La Galerie de l’UQAM débute l’année 2024 en proposant l’exposition collective De la vie au lit, qui réunit les œuvres multidisciplinaires – vidéos, installations, photos – de six artistes en situation de handicap. L’exposition présente le lit et son chevet comme des espaces de partage de blessures et de moments romantiques et amicaux, de repos, voire de résistance à «l’injonction capitaliste de surproduction» qui stigmatise les corps allongés, marqués par des incapacités temporaires ou permanentes.
Dans la philosophie et l’histoire de l’art occidentales, l’acte de s’allonger et l’alitement ont longtemps été associés à des figures de lascivité, de paresse ou de fainéantise. La société capitaliste, avec ses attentes «capacitistes», veut des corps féconds, debout et au travail, favorise des corps et des esprits non handicapés ou non malades. Dans l’imaginaire de cette société, le lit est un lieu de récupération au nom d’une meilleure productivité et reproductivité des corps.
Les artistes participant à l’exposition intègrent les réalités de personnes handicapées ou malades, pour lesquelles le lit ne se situe pas hors du monde, mais est au contraire une manière de l’habiter: on y dort, on y aime, on s’y recueille, on y mange, on y travaille. De la vie au lit est à la fois une chambre à soi et une expérience collective, où l’accès aux œuvres est rendu possible grâce à plusieurs entrées sensorielles.
L’exposition est commissariée par la doctorante en communication Sarah Heussaff, détentrice d’une maîtrise en commissariat d’exposition de l’Université Rennes 2, en France. En 2023, elle a reçu une subvention du Fonds de recherche du Québec – Société et culture (FRQSC) pour une recherche sur l’émergence des «arts handicapés», en relation avec les mouvements de personnes en situation de handicap, ainsi que sur le «commissariat d’exposition accessible».
Six artistes singulières
Reposant, entre autres, sur la performance et l’installation, la pratique interdisciplinaire de Cindy Baker interroge les discours liés au queer, au genre, à la race, au handicap, à la grosseur et à l’art. Engagée dans une démarche communautaire et une réflexion sociale critique depuis 25 ans, l’artiste évolue entre les arts, les sciences humaines et sociales, privilégiant les aspects théoriques et conceptuels.
Tamyka Bullen est une artiste de performance sourde. Elle a travaillé bénévolement avec des jeunes, des femmes sourdes, des personnes immigrées et des personnes issues de la communauté LGBTQ+. En 2023, dans le cadre de la campagne La diversité capacitaire fait vibrer la culture!, elle a performé aux côtés de membres du collectif Survivance, composé de femmes noires sourdes.
Artiste activiste, Liz Crow œuvre dans les domaines de la performance, du film et de l’audio. Ses travaux ont été exposés à la Tate Modern, au British Film Institute, au Kennedy Center de Washington DC et sur le Fourth Plinth de Trafalgar Square. Parmi ses projets, citons l’installation cinématographique itinérante Resistance: which way the future?, qui questionne les significations et les résonances du programme du régime nazi visant à exterminer les personnes handicapées.
L’artiste et chorégraphe Octavia Rose Hingle pratique l’installation. L’un de ses projets les plus récents, Crip Ecstasy, a rassemblé des artistes de performance vivant avec un handicap ou non, des graphistes, des DJ et des prestataires de services d’accès, afin de concevoir de nouveaux modèles d’espaces de vie nocturne.
Le fil conducteur du travail de Salima Punjan est la création d’environnements qui permettent la réceptivité et la connexion. L’artiste explore des thèmes tels que les processus d’isolement et de resocialisation liés à la COVID-19, au repos et à la manière dont les données médicales peuvent être détournées pour créer des liens plutôt que des anomalies, qui séparent les humains.
Rea Sweets est une artiste multidisciplinaire qui, au moyen de performances et de supports interactifs, navigue entre intimité, identité et imagination. Elle est la cofondatrice de PRUDEmag, un zine destiné aux personnes célibataires et à toutes celles qui refusent une culture fondée sur la nécessité du sexe.
Au cours des prochaines semaines, différentes activités seront organisées avec des artistes exposantes. Pour connaître tous les détails, on visite le site web de l’exposition.
À la rencontre du vivant
La Galerie de l’UQAM accueille également Laboratoires de natures potentielles, une exposition de Clarænce Painchaud, finissante à la maîtrise en arts visuels et médiatiques. Dans une perspective queer, l’artiste cherche à embrouiller les rapports binaires entre nature et culture, entre vivant et non-vivant, à travers une porosité où se rencontrent des matériaux récupérés, des temporalités diverses et des fabulations fictives.
Adoptant une approche multidisciplinaire qui incorpore la performativité, la sculpture, le son et la vidéo, Clarænce Painchaud tisse des liens avec l’environnement et imagine des enchevêtrements tentaculaires ainsi que des évolutions fictives, ludiques ou inquiétantes. L’exposition raconte un protocole de transformation dans lequel les objets, les rebuts, les technologies désuètes, les gestes et les sites extérieurs composent un récit étrange. Pour donner à voir une porosité entre les divers matériaux, l’étudiante recueille des déchets hétéroclites – pierres, briques, styromousse, plexi, moniteurs usagés, lecteur cassette, machine à karaoké – et orchestre leur rencontre avec des corps, des lieux et des objets. Des interactions nommées laboratoires sont documentées puis reconstruites dans l’espace d’exposition. L’accumulation des artéfacts qui découle de ces explorations dévoile des façons inédites d’interagir avec l’environnement.
Clarænce Painchaud a reçu de nombreuses bourses, notamment la Bourse Marc-Plamondon pour la sculpture et l’installation (2021), la Bourse McAbbie (2020) et la Bourse Arprim/EAVM (2019 et 2022). Son travail a été présenté en solo à La Centrale Galerie Powerhouse à Montréal, au Centre d’artistes Caravansérail à Rimouski et au Centre d’exposition Art image à Gatineau. L’artiste a également exposé en Slovaquie et a été commissaire pour la vitrine du centre d’artistes L’imprimerie, avec le collectif artistique Les adventices. Clarænce Painchaud forme le duo Ecto avec Laurence Dauphinais.
Les deux expositions se déroulent jusqu’au 6 avril 2024.