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Un sémiologue heureux à l’UQAM

Jean-Michel Berthiaume a soutenu sa thèse sur l’utilisation des notes de bas de page en fiction… en parallèle avec plusieurs autres activités professionnelles!

Série

Doc en poche

Par Pierre-Etienne Caza

15 mars 2024 à 10 h 55

Mis à jour le 10 juillet 2024 à 16 h 45

Jean-Michel Berthiaume
Ph.D. sémiologie, 2024

Titre de sa thèse:
«Uses and abuses of footnotes in fiction»

Direction de recherche:
Bertrand Gervais, professeur au Département d’études littéraires

La note de bas de page est un outil courant dans le milieu académique. «Elle sert à ajouter une précision ou une référence à ce qui est avancé, mais dans le cas d’un texte de fiction, est-ce que le procédé relève de la même mécanique?», s’interrogeait Jean-Michel Berthiaume (Ph.D. sémiologie, 2024) avant de consacrer sa thèse en sémiologie à cette question littéraire originale.

Le sujet, précise-t-il, s’est imposé à lui au fil des ans, à force de lire des ouvrages de fiction renfermant une ou plusieurs notes de bas de page. «Je suis un geek et un complétiste assumé, reconnaît le chercheur, qui est chargé de cours et animateur pédagogique à l’École des médias. Lorsque je m’intéresse à un sujet, je veux le connaître à fond.» Plutôt que de proposer une analyse approfondie d’un échantillon restreint de deux ou trois œuvres ayant recours aux notes de bas de page, sa thèse porte un regard très large sur le phénomène. «J’ai tenté de lire tout ce que je pouvais trouver sur le sujet, en plus d’accumuler les exemples, afin de comprendre les mécanismes à l’œuvre derrière toutes ces notes de bas de page.»

Son corpus, qui compte 156 œuvres de fiction et des essais, s’échelonne dans le temps littéraire, de l’une des premières poétesses anglaises, Aphra Behn (autour de 1640) jusqu’à Stéphane Dompierre (2019) en passant par James Fenimore Cooper, Herman Melville, James Joyce, Alexandre Dumas, Jean-Paul Sartre, J.D. Salinger, Hubert Aquin, Réjean Ducharme, Jorge Luis Borges, Joyce Carol Oates et José Carlos Somoza.

Trois grandes catégories

Jean-Michel Berthiaume propose trois grandes catégories de notes de bas de page. «Il y a d’abord la note érudite, dit-il. C’est une trace de la source où celui ou celle qui écrit a puisé son information. Il y a ensuite la note éditoriale de l’auteur, qui consiste en un commentaire, un ajout, une réflexion, et qui peut aussi être en contradiction avec ce qui est écrit dans le texte principal. Et il y a la note diégétique du narrateur, qui donne à voir une autre histoire en train de s’écrire dans les notes de bas de page.»

Si les deux premières catégories sont les plus courantes, la troisième ouvre des perspectives plutôt originales, a constaté le sémiologue. «Dans Book: A Novel de Robert Grudin (Penguin books, 1992), les personnages qui “habitent” dans les notes de bas de page ne veulent plus être les sous-fifres de l’histoire principale et ils planifient une rébellion pour entrer dans le corps du texte, raconte-t-il. C’était du bonbon pour ma thèse!»

Croire la note de bas de page ou non?

Jean-Michel Berthiaume s’est particulièrement intéressé à la notion d’autorité. «De manière générale, quand on lit une note de bas de page, on fait confiance à la personne qui écrit le texte. On présume qu’elle a effectué ses recherches et qu’elle partage ses sources. En réalité, peu de gens vérifient si ces notes de bas de page sont véridiques. C’est un pacte de confiance que l’on tend à accepter par défaut comme lecteur.»

Or, lire de la fiction, c’est lire quelqu’un qui nous ment puisque cette personne raconte une histoire, rappelle le chercheur. «Cette personne nous fournit des traces de son travail que l’on est porté à croire par réflexe et par convention, et elle peut alors se jouer de notre tiraillement comme lecteur», observe-t-il.

Par exemple, dans Jonathan Strange & Mr. Norell (Bloomsbury, 2004) de Susannah Clarke, Jean-Michel Berthiaume a relevé une note de bas de page référant à l’existence de grimoires de magiciens britanniques mentionnés dans une œuvre publiée en 1816. «On donne l’impression d’une recherche sérieuse, mais tout cela est de l’invention! C’est la prise en otage du réflexe de croire que le texte du bas de page est plus crédible que le texte central… C’est fascinant!»

Un parallèle avec les fausses nouvelles

Pendant la rédaction de sa thèse, Jean-Michel Berthiaume a assisté comme tout un chacun à la montée des fausses nouvelles (fake news), expression de l’année en 2017, un phénomène qu’il estime être en lien direct avec son sujet. «Une personne ou une organisation présente une fausse information en prétextant une position d’autorité afin de manipuler le public. C’est ce que sont les fake news et c’est aussi ce que sont parfois les notes de bas de page en fiction», analyse-t-il.

Pour les lectrices et lecteurs de fiction qui acceptent la suspension de l’incrédulité – cette opération mentale consistant à accepter de vivre une fiction comme s’il s’agissait de la réalité pour mieux ressentir ce que pourrait être la situation évoquée – les conséquences ne sont pas bien graves. Il en va autrement de l’effet des fausses nouvelles sur l’opinion publique. «Les avancées en matière d’intelligence artificielle, notamment avec ChatGPT, posent les mêmes défis lorsque des machines peuvent consommer des millions de données et nous recracher le tout sous forme d’informations supposément véridiques. Qui doit-on croire? Comment remonter aux sources? J’avoue que c’était vertigineux de faire un parallèle entre ma thèse et le monde réel, mais les interrogations que je soulève à propos des notes de bas de page s’appliquent tout à fait aux enjeux de l’heure en information.»

Plusieurs chapeaux professionnels

Chargé de cours au bac en enseignement de l’anglais langue seconde (il enseigne les trois cours obligatoires en littérature), Jean-Michel Berthiaume est un spécialiste de la baladodiffusion, qu’il enseigne au bac en journalisme et à la Formation continue de l’UQAM, en plus d’en réaliser pour le compte de l’École des médias. Il réalise également le balado Juste entre toi et moi de La Presse, animé par le journaliste Dominic Tardif, un projet qui découle du succès des cinq saisons de leur balado précédent, Deviens-tu c’que t’as voulu?

Membre du conseil d’administration de CHOQ.ca, Jean-Michel Berthiaume est véritablement comme un poisson dans l’eau à l’UQAM. «Je veux cogner à toutes les portes parce que je veux savoir ce que tout le monde fait, c’est irrépressible chez moi. C’est la raison pour laquelle le doctorat en sémiologie était parfait, car il est par essence interdisciplinaire. Tout ce que je faisais en dehors de ma thèse la nourrissait et aiguisait mon regard de sémiologue», conclut-il.