Le corps d’un homme âgé entre 30 et 50 ans a été retrouvé près d’une rivière à Dublin, en Irlande. Qui est-ce? Comment faire pour découvrir son identité? C’est le défi auquel sont confrontés les élèves d’une classe de 4e secondaire du Collège de Montréal, qui assistent en visioconférence au Sprint de science intitulé «Porté disparu» en compagnie de leur enseignant Olivier Bourque. Offerte par le Cœur des sciences de l’UQAM en collaboration avec la Faculté des sciences, l’activité est animée par la candidate à la maîtrise en sciences de la Terre Joanie Turcotte (B.Sc. sciences de la Terre et de l’atmosphère, 2022).
L’enquête que la jeune chercheuse propose de mener a bel et bien eu lieu en Irlande, en 2005, mais les personnages dont il sera question sont fictifs, précise-t-elle d’entrée de jeu. «Est-ce possible que la victime corresponde à la description de l’un des six hommes disparus dans la région à la même époque? C’est ce qu’espèrent les policiers chargés de l’enquête», annonce-t-elle en invitant les élèves à parcourir la description sommaire de ces individus dans le cahier qui leur a été fourni pour l’occasion. On y retrouve leur âge, leur lieu de naissance, leur type d’alimentation ainsi que les déplacements et voyages qu’ils ont fait durant leur vie.
«Sur la base des informations dont nous disposons au début de l’enquête, peut-on écarter une ou des personnes de notre liste?», demande Joanie Turcotte aux élèves. «Jack Doyle!», lance une élève en identifiant cet Irlandais de 86 ans qui ne correspond pas au profil de la victime. «Exact!» répond l’animatrice.
Interrogés sur les techniques des forces policières pour identifier une victime, les élèves énumèrent: les empreintes dentaires, la structure des os et les empreintes digitales. «Il en manque une dernière: l’ADN, mais en 2005, ce type d’analyse coûtait très cher à réaliser. Il fallait amorcer l’enquête avec d’autres techniques. C’est pourquoi les policiers se sont tournés vers les chimistes», observe Joanie Turcotte, membre du Groupe de recherche sur les isotopes environnementaux.
Éléments chimiques, atomes, molécules et isotopes
Après avoir expliqué le b.a.-ba de la démarche scientifique (la question de recherche, le bilan des informations, l’hypothèse, la méthodologie, la cueillette et l’analyse des données, pour finir avec la transmission des résultats), Joanie Turcotte rappelle que l’être humain est constitué de ce qu’il mange et de ce qu’il boit. «Nous assimilons les atomes et les molécules de tout ce que nous ingérons», précise-t-elle.
Elle invite ensuite les élèves à nommer quelques éléments chimiques. «Le fer», «le sodium», «l’oxygène», «le carbone», «le fluor», «l’hydrogène», lancent les élèves. «En regardant ce diagramme, qui représente les éléments les plus abondants du corps humain, pouvez-vous associer les éléments à leur pourcentage?», demande l’animatrice. Les élèves identifient correctement l’oxygène (65 %), le carbone (18 %), l’hydrogène (10 %), l’azote (3 %) et le calcium (1,5 %). «L’activité d’aujourd’hui porte plus spécifiquement sur les quatre éléments principaux», ajoute-t-elle.
La chercheuse rappelle la composition d’une molécule, comme H2O qui comporte deux éléments et trois atomes. Elle explique ce que sont les isotopes. «Ce sont des atomes qui possèdent le même nombre de protons, mais un nombre différent de neutrons. Ainsi, on parlera du carbone 12 (12C), du carbone 13 (13C) ou du carbone 14 (14C), trois isotopes différents.»
Identifier le régime alimentaire de la victime
C’est grâce à la composition isotopique des cheveux, des os et des ongles de la victime que l’on pourra apprendre où elle est née et où elle a vécu récemment. Première étape: identifier le régime alimentaire de la victime, annonce Joanie Turcotte. «Pour cela, nous utiliserons la composition isotopique en azote et en carbone de nos échantillons d’ongles et de poils», précise-t-elle.
Après avoir calculé la moyenne d’azote 13 et de carbone 15 des différents échantillons, les élèves sont invités à tracer deux droites sur un graphique afin d’identifier à quel régime alimentaire ces valeurs correspondent. Ils obtiennent la réponse: un régime carnivore/omnivore.
«Peut-on éliminer d’autres victimes potentielles de notre liste?», demande Joanie Turcotte. «Michael Scott et Imrân Gamal, car leur alimentation est respectivement omnivore riche en végétaux et végétarienne», indique une élève. Il ne reste que trois individus sur la liste.
Déterminer le lieu de résidence de la victime
Les élèves doivent ensuite déterminer le lieu de résidence de la victime en analysant les compositions isotopiques en hydrogène et en oxygène, ces éléments ayant été ingérés par la victime chaque fois qu’elle buvait de l’eau. «Les types d’isotopes d’hydrogène et d’oxygène que l’on retrouve dans les précipitations – et donc ultimement dans l’eau que nous consommons – varient d’un endroit à l’autre sur la planète», explique Joanie Turcotte.
En analysant un segment d’ongle mesurant 19 millimètres, on pourra déterminer d’où provient l’eau que buvait la victime. «Si les ongles poussent de 3 millimètres par mois en moyenne, jusqu’à quand pouvons-nous remonter dans le temps avec cet échantillon?», demande l’animatrice. «Six mois», répond une élève. «Exact, répond l’enquêtrice en chef. Plus précisément 6,3 mois ou 185 jours.»
Après quelques calculs et un exercice, les élèves parviennent à déterminer la valeur moyenne en hydrogène 2 de l’échantillon d’ongle. «Allons vérifier sur la carte que vous avez si cette valeur concorde avec les valeurs de Dublin pour cet isotope», indique Joanie Turcotte. C’est le cas. La victime était donc à Dublin durant les six derniers mois de sa vie. «Peut-on éliminer une autre victime potentielle?», demande-t-elle. «Juan Moreno, car il était en visite à Dublin pour deux semaines», affirme une élève. Plus que deux individus sur la liste.
L’endroit où la victime a grandi
Il reste le segment d’os à étudier. «Qu’est-ce qu’un segment d’os nous révélera de plus qu’un segment d’ongle?», demande Joanie Turcotte. «L’endroit où la personne aurait grandi?», tente une élève. «Oui, répond l’animatrice. L’os du fémur, par exemple, prend 20 à 25 ans pour se regénérer entièrement. On peut donc obtenir des informations sur toutes ces années de vie.» Deux échantillons osseux sont disponibles aux fins de l’enquête: la partie récente de l’os nous renseignera sur les 10 à 12 dernières années, tandis que le deuxième échantillon, prélevé sur une partie plus ancienne, date de 25 ans.
Après les calculs de composition isotopique en oxygène 18 des deux échantillons, les élèves consultent la carte du monde. Les valeurs de Dublin ne concordent pas avec leurs calculs pour le premier échantillon, signifiant que la victime ne résidait pas à Dublin durant les 12 dernières années de sa vie. «Où habitait-elle? Notre deuxième échantillon nous le révélera», annonce Joanie Turcotte.
En observant la carte, les élèves identifient différentes zones dans le monde correspondant aux valeurs calculées pour le deuxième échantillon d’os: l’Afrique, l’Amérique du Sud ou le Moyen-Orient. «Peut-on éliminer une autre victime?», demande Joanie Turcotte. «Jimmy Callahan, car il a toujours habité à Dublin», souligne un élève.
Et la victime est…
De la liste des hommes portés disparus, il ne reste plus que Lukas Shilongo, né en Ouganda et vivant à Dublin depuis six ans. «L’Ouganda fait partie des endroits potentiels selon nos données isotopiques en oxygène 18», note la chercheuse.
Pour confirmer qu’il s’agit bel et bien de Lukas Shilongo, Joanie Turcotte détermine avec les élèves le moment où la victime s’est établie à Dublin: il y a 6,3 ans. Cela concorde avec le profil de Lukas, mais il faudrait le confirmer avec un test ADN, ce que les policiers ont fait à l’époque, en comparant l’ADN de l’un des membres de la famille du disparu avec celle de la victime.
La dernière étape de la démarche scientifique est la communication des résultats, rappelle Joanie Turcotte. «C’est une étape essentielle pour partager les connaissances avec la communauté scientifique. D’ailleurs, l’activité que je viens de vous présenter est basée sur l’article scientifique publié à l’époque à la suite de l’enquête policière faisant appel à l’analyse isotopique», conclut-elle.