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Tractations politiques en France

Au lendemain des élections législatives, les élus doivent s’entendre pour la formation d’un nouveau gouvernement.

Par Pierre-Etienne Caza

9 juillet 2024 à 10 h 08

Les Jeux olympiques de Paris ne débuteront pas avant le 26 juillet, pourtant les Françaises et les Français assistent en direct à une épreuve inusitée pour la Ve République: les tractations politiques en vue de la formation d’un gouvernement de coalition. «La clarification souhaitée par le président Macron à la suite des élections européennes débouche sur un rapport de force entre trois blocs: la droite dure, le centre et la gauche, qui ont obtenu à peu près le même nombre de voix et de députés élus», constate le chargé de cours du Département de science politique Julien Tourreille.

Habitué à commenter la politique américaine à titre de chercheur en résidence à l’Observatoire sur les États-Unis de la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques, Julien Tourreille s’étonne de ce qui se déroule à l’heure actuelle en France… mais il ne boude pas son plaisir pour autant. «Nous sommes dans l’inconnu et c’est ce qui rend cette période si intéressante», observe-t-il.

Comme c’est la coutume au lendemain des élections législatives, le premier ministre Gabriel Attal a remis sa démission, mais le président l’a refusée et a demandé au gouvernement de rester en place pour gérer les affaires courantes en attendant la «structuration» de l’Assemblée nationale. «C’est l’enjeu des dix prochains jours!», indique Julien Toureille en référence au 18 juillet, journée d’investiture de l’Assemblée nationale. «Certains ont évoqué l’hypothèse que Gabriel Attal demeure en poste jusqu’à la fin août. Cela dépendra des tractations entre les différents partis.»

Le pari de Macron

Ce revirement de situation – les projections au sortir du premier tour laissait entrevoir une majorité pour le Rassemblement national – est dû au désistement des candidates et candidats de troisième place, analyse Julien Tourreille. «Il y avait plus de 300 triangulaires, ces courses à trois qui auraient nécessairement permis au Rassemblement national d’obtenir plus de députés.»

On n’a pas assisté à l’effondrement des votes pour le Rassemblement national, insiste Julien Tourreille, mais bien à la démonstration, comme ce fut le cas en 2002, que le front républicain fonctionne. «Une majorité de Français ne veulent pas voir le Rassemblement national au pouvoir», observe-t-il.

Le deuxième constat que pose le politologue est que le Rassemblement national est désormais le principal parti de France avec 126 députés élus (143 si on compte ses alliés). Les deux autres blocs sont constitués de coalitions, soit le Nouveau Front populaire (182 sièges) et Ensemble pour la République (168 sièges). La majorité pour gouverner nécessite 289 sièges.

«Une majorité de Français ne veulent pas voir le Rassemblement national au pouvoir.»

Julien Tourreille

Chargé de cours du Département de science politique

Certains diront que le président Macron a raté son pari, car il n’a pas obtenu une majorité absolue pour gouverner, mais on peut voir cela autrement, observe le chercheur. «Macron a fait barrage au Rassemblement national en 2017 et en 2022. Puisqu’il ne peut pas se représenter aux élections présidentielles de 2027, ce fardeau incombe désormais aux partis républicains traditionnels. Or, ces élections législatives leur envoient un signal clair: le Rassemblement national n’est plus une force marginale. C’est à eux de faire la démonstration qu’ils peuvent non seulement s’entendre, mais proposer des avenues plus intéressantes que le Rassemblement national en vue de 2027.»

Cohabitation politique

Instaurée depuis 1958, la Ve République n’est pas habituée aux gouvernements de coalition. Ce sera la quatrième fois seulement que l’on assistera à une phase dite de cohabitation politique – lorsque le premier ministre et la majorité des députés de l’Assemblée nationale sont d’une tendance politique opposée à celle du Président – après 1986-1988, 1993-1995 et 1997-2002. «Le régime de la Ve République a été mis en place pour éviter la répétition des cohabitations qui étaient fréquentes sous la IVe République, entre 1946 et 1958, où l’on avait en moyenne deux nouveaux gouvernements par année», explique Julien Tourreille.

«Ce qui compliquera davantage les efforts pour former un gouvernement, ce sont les divergences marquées au niveau des programmes politiques ainsi que les inimitiés personnelles, car plusieurs élus se détestent franchement.»

Les élues et élus français se retrouvent donc à naviguer en eaux incertaines. «Ce n’est pas une situation familière que de faire des coalitions et des compromis dans l’univers politique de la Ve République, note le chercheur. Et ce qui compliquera davantage les efforts pour former un gouvernement, ce sont les divergences marquées au niveau des programmes politiques ainsi que les inimitiés personnelles, car plusieurs élus se détestent franchement. Pourront-ils mettre de côté leurs différends pour le bénéfice du pays?»

L’alliance la plus probable?

Une avenue envisageable, selon Julien Tourreille, serait que le Nouveau Front populaire se débarrasse de La France insoumise et des députés les plus fidèles à son leader Jean-Luc Mélenchon, avec lesquels le compromis est impossible, pour créer une cohabitation avec Ensemble pour la République, la coalition présidentielle regroupant les partis Renaissance, Horizons et Mouvement démocrate. «Le bloc Ensemble, le Parti socialiste, les Écologistes, les communistes et une poignée de Républicains ouverts au compromis pourraient parvenir au chiffre magique de 289 sièges.»

Le Rassemblement national, de son côté, se contentera vraisemblablement du rôle «idéal» de spectateur jusqu’à l’élection présidentielle de 2027. «Ses députés auront tout le loisir de critiquer les partis traditionnels, les taxant d’être incapables de régler les problèmes auxquels la population fait face, analyse Julien Tourreille. Ils pourront alors inviter les électeurs et les électrices à voter pour le RN en 2027.»

«L’imminence des Jeux olympiques aura forcément un impact sur les discussions, car ce serait bizarre de ne pas avoir de gouvernement pendant cet événement planétaire.»

Toutes ces tractations se dérouleront à quelques jours de l’ouverture des Jeux olympiques dans la capitale. «L’imminence des Jeux olympiques aura forcément un impact sur les discussions, car ce serait bizarre de ne pas avoir de gouvernement pendant cet événement planétaire», observe le spécialiste.

L’autre enjeu, advenant le prolongement d’un gouvernement Attal jusqu’à la fin du mois d’août, comme certains experts l’ont évoqué, est que l’Assemblée nationale qui sera investie le 18 juillet a droit de vie ou de mort sur le gouvernement. «Une simple motion de censure suffirait à faire tomber le gouvernement, note Julien Tourreille. Ce serait le scénario du pire: un gouvernement renversé sans avoir d’alternative concrète pouvant être proposée.»

À suivre avant, pendant et peut-être après les Jeux olympiques!