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S’intéresser au cerveau pour soutenir l’éducation dès la petite enfance

Une nouvelle Chaire de recherche du Canada étudiera les aspects cognitifs et cérébraux du développement des tout-petits.

Par Claude Gauvreau

23 septembre 2024 à 14 h 29

Mis à jour le 24 septembre 2024 à 16 h 07

Déterminante pour le développement global des enfants, la période de la petite enfance (0-6 ans) fait l’objet d’une grande attention de la part de nombreux chercheurs. C’est le cas de la professeure du Département de didactique Lorie-Marlène Brault Foisy (Ph.D. éducation, 2020), titulaire de la nouvelle Chaire de recherche du Canada en neuroscience cognitive pour l’éducation dès la petite enfance. Au cours des cinq prochaines années, la Chaire développera des connaissances inédites sur l’éducation durant la petite enfance, sous l’angle encore peu exploré des neurosciences, et facilitera leur transfert afin d’améliorer la qualité des services éducatifs offerts.

Une enquête de l’Institut de la statistique du Québec révélait, en 2018, que vers l’âge de cinq ans, un enfant sur quatre est vulnérable dans au moins un domaine de son développement, un taux s’élevant à près du tiers dans les milieux défavorisés. «Des contextes éducatifs de qualité offerts dès la petite enfance – services de garde et maternelle, par exemple – peuvent constituer un facteur de protection pour le développement des enfants, en particulier ceux issus de milieux défavorisés ou de populations vulnérables, contribuant ainsi à l’égalité des chances», soutient Lorie-Marlène Brault Foisy.

«En raison de la grande plasticité du cerveau durant la petite enfance, des interventions éducatives précoces et de qualité sont non seulement susceptibles de limiter les effets négatifs d’environnements inadéquats, mais aussi de produire des impacts positifs durables sur les plans cognitif, affectif, social et scolaire.»

Lorie-Marlène Brault Foisy,

Professeure au Département de didactique

De plus, poursuit la professeure, «en raison de la grande plasticité du cerveau durant la petite enfance, des interventions éducatives précoces et de qualité sont non seulement susceptibles de limiter les effets négatifs d’environnements inadéquats, mais aussi de produire des impacts positifs durables sur les plans cognitif, affectif, social et scolaire».

L’originalité de la Chaire tient au fait qu’elle s’intéressera aux aspects cognitifs et cérébraux du développement de l’enfant, un domaine de recherche relativement récent. «Il reste beaucoup à découvrir sur le développement et la maturation des processus cérébraux, en particulier lors des premiers apprentissages», souligne Lorie-Marlène Brault Foisy.

Mécanismes cérébraux et premiers apprentissages

Dans un premier axe de recherche, la Chaire travaillera à l’identification des mécanismes cérébraux mobilisés lors des premiers apprentissages qui, durant la petite enfance, se déroulent pour la plupart dans un contexte de jeu. «Il s’agit d’apprentissages moteurs, affectifs et sociaux, alors que les enfants interagissent entre eux et découvrent leurs intérêts, précise la chercheuse. C’est aussi la période où les enfants s’éveillent au monde de l’écrit ainsi qu’aux premiers raisonnements mathématiques et scientifiques.»

Au cours de ces apprentissages, des mécanismes cérébraux soutiennent des fonctions cognitives essentielles, comme les fonctions dites exécutives qui, en plein essor durant la petite enfance, continuent de se développer graduellement jusqu’au début de l’âge adulte. Ces fonctions exécutives renvoient, entre autres, à la capacité de s’autoréguler pour apprendre, aux habiletés d’attention, de raisonnement et de planification, à la mémoire de travail. «Parmi ces fonctions, note Lorie-Marlène Brault Foisy, le contrôle inhibiteur représente un mécanisme clé permettant de résister à des automatismes de pensée qui peuvent créer des obstacles dans l’apprentissage. Il peut notamment s’agir de conceptions intuitives à propos de différents phénomènes naturels, comme croire que toutes les choses mobiles sont nécessairement vivantes ou que le soleil tourne autour de la Terre puisqu’il se déplace quand on l’observe dans le ciel.»

«Parmi les fonctions cognitives, le contrôle inhibiteur représente un mécanisme clé permettant de résister à des automatismes de pensée qui peuvent créer des obstacles dans l’apprentissage. Il peut notamment s’agir de conceptions intuitives à propos de différents phénomènes naturels.»

Afin de mieux comprendre les mécanismes cérébraux des premiers apprentissages, notamment le recours au contrôle inhibiteur, la professeure et son équipe utiliseront différents outils de mesure psychophysiologiques, tels que l’électroencéphalographie et l’oculométrie, qui permettent de fournir des renseignements sur la mobilisation de différents processus cognitifs.

Relation entre niveaux cérébral et comportemental

Un autre axe de recherche vise à mettre en relation les données portant sur les processus cognitifs avec des données d’observation recueillies en contexte éducatif. «Cette tâche s’avère cruciale afin de préciser les manifestations comportementales les plus typiques des processus cognitifs étudiés, lesquelles demeurent peu étudiées, indique Lorie-Marlène Brault Foisy. Ainsi, nous chercherons, par exemple, à mieux comprendre dans quelle mesure le recours à différents processus cognitifs, comme le contrôle inhibiteur, se reflète dans les comportements observables de l’enfant.»

En 2021, le Programme-cycle de l’éducation préscolaire du Québec soulignait d’ailleurs le rôle important des fonctions exécutives pour tous les apprentissages des enfants. «Le problème est que le corps enseignant demeure peu formé en la matière, dit la professeure. Les travaux de la Chaire permettront également de leur donner des points de repère à ce sujet.»

L’objectif est donc d’aider les personnes éducatrices et enseignantes à mieux observer les enfants dont elles ont la charge, notamment sur le plan de leur développement cognitif, afin de mieux adapter leurs interventions, en particulier en contexte de jeu. «C’est en étant outillés pour bien observer les comportements des enfants que l’on sera en mesure de mettre en place des stratégies pédagogiques mieux adaptées à leurs besoins.»

Des interventions éducatives adaptées

L’élaboration d’interventions éducatives adaptées au développement et au fonctionnement cérébral et cognitif du jeune enfant ainsi que l’évaluation de leurs effets, tant sur le plan comportemental que cérébral, feront l’objet du troisième axe de recherche de la Chaire. «Cet axe représente évidemment un défi. De telles interventions, déployées dans un contexte d’activités libres et ludiques, pourraient contribuer à favoriser le développement de certaines fonctions cognitives et seraient donc susceptibles de contribuer à la réussite éducative ultérieure des enfants», estime Lorie-Marlène Brault Foisy.

Dans un premier temps, la Chaire s’intéressera donc aux effets d’interventions éducatives ludiques sur la mobilisation des fonctions exécutives, dont le contrôle inhibiteur, mais également sur le développement d’habiletés générales liées aux fonctions exécutives et, à plus long terme, sur les résultats scolaires pour certains premiers apprentissages qui nécessitent le recours à ces fonctions exécutives.

Un nouveau laboratoire de recherche

Les travaux de la Chaire bénéficieront d’une nouvelle infrastructure de recherche financée par la Fondation canadienne pour l’innovation, appelée le P’tit Labo, qui sera logée à la Faculté des sciences de l’éducation et dont les portes ouvriront au cours des prochains mois. «Ce laboratoire permettra de collecter des données cognitives et cérébrales à l’aide d’outils adaptés aux jeunes enfants ainsi que des données d’observation comportementales, le tout dans des locaux qui reproduiront de la manière la plus authentique possible les conditions prévalant en contexte éducatif», explique la chercheuse. Le P’tit Labo accueillera principalement des enfants âgés de 3 à 6 ans qui fréquentent des services éducatifs (CPE ou garderies) ou qui sont en voie de débuter leur parcours scolaire (maternelle), accompagnés de leur éducatrice ou enseignante.

Le laboratoire comprendra une salle de jeux dotée de caméras et de micros et une autre servant à la collecte et à l’analyse de données psychophysiologiques grâce, notamment, à du matériel d’électroencéphalographie, de pupillométrie et de reconnaissance faciale des émotions.

«Par son arrimage au P’tit Labo, la Chaire pourra approfondir les connaissances actuelles en neuroscience cognitive sur l’éducation durant la petite enfance et faciliter leur transfert auprès de la communauté scientifique et des praticiens œuvrant à la fois en milieu de la petite enfance et en milieu scolaire, souligne Lorie-Marlène Brault Foisy. Elle vise donc ultimement à contribuer à réduire les écarts de développement en favorisant une plus grande qualité éducative pour tous les tout-petits.»