On ne le dira jamais assez: la recherche universitaire peut inspirer les lois et les politiques publiques porteuses de changements sociaux. À preuve, une grande partie du projet de loi 42 – Loi visant à prévenir et à combattre le harcèlement psychologique et la violence à caractère sexuel en milieu de travail – s’inspire des recommandations du rapport du Comité d’expertes présidé par la professeure du Département des sciences juridiques Rachel Cox. Certaines des mesures de ce projet de loi, sanctionné le 27 mars 2024, sont entrées en vigueur le 27 septembre dernier.
«Dans la perspective de créer des milieux de travail exempts de harcèlement et de violence à caractère sexuel, et de mieux accompagner les victimes, des femmes en grande majorité, le projet de loi 42 constitue un pas en avant important, estime Rachel Cox. Globalement, il offre une meilleure protection aux victimes et crée des possibilités pour prévenir les violences.»
Formé en février 2022, le Comité d’expertes avait pour mandat d’évaluer la cohérence et l’efficacité des recours dont peut se prévaloir une personne victime de harcèlement ou de violence à caractère sexuel au travail et de se pencher sur les mécanismes de prévention. Il a appelé le gouvernement du Québec à procéder rapidement à une réforme législative. Son rapport, Mettre fin au harcèlement sexuel dans le cadre du travail: se donner les moyens pour agir, contient 82 recommandations et a fait l’objet d’une analyse par le ministère du Travail.
Le fait que plusieurs recommandations du Comité d’expertes aient nourri le projet de loi illustre l’importance de recherches rigoureuses, poursuit la professeure. «Nos recommandations étaient crédibles parce que fondées sur des données probantes. Dans un court laps de temps, nous avons mené une recherche empirique d’envergure.» Le Comité d’expertes a étudié 750 dossiers de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ) et de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST), soit des plaintes pour harcèlement sexuel, des réclamations pour lésion professionnelle, des plaintes pour harcèlement psychologique à caractère sexuel et des demandes d’intervention par la CNESST en matière de prévention de la violence à caractère sexuel.
«Dans la perspective de créer des milieux de travail exempts de harcèlement et de violence à caractère sexuel, et de mieux accompagner les victimes, des femmes en grande majorité, le projet de loi 42 constitue un pas en avant important.»
Rachel Cox,
Professeure au Département des sciences juridiques
Des recommandations reprises intégralement
Des recommandations importantes contenues dans le rapport du Comité d’expertes ont été reprises intégralement dans le projet de loi. Ainsi, deux nouvelles présomptions légales en faveur des personnes qui déposent des réclamations pour lésion professionnelle résultant de la violence à caractère sexuel ont été ajoutées à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (LATMP).
«Pour mettre fin à la banalisation de la violence sexuelle, nous avons recommandé qu’une maladie survenue dans les trois mois après qu’une personne ait subi de la violence sexuelle sur les lieux de travail soit présumée être une lésion professionnelle», note Rachel Cox. La seconde présomption fait en sorte que le harcèlement ou l’agression à caractère sexuel perpétré par un collègue ou un patron de la victime en dehors des heures de travail – par exemple, lors d’un événement social ou sur les réseaux sociaux – soit considéré, jusqu’à preuve du contraire, comme étant lié au travail. «Cela permet d’éviter tout impact préjudiciable sur les réclamations déposées à la CNESST concernant un incident survenu à la marge du travail», observe la professeure.
Par ailleurs, le Comité d’expertes recommandait que tout arbitre nommé par le ministre du Travail pour traiter un grief soulevant une question de violence à caractère sexuel ait suivi en cette matière la formation déterminée par le Comité consultatif du travail et de la main-d’œuvre (CCTM).
Suivant une autre recommandation, la Loi sur les normes du travail (LNT) stipule désormais que les dispositions sur le harcèlement psychologique soient explicitement reproduites dans toute convention collective. «De plus, la LNT précise que l’employeur doit prendre les moyens pour prévenir ce type de harcèlement provenant de toute personne en milieu de travail, indique Rachel Cox. C’est une mesure importante quand on sait que, dans certains secteurs de travail, le harcèlement peut provenir d’un fournisseur ou d’un client, ou encore de patients ou d’élèves, ou de leurs familles, comme cela se produit en santé et en éducation. Cette disposition permet d’élargir l’accès au droit et à la protection des personnes salariées.»
«Je vous remercie de votre contribution marquante à la réflexion entreprise en matière de harcèlement psychologique et de violence à caractère sexuel en milieu de travail. Cette contribution permet de faire du Québec un précurseur en droit du travail et c’est une fierté de savoir que vous y êtes associée.»
Jean Boulet,
Ministre du Travail
Renforcer la prévention
Une autre recommandation ayant une portée importante concerne l’adoption par la CNESST d’un règlement encadrant la prévention de la violence à caractère sexuel dans les milieux de travail. «Selon le Comité, il fallait structurer l’action de la CNESST en matière de prévention primaire et offrir des balises claires et des outils d’accompagnement aux employeurs», relève la professeure. D’ailleurs, un comité réglementaire présentement à l’œuvre, composé de représentants patronaux et syndicaux, a recours à l’expertise de Rachel Cox afin d’élaborer des obligations précises pour les milieux de travail. «Le rôle de ce comité consiste à préciser l’obligation de prévention dans la Loi sur la santé et la sécurité du travail (LSST).»
Certaines recommandations du rapport ont été adoptées partiellement dans le projet de loi ou ont été modifiées par le ministre du Travail. «Le processus parlementaire menant à l’adoption d’une loi ou d’une politique est toujours le fruit de compromis», rappelle la professeure. Ainsi, une recommandation visant la création d’une Division spécialisée en matière de violence à caractère sexuel au sein du Tribunal administratif du travail, dont les juges auraient reçu une formation particulière, n’a pas été retenue. «Par contre, dit Rachel Cox, une équipe spécialisée a été mise sur pied dans le cadre du Tribunal pour entendre les causes qui soulèvent un enjeu de violence à caractère sexuel.»
Selon la chercheuse, «le projet de loi 42 respecte dans l’ensemble l’esprit du rapport, lequel visait à ce que le droit du travail prenne en charge les personnes victimes de violences sexuelles dans le cadre de leur travail».
De nouvelles présomptions
Depuis le 27 septembre dernier, deux nouvelles présomptions en faveur des personnes victimes de lésions professionnelles liées à des violences sexuelles commises par l’employeur ou un travailleur, découlant du rapport du Comité d’expertes, sont entrées en vigueur
«La CNESST pourra accepter et traiter plus rapidement les réclamations, ce qui aidera à réparer les torts causés aux personnes qui ne peuvent plus travailler et qui sont sans revenu, explique Rachel Cox. De plus, les coûts des lésions en lien avec les violences ne peuvent plus occasionner l’augmentation des cotisations des employeurs à la CNESST, faisant en sorte qu’il y aura moins de contestations des réclamations.»
L’employeur devra avoir mis à jour sa politique en matière de prévention du harcèlement et l’intégrer à son plan d’action prévu à la LSST. La politique doit prévoir, entre autres, les méthodes et techniques pour identifier, contrôler et éliminer les risques de harcèlement ainsi qu’un programme de formation et d’information offert aux employés et aux personnes responsables de prendre en charge un signalement ou une plainte.
La professeure se réjouit des retombées positives du rapport du Comité d’expertes. «Des gens me disaient que le rapport serait mis sur des tablettes. Eh bien, ce fut loin d’être le cas », commente-t-elle. Dans une lettre qui lui était destinée, en février 2024, deux mois après le dépôt du projet de loi 42, le ministre du Travail Jean Boulet écrivait: «Je vous remercie de votre contribution marquante à la réflexion entreprise en matière de harcèlement psychologique et de violence à caractère sexuel en milieu de travail. Cette contribution permet de faire du Québec un précurseur en droit du travail et c’est une fierté de savoir que vous y êtes associée.»
La professeure de l’École de relations industrielles de l’Université de Montréal Dalia Gesualdi-Fecteau et la doyenne de la Faculté de droit de l’Université Laval Anne-Marie Laflamme ont cosigné le rapport du Comité d’expertes. L’équipe de recherche était aussi composée de Geneviève Richard, doctorante en droit, Pascale Lanctot-Leroy, candidate à la maîtrise en droit, et Geneviève Proulx-Masson, doctorante en sociologie.