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Une étude de Pierre Drapeau citée dans le New York Times

Le professeur multiplie les entrevues depuis la parution d’un article sur l’évolution de la forêt boréale et ses effets sur les caribous forestiers.

Par Pierre-Etienne Caza

19 janvier 2024 à 9 h 26

Mis à jour le 23 janvier 2024 à 14 h 28

Les deux dernières semaines ont été fort occupées pour le professeur du Département des sciences biologiques Pierre Drapeau. Une étude sur l’état de la forêt boréale dont il est cosignataire, parue au début de l’année dans la revue internationale Land, a eu des échos jusque dans le New York Times. «Notre article porte sur l’évolution de la forêt boréale québécoise et ontarienne depuis 1976. Il fait état du rajeunissement du couvert forestier et de ses impacts catastrophiques sur les populations de caribous forestiers», explique le chercheur.

Dans les entrevues qu’il a accordées à plusieurs médias, dont le quotidien espagnol El País, depuis la parution de l’article du New York Times, le professeur rappelle que l’étude à laquelle il a participé ne révèle rien de nouveau. «Nous assistons depuis 50 ans au rajeunissement du couvert forestier boréal en raison de l’aménagement industriel, qui mise principalement sur les coupes totales de forêts naturelles», observe-t-il.

L’étude démontre de manière détaillée que la forêt boréale a changé sur deux fronts. «On note une perte nette de forêt âgée ainsi qu’une fragmentation des zones matures épargnées, c’est-à-dire qu’il ne reste presque plus de grands massifs de forêt âgée, sauf dans l’Est du Québec. Et, comme par hasard, les deux troupeaux de caribous qui ne sont pas encore menacés de déclin sévère – alors que les 19 autres le sont – sont situés dans ces territoires accidentés difficiles à exploiter par l’industrie forestière.»

Selon le New York Times, les résultats de cette étude signifient que l’industrie forestière canadienne continue à récolter des pans entiers d’une forêt pourtant cruciale dans la lutte aux changements climatiques. «Disons que cela place Ressources naturelles Canada et le gouvernement canadien dans une position délicate sur le plan international, car cela renvoie l’image d’un pays dont les actions ne suivent pas nécessairement les paroles et les engagements», remarque Pierre Drapeau, tout en précisant que les autorités canadiennes ne sont pas gestionnaires du territoire. «La pression pour la récolte du bois s’exerce au sein des législations provinciales et la volonté de réaliser un aménagement forestier durable se heurte aux impératifs économiques», ajoute-t-il.

Une étude… australienne!

Fait inusité, l’étude publiée dans Land a comme premier auteur un chercheur australien. «Brendan Mackey et son équipe proviennent du Climate Action Beacon de la Griffith University, qui a réalisé plusieurs états des lieux en lien avec les changements climatiques, en Australie d’abord, puis à l’international, explique Pierre Drapeau. L’équipe a contacté le Centre d’étude de la forêt (CEF) ainsi que nos collègues de l’Université de Toronto pour collaborer à son étude sur la forêt boréale.» La professionnelle de recherche du CEF Mélanie Desrochers figure également parmi les cosignataires.

Le CEF, rappelons-le, possède une expertise précieuse concernant la forêt boréale, puisqu’il regroupe la presque totalité des chercheurs universitaires québécois s’intéressant à la question. «L’expertise internationale du CEF, notamment sur la reconstitution des régimes historiques de feux de forêt, a inspiré la Loi sur l’aménagement durable du territoire forestier afin d’établir des états de référence et aborder un enjeu important, soit le rajeunissement du couvert forestier et la préservation des forêts âgées», rappelle Pierre Drapeau.

Protéger les caribous et les emplois

Le déclin des populations de caribous forestiers défraie les manchettes depuis les cinq dernières années, mais le CEF l’entrevoit depuis plus de 15 ans en parallèle avec ses observations concernant le déclin de la forêt boréale mature. «L’ancien premier ministre Philippe Couillard est revenu récemment sur sa déclaration à l’effet qu’il préférait préserver des emplois dans l’industrie forestière plutôt que de sauver des caribous, note Pierre Drapeau. C’est une position qui se défend, mais comment la concilier avec l’atteinte des objectifs de conservation de la diversité biologique?»

La Chaire UQAT-UQAM en aménagement forestier durable, dont Pierre Drapeau est cotitulaire, était à l’origine une chaire industrielle, rappelle ce dernier. Elle compte toujours de nombreux partenaires de l’industrie forestière. «Notre but n’a jamais été de remettre en question les bénéfices sociaux et économiques que l’on retire de la foresterie, mais plutôt d’en arriver à adapter les pratiques de récolte du bois aux objectifs de conservation de la biodiversité pour préserver les multiples fonctions de ces écosystèmes. Or, je ne peux que constater un manque d’imagination dans nos stratégies de développement régional pour concilier deux visions qui pourraient très bien se rejoindre avec un peu de volonté politique.»

Un observatoire national de la forêt

Après avoir réalisé un marathon d’entrevues sur le sujet au cours des deux dernières semaines, Pierre Drapeau est plus que jamais convaincu de la pertinence de mettre sur pied un observatoire national de la forêt axé sur la mobilisation des connaissances scientifiques vers les médias et les décideurs publics.

Le chercheur dit avoir profité de la tribune qui lui a été offerte après l’obtention de deux prix l’automne dernier (le prix Harfang des neiges et le prix Michel-Jurdant) pour soumettre l’idée d’un tel observatoire auprès des décideurs politiques. «J’ai senti un intérêt et nous allons poursuivre les représentations, dit-il. Un observatoire national de la forêt, qui pourrait être connexe au CEF, est plus que jamais nécessaire, surtout en regard des engagements canadiens de la COP15 en matière de protection de la biodiversité, car la forêt boréale abrite de nombreuses espèces dont il importe de protéger l’habitat.»