surfaces absorbantes, des arbres et de la végétation, qui stockent temporairement l’eau, entraîne une réduction de la capacité de climatisation naturelle de l’air par évapotranspiration, soit le transfert d’une quantité d’eau vers l’atmosphère par l’évaporation au niveau du sol et par la transpiration végétale. «Si on met en place des aménagements qui permettent de stocker l’eau et d’augmenter l’évapotranspiration, on pourra diminuer la chaleur dans les centres urbains», soutient Florent Barbecot.


Tendances régionales

Entre 1988 et 2017, l’équipe de recherche a observé une augmentation des températures minimales et maximales pour l’ensemble des sites étudiés, avec un maximum de +2,4 °C des températures minimales quotidiennes à Montréal, mettant en évidence le réchauffement climatique de la métropole.

«Par ailleurs, la fréquence des précipitations a considérablement diminué dans les quatre villes, en particulier à Montréal et à Québec, où on observe -7 % et -11 % de jours de pluie et de neige par année», relève Cécile Carton.

Autre constat, la fréquence des précipitations diminue plus rapidement dans les zones urbanisées de Montréal et de Québec. Entre 1988 et 2017, l’écart de jours annuels de pluie et de neige entre les zones urbaines et rurales a augmenté respectivement de 5,2 % à Montréal et de 8,4 % à Québec. Alors que les précipitations étaient plus fréquentes dans les villes il y a 30 ans, elles le sont maintenant dans les régions rurales.


Mauvaise qualité de l’air

Les précipitations ont un impact majeur sur la qualité de l’air en réduisant la teneur en particules dans l’atmosphère, souligne Cécile Carton. «Plus la fréquence des précipitations est faible, dit-elle, plus le nombre de jours avec une mauvaise qualité de l’air est élevé, ce qui entraîne des conséquences importantes pour la santé publique.»

L’impact est particulièrement important sur les microparticules PM 2.5, des poussières fines en suspension dans l’air. Très petites, ces particules pénètrent, notamment, dans les voies respiratoires des personnes exposées, provoquant toux, essoufflement, maux de gorge ou de tête. Elles peuvent aussi avoir des effets à long terme: aggravation de l’asthme, bronchites chroniques, diminution de la fonction respiratoire, cancer du poumon, etc. Les microparticules sont davantage concentrées dans les zones urbaines minéralisées, les plus dégradées thermiquement, où la circulation routière est particulièrement dense.

«Une trop forte présence de particules dans l’atmosphère contribue également à créer des épisodes de smog, affectant ainsi la quantité de précipitations, indique Florent Barbecot. D’où l’importance de comprendre et de limiter l’impact anthropique sur les précipitations urbaines afin de protéger les citoyens les plus vulnérables.»


Gérer l’eau et végétaliser

Dans un contexte de changements climatiques, les altérations des températures et des précipitations urbaines présentent un intérêt majeur pour la gestion stratégique des ressources hydriques ainsi que pour les aspects de santé et de sécurité, insistent le professeur et la doctorante.

Cependant, la compréhension des mécanismes à l’origine de ces altérations doit être améliorée, soulignent-ils. «Il s’agit en particulier de mieux comprendre les processus physiques qui modifient les précipitations urbaines, des processus soumis à des variations importantes et rapides, qui n’affectent pas de la même manière tous les types et intensités de précipitations.»

Il est aussi nécessaire d’améliorer la résolution temporelle et spatiale des modèles d’analyse et de suivre à long terme les événements météorologiques, à la fois pour mieux comprendre les processus impliqués et, à terme, pour généraliser la représentation des environnements urbains dans les modèles atmosphériques.

Afin de pallier la dégradation thermique, Cécile Carton et Florent Barbecot plaident pour des stratégies urbaines de végétalisation. Cela suppose que la végétation soit disposée ou densifiée dans de nombreux espaces, comme le long des axes de transport (platebandes de rues, ruelles, lignes ferroviaires), sur les terrains publics (parcs, terrains municipaux et gouvernementaux, cours d’école) et privés (pourtours de bâtiments résidentiels, commerciaux et industriels).

«La végétation participe non seulement à une bonne gestion des eaux pluviales, mais aussi à une meilleure qualité de l’air», concluent-ils.