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Sexualité des femmes aînées: un sujet encore tabou

La professeure Isabelle Wallach vise à contrer les préjugés âgistes et sexistes en identifiant les besoins des femmes.

Par Claude Gauvreau

19 avril 2024 à 10 h 27

Mis à jour le 23 avril 2024 à 16 h 51

Alors que les personnes âgées de 65 ans et plus représenteront le quart de la population québécoise d’ici 2031, différentes politiques gouvernementales convient les acteurs et actrices de tous les secteurs d’activité à s’unir pour construire une société favorisant la qualité de vie des personnes aînées. Dans ce contexte, qu’en est-il du droit des femmes et des hommes âgés d’avoir une vie sexuelle épanouissante? «Leur sexualité demeure un sujet tabou, entouré de mythes et préjugés dont on parle peu, soutient la professeure du Département de sexologie Isabelle Wallach. Dans l’imaginaire collectif, la croyance selon laquelle les personnes aînées sont des êtres asexués persiste.»

La professeure dirige le projet de recherche-action «La sexualité des femmes aînées: des besoins aux pratiques d’intervention», mené en partenariat avec quatre organismes communautaires de femmes et le regroupement L’R des Centres de femmes du Québec. Le projet a reçu un soutien financier de 225 000 dollars du Fonds de recherche du Québec – Société et culture (FRQSC) et du Secrétariat aux aînés du ministère de la Santé et des Services sociaux.

«Toujours jugées sur leur apparence corporelle, les femmes en vieillissant souffrent, encore plus que les hommes, de ne pas correspondre aux normes et standards de séduction axés sur la beauté et la jeunesse.»

Isabelle Wallach,

Professeure au Département de sexologie

Selon Isabelle Wallach, qui a codirigé l’ouvrage collectif Sexualités et conjugalités en contexte de vieillissement, à paraître en juin 2024 aux Presses de l’Université du Québec, les préjugés à l’égard des femmes âgées sont plus marqués que ceux envers les hommes. «Dans le processus de vieillissement, les femmes sont davantage dévalorisées. Leur sexualité tend à être déniée en raison des préjugés âgistes, mais aussi sexistes, qui associent le vieillissement féminin à un déclin du désir et de la désirabilité des femmes. Toujours jugées sur leur apparence corporelle, les femmes en vieillissant souffrent, encore plus que les hommes, de ne pas correspondre aux normes et standards de séduction axés sur la beauté et la jeunesse.»

De plus, poursuit la chercheuse, malgré la révolution sexuelle des années 1960 et 1970, la perception de la sexualité des femmes à travers le prisme de la conjugalité et de la procréation perdure, comme si les femmes avaient moins le droit que les hommes au désir et au plaisir sexuels.

Les préjugés à l’endroit des femmes aînées en lien avec la sexualité ont divers impacts. «Parce qu’elles ne se perçoivent pas elles-mêmes comme des sujets désirant et désirables, les femmes âgées ont tendance à faire passer les besoins de leur partenaire masculin avant les leurs, observe Isabelle Wallach. Elles craignent d’être jugées négativement si elles expriment un intérêt sexuel.»

Défis et besoins

L’un des objectifs de la recherche est d’identifier les défis et besoins des femmes aînées en matière de sexualité. Les défis vécus par ces femmes peuvent varier en fonction de leurs caractéristiques identitaires, comme l’orientation sexuelle. «Cette question constitue un angle mort de la recherche et nécessite d’être documentée, note Isabelle Wallach. C’est pourquoi le Centre de solidarité lesbienne et la Fondation Émergence, dédiée à la population de la diversité sexuelle, comptent parmi les organismes collaborateurs du projet.»

«Parce qu’elles ne se perçoivent pas elles-mêmes comme des sujets désirant et désirables, les femmes âgées ont tendance à faire passer les besoins de leur partenaire masculin avant les leurs.»

La recherche se penchera aussi sur les besoins des femmes aînées, qu’il s’agisse de connaissances concernant les impacts de la ménopause sur la sexualité, la santé sexuelle, notamment les changements physiologiques associés au corps vieillissant, sans compter les aspects liés à la vie amoureuse et affective, à l’expression des émotions, à l’affirmation de soi et au consentement, et même à la violence sexuelle. «Tous ces enjeux méritent d’être explorés davantage, tant au sein de la recherche universitaire que dans les organismes qui interviennent auprès des femmes», indique la professeure.

Toujours en lien avec les besoins des femmes âgées en matière de sexualité, la recherche vise à documenter l’offre de services et de ressources au Québec, notamment au sein des organismes partenaires du projet. «Un organisme communautaire comme L’Écho des femmes de la Petite Patrie, l’un de nos partenaires, propose déjà des ateliers animés par des étudiantes et étudiants stagiaires en sexologie, mais les interventions demeurent généralement peu nombreuses», relève Isabelle Wallach.

Collecte de données

S’inscrivant dans une approche méthodologique qualitative, la recherche aura recours à différents outils de collecte de données, dont les entrevues individuelles. La collecte s’effectuera auprès d’une trentaine de femmes aînées hétérosexuelles et appartenant à la diversité sexuelle ainsi que d’une dizaine d’intervenantes des organismes partenaires. «Les entrevues porteront sur les besoins des femmes relativement à la sexualité et sur leur perception du soutien qu’elles reçoivent des organismes communautaires, précise la professeure. Elles serviront enfin à analyser les pratiques communautaires existantes et à cibler celles à développer pour mieux répondre aux besoins identifiés.»

Le «photovoix» est un autre outil de cueillette de données. «Nous demanderons aux femmes de prendre des photos sur des thématiques entourant la sexualité, qui permettront d’illustrer leurs préoccupations sur ce sujet, précise Isabelle Wallach. Réunies en petits groupes, elles détermineront elles-mêmes les thématiques et leurs photos feront éventuellement l’objet d’une exposition. C’est une façon originale de leur donner la parole et de sensibiliser le grand public.»

Le projet débouchera sur la création d’un outil de transfert de connaissances, soit un guide d’animation, construit en collaboration avec les organismes communautaires, pour des interventions de groupe sur la sexualité des femmes aînées.

Isabelle Wallach souhaite que les résultats de la recherche puissent aiguiller les décideurs politiques sur les actions et les programmes à prioriser pour répondre aux besoins des femmes aînées hétérosexuelles et de la diversité sexuelle. «À travers la déconstruction des préjugés de toutes sortes, le but ultime du projet est de créer des représentations sociales plus inclusives de la sexualité des femmes aînées, qui correspondent à leur réalité et à leurs besoins», souligne la professeure.

Les cochercheuses du projet sont les professeures Julie Beauchamp (Université Laval) et Isabelle Marchand (Université du Québec en Outaouais) ainsi qu’Émilie Dionne, du Centre de recherche en santé durable VITAM du CIUSSS de la Capitale Nationale. Le Centre des femmes Montréal-Est/Pointe-aux-Trembles et l’organisme La Marie Debout collaborent également à la recherche.